Pépites et grains de sable

Suite aux violences urbaines en lien chronologique avec la mort par balle du jeune Nahel, on entend de drôles de choses sur les plateaux tv.

Des associations de banlieues, qui se placent du côté de la population “populaire”, disent en toute innocence  que le système social serait injuste car il y a des “pépites” dans les banlieues. Elles parlent avec le référentiel libéral réformiste (l’égalité des chances) : il faudrait un ascenseur social pour les meilleurs, les fameuses “pépites” sinon c’est injuste. Ah bon ?

Mais quid des grains de sable ? Quid du minerai ? Quid des mauvais poètes, mauvais musiciens, des échoués scolaires, des handicapés, des analphabètes, des moches, des rebelles, des neuneus, des cons… ? Quid des invisibles ? Leur invisibilité serait logique car ils ne peuvent pas servir la machine ? ils ne seraient qu’une charge ? Un grain de sable dans notre chaussure ? Eux, il leur suffirait d’un service public de proximité et d’une grande surface commerciale pour qu’ils s’en tiennent, silencieux, à leur statut d’assistés/privilégiés ?

Dans un état laïque et/donc social, la question n’est pas celle de l’accès à l’élite des bien-nés  (les 1ers de cordée) et aux privilèges associées, justement ; c’est celle de la liberté individuelle donc des conditions de cette liberté : 1 l’autonomie financière pour ne pas être sous emprise, 2 la formation de l’esprit critique pour penser et se dégager de ses aliénations,  ses  assignations, (voire ses désirs de soumission) 3 le droit à la connaissance du réel, c’est un dû, soit l’instruction et une information qualitative.

Où sont les ateliers du formation du citoyen ? Qui sont le contraire des camps de rééducation du petit peuple que l’on nous propose à droite et à gauche.

Ce chemin on ne le prend pas car un tel citoyen est supposé ingérable pour l’élite (pyramide économique politique et religieuse), pour le maintien des privilèges, pour le maintien de l’ordre, qui passe par le silence de la masse. Proposer à ces populations “populaires”, comme troc, de faire émerger les uns contre la tranquillité, c’est compresser les autres comme un ressort qui nous pète au visage régulièrement.

La laïcité est un humanisme, voire une spiritualité, pas un économisme.

In memoriam           feu Les soulèvements de la terre

SUBVERSION. n. f.        Définition de l’académie française

■  Renversement ; il ne s’emploie qu’au figuré. La subversion de l’État. L’esprit de parti amène la subversion de tous les principes.

– Dans une démocratie démocratique, la mise en question du pouvoir – son organisation, la méthode, sa distribution, ses limites – que j’appelle subversion pour ma part car c’est au risque d’un retournement salutaire et non pas d’un délitement comme le suggère la définition, devrait être systématique et institutionnalisée. 

La constitution de 1958 a fermé les possibilités d’un questionnement pacifique via une Assemblée Constituante régulière ; nous sommes contraints par des députés et sénateurs qui devraient être majoritaires au deux-tiers pour modifier la constitution. Il n’y a pas de voie légale pour interroger l’organisation du pouvoir. Tout va bien ?

– Or, sans subversion possible et institutionnalisé, via une Constituante, le pouvoir sur le peuple est un autoritarisme, et l’insurrection populaire la seule issue à la violence des institutions. Les jeunes qui s’organisent sous le label des soulèvements de la terre posent en actes la question des institutions et de la volonté populaire, parce que nous restons mutiques et spectateurs. D’autres essaient en gagnant en justice, sans plus d’effet. Ces jeunes insurgés sont le symptôme, pas le problème.

– Pour ma part, j’ai tenté de créer des dispositifs pacifiques (arbre à palabres, soirées écocitoyennes) pour traiter cette question par les mots, ceci pour offrir une autre voie que celle de l’affrontement électoral ou physique. Vous noterez mon échec : personne ne se joint à moi sur ce registre, peu d’élus ne se sentent tenus de répondre voire d’y réfléchir. Que reste-t-il comme solution à celles et ceux qui témoignent des limites ? Car il y a des limites à tout.

Des représailles peuvent-elles être légitimes ?

Vous connaissez les faits : le jeune Nahel, de 17 ans, tué par arme par un policier.

Comme attendu, des jeunes cassent en bande, et des politiques appellent au calme, car rien ne pourrait justifier… et parlent de la situation des banlieues alors que les jeunes en question ne tiennent aucun discours de cette nature ; et les journalistes interrogent des experts qui analysent la situation, sans que personne ne sache ce que pensent lesdits jeunes.

Il manque des mots pour penser la situation, et leur absence en soi est un symptôme du manque de culture laïque de tout ce petit monde.

Dans une société de droit et laïque, un individu est seul responsable de ses actes, et personne d’autre n’en porte la responsabilité sauf s’il obéissait à un ordre explicite ou implicite, donc si son comportement est induit par un système.

Dans cette même société, les représailles sont interdites (sur les institutions ou les propriétés privées) et c’est ce qui nous a sorti de la vendetta. Organiser des violences ou des pillages sous prétexte de représailles –  situation qu’il faut nommer – est non seulement interdit par la loi et par l’esprit de la loi, mais c’est aussi une attitude mafieuse dangereuse au plus haut point. C’est pour cette raison que les violences sont insupportables. Mais.

Mais, il y a un cas et un seul où les violences ne sont pas des représailles mais une violence légitime. C’était prévu dans la constitution de 1789 puis de 91, mais ce droit/devoir a disparu en cours de route. Pour des raisons que vous pouvez facilement imaginer. C’est le droit et même le devoir d’insurrection quand la population subit un pouvoir tyrannique.Voir aussi les soulèvements de la terre.

Si la violence de la police est systémique, donc l’instrument d’un pouvoir autoritaire voire totalitaire, alors la réaction violente est non seulement légitime mais salutaire et recommandée. On voit donc l’importance du débat autour de ce qui fait système. C’est pour cette raison que certaines parlent aussi de racisme systémique, de discriminations systémiques, de paternalisme systémique etc… Quand ça fait système, la réaction violente est légitimée.

Problème : qui dit quand et comment c’est tyrannique car systémique ? Onfray dit que nous sommes en tyrannie, d’autres dont je fais partie, que nous ne sommes pas en démocratie. Cela nous donne-t-il le droit à l’insurrection, quel que soit notre nombre. Le droit, on ne l’aura jamais car cette possibilité n’est pas inscrite dans la Constitution et ne nous sera pas donné par les élus. Doit-on le prendre, le dépasser – grâce au silence de la majorité – ou doit-on réclamer qu’un dispositif soit créé pour analyser et contrôler le pouvoir en continu ? Il ne suffit pas de le dire, c’est une étape qu’aucune démocratie n’a franchie, mais si on ne s’attèle pas au problème, on ne risque pas de trouver la solution. Mais on voit bien qu’un pouvoir minoritaire a tout intérêt à maintenir le rapport violent tant qu’il en a les moyens, et les moyens de les développer ; mais jusqu’à quel niveau d’injustice ? Car prétendre que notre organisation politique et économique est construite sur la justice et le bien-être de tous est un déni (idéologique) de la réalité.

Pour ma part, je milite pour qu’on traite cette question via une Constituante. Si  on ne milite pas pour ça, alors on ne pourra que se plaindre des insurrections à venir ; la population n’aura jamais d’autres issues que celle-ci. Quitte à se diviser au profit de…

J’insiste. Il y a des marches blanches, des appels au calme ; mais notez-vous que jamais il n’y a organisation de lieux de parole, en continu, au quotidien ? Dans aucun village il n’y a des agoras régulières pour refaire le lien que les écrans et le consumérisme défont. Les gens dont la parole ne vaut rien, “qui ne sont rien” sont contraints au passage par l’acte pour communiquer des blocs de sentiments plus ou moins énigmatiques car ils ne peuvent jamais témoigner de la complexité de leurs vécus. Même chose avec la réforme des retraites, les soulèvements de la terre. On continue comme ça ?

A force de faire taire, on fait braire. Mais qui sont les ânes ?