Des élus qui nient la science ?

Un tweet provocateur, dont je n’ai pas la date exacte, de Mme Balkany, pose à son insu une question intéressante, même si elle n’est plus élue. Elle écrit :

“le dérèglement climatique… bla bla bla… plus de douches, restez sales, interdit de faire du ski nautique… j’en passe et des meilleures… et  pourtant la canicule existait déjà au début des années 1910… et comme elle était belle vue par Chagall “

et de montrer une oeuvre de ce dernier, que je ne connaissais pas je l’avoue.

Si nous avons tous le droit d’avoir des opinions et de les exprimer, y compris que la terre est plate, il y a des missions qui vous interdisent de prendre des références non scientifiques. Par exemple, un pilote de ligne qui refuserait un plan de vol sous prétexte qu’il est faux parce que la terre est plate, est viré sur le champ ; un technicien du nucléaire qui refuserait de réaliser une manoeuvre et préférerait faire une prière de même ; et un élu ? A-t-il le droit de nier la science dans l’exercice de son mandat ? Peut-il émettre de simples doutes, et ne pas agir, parce que Chagall, parce qu’il voit que dans sa rue etc… Je ne sais pas si la loi est explicite sur ce point, mais je pense que le coeur de laïcité et de l’universalisme est là : ce n’est pas mon opinion d’élu qui fait référence (fondée sur une croyance personnelle ou collective) c’est soit la science quand elle s’est prononcée soit le plus probable. En fait, c’est ce qui est attendu de tout citoyen dans les situations de collaboration, hors lieux de cultes donc.

Au-delà de Mme Balkani, il semblerait que nombre d’élus (de tous les sexes) trainent les pieds pour tenir compte de la science dans les domaines écologiques, pour des raisons idéologiques notamment. L’universalisme c’est la capacité de se dégager de ses croyances personnelles ou communautaires, et celle-ci ne peut s’acquérir qu’en s’appuyant sur ce qui est indiscutable, donc la science. Ainsi, être représentant du peuple ne peut pas exister à l’opposé des principes de la République et de la science, et c’est une confusion qu’on ne cherche pas à régler lors d’élections ;  ainsi, on ne devrait pas pouvoir représenter un courant platiste par exemple lors d’élections, ni donc un courant qui nierait les rapports scientifiques du GIEC.

Les tribunaux ont déjà condamnés (sans succès) des pays et des élus pour inaction politique, ils n’ont pu le faire qu’à partir de références scientifiques et non pas d’opinions, et les tribunaux ont évalué scientifiquement les actions que les condamnés ont du présenter pour se défendre.

Nous concernant, dans nos communes, notre territoire, il me semble que les élus devraient s’exprimer sur la question, elles et ils devraient dire s’ils admettent les rapports du GIEC ou s’ils les contestent, le cas échéant à partir de quels éléments scientifiques bien sûr.
Dans le premier cas, ils devraient présenter les actions correctrices à la hauteur de l’enjeu, sinon c’est qu’ils mentent ou se mentent à eux-mêmes, dans le deuxième cas, ne devraient-ils pas démissionner ? Ou ne devraient-ils pas être démissionner ?

Hélas, à ce jour, il n’y a pas de droit d’interpellation ni de contrôle des élus, donc ils ne sont pas tenus de répondre à une question qu’on ne peut pas leur poser, ni tenus d’agir, bien qu’ils soient nos représentants présumés et que tous sont sûrs d’être démocrates et laïques. Nous n’avons comme seul recours à ce jour que de porter l’affaire devant les tribunaux. Ce serait bien si l’on pouvait s’éviter ce ridicule ; dans une République authentiquement laïque, on ne devrait pas arriver à cette extrémité.

J’insiste, une commission Démocratie, ouverte à toute la population, permettrait de tirer les choses au clair et de redéfinir les contraintes de tout mandat.

Ce vendredi 11 mars, au détour d’une info, j’entends Nicolas Sarkozy, dans un grand oral face à des pompiers, moquer les conventions citoyennes, les tirages au sort, et faire l’éloge de l’élite dirigeante : “diriger un pays c’est un métier”.

C’est une illustration parfaite de ce dont nous souffrons dans la conception de la laïcité et la démocratie. Je rappelle que nous serions une République démocratique laïque et sociale.

Je passe sur les résultats de l’élite dirigeante, 5 limites planétaires sur 9 dépassées, migrations climatiques présentes et à venir, risque de perte des équilibres… Ça devrait rendre modestes les élites et les ex, et nous amener à reprendre la question de la méthode démocratique. Je ne sais pas quel peuple véritablement souverain aurait pu faire plus mal. Passons.

Ce qui est intéressant ici, c’est la réduction en creux de la laïcité à la seule liberté de croyances et d’expression de sa croyance ou non croyance, car N. Sarkozy est persuadé d’être un démocrate d’une part et laïque d’autre part. Mais il réduit la population à la seule mission de choisir le meilleur dirigeant, qui est chaque candidat de leur point de vue.

Mais la laïcité, la République des égaux, fait la différence entre le but qui doit être fixé par le peuple – c’est le peuple qui doit choisir la direction, diriger – et les moyens, soit la mise en oeuvre par délégations. Délégation faites à des élus chargés de gouverner,  c’est-à-dire de mener la barque vers le but fixé par le peuple. Nous faisons exactement le contraire : des élites dirigent et gouvernent. La population est condamnée par la constitution de 58 à rester dans les soutes, considérée comme aveugle et incompétente ; ce qui est un déni de démocratie sur lequel on ne peut pas revenir car cette génération a verrouillé cette spoliation.

Cette tension historique entre la verticalité et l’horizontalité du pouvoir est historique.

Notre problème est que la verticalité du pouvoir, la pyramide, est efficace dans nombre de circonstances, par exemple la guerre ou quand le problème ne nécessite pas de créativité ; mais hélas nous la répliquons dans des endroits ou n’est pas légitime, à défaut d’être efficace. Elle est illégitime quand il s’agit de la politique où nous sommes censés être des égaux, et non pas la soldatesque des dirigeants. C’est-à-dire que devons être structurellement responsables de l’avenir de ses enfants.

La laïcité est en théorie un système horizontal que l’on n’arrive pas à organiser en pratique, ce qui n’empêche que les compétences soient utilisées aux bons endroits. Horizontal ne veut pas dire que chaque citoyen doit être un expert en tout, ce serait stupide et c’est une critique stupide de la démocratie non représentative ; horizontal, cela veut dire qu’il est le dirigeant mais qu’il peut confier le gouvernail à des personnes compétentes mais missionnées, aux ordres.

On est loin du compte. Nous sommes un société à vocation laïque, mais nous ne sommes pas une République démocratique laïque et/donc sociale.

Quand un ex chef de l’Etat, “représentant” du peuple, garant des institutions, membre de droit du Conseil Constitutionnel (plus haute juridiction), ne perçoit pas le caractère anti-laïque de sa pensée, quand aucun collaborateur ne lui signale, quand aucun journaliste le l’interroge ni qu’aucun opposant politique ne l’interpelle, cela veut dire qu’il y a un déficit de connaissance, une inculture profonde, ce qui est plus qu’embêtant puisque toutes ces élites sont censées avoir la lumière à tous les étages, contrairement au petit peuple. Le pouvoir vertical, qui génère le conflit pour l’obtenir même quand on est minoritaire, est une plaie dont la laïcité bien comprise pourrait nous guérir. C’est peut-être pour cela que les élites minoritaires ne veulent pas être éclairées, seulement choisies.

Jean Paul Jouary, philosophe, dit tout ça mieux que moi dans une courte vidéo.

 

J’écris cette petite chronique suite à un échange vu sur BFM entre un essayiste dont je n’ai pas noté le nom (vacciné mais qui voulait poser les questions éthiques) et une députée LREM dont je n’ai pas plus noté le nom. Le courage de ce jeune essayiste oblige.

Qu’est-ce que ce thème a à voir avec la laïcité ?
La laïcité c’est placer la rationalité (la science ou le plus probable) comme condition à un débat collectif. Il s’agit d’admettre des faits vs croire. Or si l’on accuse les antivax d’être dans la croyance, jusqu’au complotisme, on néglige que l’argument du bon sens (ça va de soi, ça tombe sous le sens, c’est l’évidence même) utilisé dans la communication de guerre du gouvernement, et reprise en boucle par les médias, est une façon d’interdire le débat contradictoire, ce qui est contraire évidemment à la laïcité, son esprit et sa lettre. La raison laïque n’est pas le scientisme, et nous aurions tout intérêt à reprendre cette question.

Le bon sens ne serait pas un argument recevable ?

Ça dépend du sujet. Si je jette une pierre en l’air, le bon sens c’est de ne pas rester dessous. Si je m’étouffe en émettant du CO2, le simple bon sens est d’arrêter d’en émettre, si je détruis la planète qui me nourrit, le simple bon sens est d’arrêter de la détruire. Mais dans le cas du vaccin, on peut discuter : en quoi un vaccin pour tous – ARN en l’occurence, soit la Rolls des vaccins m’a-t-on dit, contrairement aux vieux vaccins –  est-il une solution du bon sens, qui ne se discute pas donc. Avec le bon sens, on évacue des questions philosophico-politiques, essentielles pourtant pour qui veut assumer la responsabilité de sa vie. Par exemple : 1 Doit-on se prémunir de tout ? 2 En termes sociétaux, quelles portes j’ouvre avec une vaccination ARN ? 3 Existe-t-il une limite à la prévention par la vaccination ? 4 La prévention vaccinale (tous anonymes) doit-elle prendre le pas sur le soin (chaque individu est unique) ?…

On ne peut pas nier l’effet puissant et salutaire sur la santé publique de la vaccination

On peut avancer que dans des maladies où le développement est difficile à contrôler (épidémie, pandémie), le traitement insuffisant ou les conséquences terribles (polio), le vaccin trouvera du sens chez la quasi-totalité de la population. Il restera bien sûr quelques antivax qui considèrent que la nature fait sa sélection et que l’on n’a pas à s’en mêler. Ils doivent pouvoir le dire car ça peut être un choix de société qui appartient au peuple et qui n’est pas médical mais philosophique. Mais à chaque vaccin la question devrait faire l’objet d’un examen populaire et non pas exclusivement médical et économique. On peut décider par exemple qu’il faut soigner plutôt que de prévenir systématiquement. Dans le cas de la COVID, le pouvoir central impose une vision de la société qu’elle n’a pas mise en débat, plus exactement il a empêché le débat d’une manière très musclée. Et c’est la manière plus que la finalité qui fait problème car la finalité peut être partagée par la population. 

Quel est ce débat empêché ?

Le premier débat interdit est celui que le Dr D. Raoult a posé explicitement mais à sa manière, frontalement, révélant ainsi la violence du débat entre deux médecines : la médecine scientifique et les sciences médicales. On pourrait dire que les finalités sont les mêmes – je n’en suis pas sûr cependant – ce qui est sûr c’est que l’objet du soin n’est pas le même. Dans la médecine scientifique on soigne un sujet,  dans la deuxième un cas, un corps, une maladie. Dans la première un placébo a sa place, dans la deuxième il n’en a pas. Dans la première le médecin a la responsabilité du diagnostic et du soin, dans la deuxième la machine, l’algorithme, le remplace. Le conflit s’est mené sur l’existence du médecin en tant que personne, avec sa faillibilité donc avec une charge psychologique importante, ou du médecin en tant qu’intermédiaire entre la machine infaillible et le cas clinique, donc plus reposante. L’Etat a suivi le choix des lobbies pharmaceutiques et industriels, et la presse a emboité le pas avec un parti-pris surprenant : les journalistes sont remplacés de plus en plus par les smartphones et ils s’en plaignent ! Nota, il se passe la même chose en psychologie ou la rencontre intersubjective est dénigrée et remplacée par la médiation, via des outils ; on n’accompagne plus un sujet dans ses choix, on le rééduque ! L’Etat veut placer les psychologues en prestataires de service des médecins et les étudiants sous leur contrôle. La psychanalyse a été déclarée à abattre de toute urgence pour cause de non-scientificité ; il est impossible de faire un groupe de contrôle avec des gens qu’on ferait semblant d’accompagner tout en leur faisant croire qu’on les accompagne, c’est bien la preuve…

Dans les deux cas ces médecines sont scientifiques

Oui, et c’est cette accusation de non-scientificité des résultats de l’IHU de Marseille qui est significative du caractère idéologique de la bataille. Mais le Dr Raoult s’est comporté en médecin classique, comme ça se pratique dans la plupart des pays dans les mêmes circonstances ; c’est l’interdiction de soigner qui est nouvelle pour ne pas dire révolutionnaire. Mon médecin n’avait que du doliprane à proposer. Mais c’est un classique pour tout pouvoir que d’utiliser les moments de crise pour avancer d’une case dans son projet idéologique, et le bon sens est à cet endroit : pas de temps à perdre avec des réflexions philosophiques à la c… Et bien sûr, dans l’urgence d’un danger la concernant, la majorité acquiescera. Il est difficile de résister à la logique du rouleau compresseur.

Les machines ont un diagnostic plus fiable que les médecins, jusqu’à remplacer bientôt les chirurgiens.

Oui, mais il y a une différence de taille. Qui contrôle la machine contrôlera mon corps donc ma vie. Il y a du monde derrière la machine et des intérêts financiers énormes. Le médecin lui est dans la négociation avec son patient, on ne négociera pas avec la machine donc avec ceux qui les programment. Par exemple, faire passer l’hypertension de 16 à 15 a augmenté le nombre de malades donc les revenus de l’industrie pharmaceutique. Qui décide de la norme ? Des algorithmes ou moi avec mon médecin ?

Autre différence de taille, je peux être déclaré malade par une machine, soignée par un traitement décidé par la machine, et déclaré guéri par la machine sans jamais avoir pu définir clairement un ressenti. La subjectivité est chassée par la grande porte, je ne sais pas par quelle lucarne elle va revenir car je n’imagine pas qu’on puisse s’en débarrasser vraiment. 

Dernière différence de taille, ma responsabilité de sujet. On rentre à petit pas, mais sûrement, dans un monde normé par… ? En fait on ne sait pas vraiment si c’est décidé ou que « le progrès » s’impose à nous sans que nous le voulions vraiment. Je penche pour la deuxième hypothèse car c’est toujours le cas avec les hommes : nous construisons des objets qui nous transforment en retour. Et nous avons les pires difficultés à nous arrêter pour en faire l’analyse car il est difficile de renoncer à une innovation. On devrait se rappeler de cette formule : quand on a un marteau dans la tête, on voit tout sous la forme d’un clou ; hélas on a trouvé le marteau et moi j’ai perdu le nom de l’auteur.

Je prendrai le temps une autre fois de parler de Kaïros, le moment opportun, l’opportunité à saisir, pour distinguer ces deux médecines.

Mais concrètement, ce vaccin ARN sauve des vies

C’est l’argument du bon sens qui sert du bulldozer, et nous sert à oublier les vaccins par virus inactivés. Les américains ont prétendu que les bombes atomiques balancées sur Hiroshima et Nagasaki ont sauvé des vies en arrêtant la guerre, personne ne le saura jamais ; l’argument de l’efficacité est discutable quand on ne sait pas le nombre d’autres malades que la stratégie actuelle génère, la situation psychologique par exemple est catastrophique. Je voulais simplement dire qu’il y a un au-delà de cette évidence qu’on ne peut nier. Parenthèse, il faudrait vérifier aussi le nombre de maladies qui sont devenues chroniques, c’est-à-dire que l’on ne guérit plus mais dont on soulage les symptômes. Le débat philosophique me semble-t-il, rendu impossible par l’urgence déclarée est : à quoi sommes-nous prêts à renoncer pour rester vivants ? Si vous dites tout, alors préparez-vous aux vaccins ADN, aux vaccins contre la dépression, contre l’alcoolisme, contre tout, au transhumanisme. Ça tombe bien, c’est la suite logique du progrès pensé comme l’innovation. Or il n’y a de progrès qu’humain, c’est à nous de dire ce qui est un progrès et ce qui n’est qu’une innovation dont on pourrait se passer pour rester humain.

Mais ça ne correspond pas à la logique du business qui a besoin de malades

Le business, l’actionnaire pour être plus précis, a besoin d’un marché rentable. Qu’il y ait des malades ou aucun grâce à la prévention, c’est la même chose pour lui si le bénéfice financier est au rendez-vous dans la prévention. Dit autrement, si vous pensez qu’en cessant d’être malade grâce aux multiples vaccins vous allez faire des économies, vous risquez d’être déçu.

Pour finir, je vous invite à cliquer sur le lien ci-dessous. J’ai tapé sur mon moteur de recherche, qui n’est pas google : Institut Pasteur, vaccin ADN, et j’ai cliqué sur le site de l’Institut pasteur.fr. Je ne m’attendais pas à ce que j’ai trouvé.

https://www.pasteur.fr/fr/sars-cov-2-covid-19-institut-pasteur/projets-recherche/covid-19-vaccin-adn

PS : la question : voulez-vous être un OGM pour votre santé ? Ne nous sera posé que lorsque l’opinion aura été préparée à répondre conformément à l’idée de celui qui pose la question, donc après une préparation médiatique qui peut durer des années. C’est cela une démocratie d’opinion, et c’est pour cela que la quasi-totalité des médias appartiennent à des groupes privés ; et c’est pour cela que nous ne sommes pas une République laïque, seulement à prétention laïque.

Ces deux mots ne sont pas des synonymes même si dans le langage courant on peut les tenir pour tels dans certaines circonstances. On a tout intérêt à les garder différent et noter leurs différences car ils ont à voir avec la laïcité, et avec l’actualité : par exemple le procès des attentats terroristes et la gauche « patchwoke ». Je pense que le rapport aux ancêtres que j’ai déjà évoqué (voir C’était un temps déraisonnable), encombre le présent et c’est pour cette raison que j’y reviens.

Je distingue l’héritage immatériel, celui dont je parle ici, de l’héritage matériel, l’objet ou l’argent dont on devient propriétaire. Dans le premier cas plus que dans le second, hériter c’est faire le tri, sélectionner ce que l’on va faire sien ; donc on peut hériter malgré soi c’est-à-dire inconsciemment, on peut être héritier sans être descendant. Dans les deux cas on peut être possédé par l’héritage en fonction de la charge symbolique qu’on lui accorde, ou que la culture accorde à ce qui est transmis.

J’ai dit précédemment (voir La liberté d’expression.. de son potentiel) que 1789 avait consacré le Sujet en le dégageant de son statut de sujet du roi, propriété d’un dieu, donc endetté. La Révolution inaugure une coupure : l’origine génétique n’est pas significative au regard de la loi de la République, la justice est aveugle à cette particularité, en clair si nous sommes tous des descendants, on n’a pas à représenter des ancêtres quelconques ni à endosser une responsabilité pour quelqu’un d’autre que soi-même. Merci. 

On est forcément le descendant de quelqu’un, des quelques uns, pour autant, ceci ne vaut pas identité au regard de la loi, de la façon dont on doit me traiter dans un groupe de citoyens. Si la République est aveugle à mes origines, mes voisins ne sont pas tenus à l’aveuglement. Dit autrement, je peux faire valoir mes origines auprès de mes voisins mais pas auprès du juge, en tout cas pas pour obtenir un avantage. La République ne reconnait donc pas d’ascendants ni de descendants, seulement des héritiers, soit une inscription symbolique dans l’ordre des générations. nous voilà tous des sujets historiques de l’humanité tout entière (je suis partie d’un tout et tout de l’humanité est en moi), tout le génie humain m’est destiné : il n’y a pas de progrès de la connaissance qui soit coloré. La connaissance du réel est un droit car c’est un acquis de l’humanité, ce que n’est pas la culture.

De fait, je suis une recombinaison de gènes déjà sacrément recombinés, sans compter que l’eau de mon corps change totalement tous les quelques mois. Plus encore, je suis fait d’atomes qui ont déjà servis à de nombreuses reprises, rendus à la nature à la mort des assemblages précédents. Assemblages d’atomes précédents, humains ou pas, que je ne peux pas appeler propriétaires raisonnablement, ni même locataires. Mes atomes descendent donc d’un nombre incalculable d’être vivants, dont je ne suis pas censé être le descendant pour autant. On réserve ce terme à une relation identitaire sexuée, chromosomique quand on a su. A cause ou grâce à la sexualité dont je suis issu, et qui me fonde, je suis identifié, identifiable. Ce non-choix est une assignation à résidence corporelle. Mais on devrait déjà dire était, car l’on voit que nombre de personnes refusent d’être assignées, par exemple à un sexe, et parfois à une couleur de peau ou un âge. Je connais deux exemples significatif de l’époque : un homme de 50 se sent plutôt 40 et réclament à l’état civil de changer sa date de naissance ; une jeune allemande blonde avec des  yeux bleus, avec des dreadlocks, revendique auprès de la justice de son pays d’être considérée comme noire car c’est comme cela qu’elle se ressent. Il me semble que dans ces cas-là, il y a le refus d’être un descendant, d’être assigné à une origine génétique et historique.

On pourrait prendre aussi en exemple la gauche que j’ai appelée « patchwoke » plus haut, car elle est plurielle. Elle revendique un dégagement du corps perçu comme une assignation injustifiable. J’entends dans un reportage sur les dysphories de genre, qu’un enfant ne serait pas né dans le bon corps. Bien sûr, la journaliste woke qui prononce cette phrase peut dire plus loin en toute tranquillité : « on ne nait pas femme on le devient. » Peu importe que l’on approuve ou pas, la question ici est de noter qu’il y a une volonté de rupture avec les origines, ce qui est un fantasme d’auto-engendrement.

En ces temps, au tribunal, un homme « témoigne » de l’existence d’une seule divinité, la sienne, et s’en dit le serviteur (juste zélé). Il s’affirme héritier et à ce titre combat ceux qui ne veulent pas de l’héritage. Pourtant, dans sa religion, ce qu’il considère comme un héritage se transmet obligatoirement à sa descendance, ses enfants naîtront musulmans et mourront musulmans, et mourront s’ils refusent cette assignation… qui n’est donc pas ou plus un héritage, il n’y a plus rien de symbolique, la croyance devient génétique. Dans d’autres religions du Livre, il est possible de rester descendant uniquement pour les gènes, et de refuser l’héritage ; la laïcité est passée par là. C’est elle qui a permis et permet de les dissocier. Tiens ? Est-ce à dire que les patchwoke sont les héritiers de la laïcité ? Et bien, je pense qu’ils sont la figure de l’excès de cette dissociation essentielle. En refusant les origines, l’ascendance, en étant libre de l’accuser de tous les maux et de la condamner à la stérilité, ils ne font que se comporter en héritier de la liberté du Sujet. Il est étrange de voir de tels héritiers dire qu’ils refusent l’héritage qu’ils incarnent pourtant jusqu’à la caricature. La gauche patchwoke va au bout du bout de la logique du Sujet libéré institué par les Lumières, comme les radicalisés religieux vont au bout de la logique en assumant la radicalité du texte, sans interroger sa constitution historique ; ce qui serait la moindre des prudences quand on joue sa peau et accessoirement celle des autres. La radicalisation ici, c’est prendre une partie de l’héritage (supposé) comme un objet, un totem ou un fétiche, alors que l’héritage fondamentalement est un choix, un tri, une appropriation sélective, une transformation, une digestion, enfin une reformulation.

Dans le cas des patchwoke, en trahissant supposément leurs origines, en jugeant leurs ancêtres et en déboulonnant les statues, ils incarnent l’ingratitude et l’infidélité qui sont des infamies pour les seconds, le comble de la barbarie. Quoique les seconds peuvent martyriser leurs parents au nom des ancêtres. Oui la Liberté laïque est une barbarie pour les terroristes qui se tuent à nous le dire, nous sommes leurs barbares car infidèles… aux ancêtres, tels qu’ils les rêvent bien sûr. Pourtant, donner tort à ses ancêtres au nom de la vérité, est l’essence même de la laïcité, c’est mettre la vérité, la raison, la démonstration critique, au-dessus de ses liens de sang. C’est être citoyen-philosophe. Ce qui parait être une trahison des ancêtres est une célébration, une fidélité à leur esprit.

La fidélité (je ne parle pas de la conjugale) est une valeur essentielle chez tous les individus, on peut l’être jusqu’à la mort, jusqu’à en mourir. Mais nous ne sommes pas forcément fidèles aux mêmes choses. Des gens sont fidèles à leur engagement politique ou religieux professionnel ou amoureux (même l’infidélité est une fidélité à l’exaltation amoureuse), à la beauté du geste, à la jouissance coûte que coûte, à une idée… Et les traitres sont toujours condamnés, jamais félicités. Je vous invite à explorer vos fidélités. Pourtant la laïcité, dont j’ai dit qu’elle était une paire de ciseaux, constitue le Sujet libre, donc le traitre, ou plutôt l’ingrat. Elle lui enjoint, dans le même temps, d’être fidèle à cette démarche libératrice, pour chacune chacun d’entre nous. On sait bien que Soit libre est une injonction paradoxale, contrairement à Obéis et tu seras sauvé. Alors il faut accepter que la laïcité se constitue sur injonction paradoxale, et accepter la difficulté à l’être en s’y soumettant. Pour que cette injonction ne soit pas tout-à-fait paradoxale, il faut que la liberté du Sujet, être Sujet, soit la nature même du Sujet.

Libre par nature, c’est justement ce que refusent les religions qui considèrent les êtres humains comme des créatures en dette avec leur Créateur. Comment dès lors être laïque tout en étant croyant ? Ce qui est courant évidemment, en séparant la réalité interne de la réalité externe (la laïcité est coupure, une limite, une frontière); en distinguant le symbole de la chose ou de l’acte (Charlie est à cet endroit) ; donc en ne sacrifiant pas la vie, des vivants, à des morts ou des absents (voir le refus du sacrifice d’Isaac).

Oui mais le mouvement woke vient des USA et non pas de la France me direz-vous ! Oui, mais je crois que les américains woke – qui ont repris la french theory de la déconstruction – sont plutôt dans un mouvement de sécularisation d’un concept chrétien : l’âme, les bonnes et les mauvaises, qu’ils veulent trier à la manière de St Pierre au porte du paradis. Je ne sais pas si on peut aller plus loin dans la sécularisation que la sécularisation de l’âme, et ce qui va avec : le sexe des anges… dont on sait qu’ils n’en ont pas. Nous en reparlerons.

Et les Talibans et autres radicalisés ? Peut-être pensent-ils qu’il y a trop de gens qui traitent leur divinité dans sa dimension symbolique, comme un héritage donc, et non pas comme la réalité suprême dont nous serions les descendants ingrats. 

Cliquer sur le lien ci-dessous pour accéder à l’affiche

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Je mets à votre disposition cette affiche, sous copyright. Si vous désirez l’utiliser, merci de me contacter préalablement

montseveroux.larbreapalabres@gmail.com

J’ai créé cette affiche comme un procédé mnémotechnique, pour penser et parler la laïcité dans sa dynamique historique philosophique, donc politique, mais aussi psychologique.

Je me dégage d’une approche juridique qui clôt le débat au lieu de l’ouvrir. ; il suffirait de s’en remettre aux juristes. Je me refuse également à la réduire à la loi de 1905, à la liberté de conscience et à la séparation de l’État et des églises. Cette réduction est une manoeuvre destinée à réintroduire les religions dans les champs politique et éducatif d’une part, et d’autre part à négliger la dimension sociale que porte son histoire via les concepts d’Egalité et de Fraternité. En clair, la loi de 1905 permet à des adversaires politiques de s’allier pour la combattre en prétendant se combattre.

Avec une approche psychologique, on peut mesurer les difficultés auxquelles nous sommes tous confrontés ; aussi son caractère révolutionnaire, toujours révolutionnaire, donc inatteignable.

De mon point de vue, nous ne sommes pas une société laïque, seulement à vocation laïque, aussi il est aisé de lui trouver des manques et des défauts, et je lui en trouve. Mais on peut les mettre au travail au lieu de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Je vous souhaite une belle enquête.

Il y a quelque chose de toujours plus effrayant dans ces meurtres commis par des fanatiques musulmans : ils oscillent entre fait divers, le fait d’un fou, et fait de société, impossible à traiter à cause de la lutte des factions politiques pour le pouvoir.

On sait peu, voire pas de choses sur les motivations

Oui, mais c’est vrai pour tous les meurtres commis par des fanatiques car, même ceux qui échappent à la mort sont bien en peine de motiver leur acte au-delà d’un discours convenu. Ils ne « parlent » pas, ils répètent. Peut-être est-ce cela la motivation ? Répéter, comme un disque rayé, arrêter le temps, le figer, et vivre mort pour l’éternité. 

Pourquoi ont-ils besoin de l’autre pour vivre morts ?

Il semble qu’ils ne puissent pas vivre avec nous mais pas sans non plus. Ils pourraient se suicider, partir ou rester vivre dans un pays à religion d’Etat, mais non, ils viennent, ou deviennent, attirés par un problème insoluble pour eux semble-t-il, et que nous incarnons. Je pense que ce qui les fascine, et les angoisse, c’est la créativité sociale et sociétale de nos pays. Les conventions sociales en mouvement, les identités fluides, la transformation des rapports de pouvoir et entre les sexes, les marqueurs de virilité, sont difficiles à lire pour des personnes qui ont besoin de rites stables voire immuables ; s’ils sont à leur profit bien sûr. Tout dans nos sociétés ressemble pour eux à une fuite en avant, donc à un meurtre des ancêtres, qui n’est que l’ébranlement de leurs appuis.

Le rapport à la parole ?

Nous sommes des sociétés du « moi je pense », même « les gens qui ne sont rien » peuvent dire « moi je pense », c’est ça l’Egalité et la Liberté. Ça fait du monde, et cette phrase est un blasphème mais aussi une épreuve psychique car la réalité, le nombre, fait que si tous parlent, peu sont écoutés. C’est réellement épuisant cette incertitude permanente, cette désobéissance (relative !), ce mouvement perpétuel ; il y a des gens que ça déstabilise complètement. Ils aimeraient sûrement savoir faire, ça les fascinent probablement, mais ils n’y arrivent pas. Ils en crèvent. Et s’ils pouvaient nous tuer tous, ils le feraient. Dire le nombre de morts du fanatisme musulman est anecdotique car ça ne correspond en rien à l’objectif. Stéphanie M est morte égorgée et seule, parce que son assassin n’avait pas de kalach. Mais comme il n’en a pas cherché semble-t-il, alors on peut penser qu’il a admis sa petitesse, et conçu un meurtre à son image quelqu’un de déprimé incapable de concevoir un meurtre à plus grande échelle. Ceux qui veulent réduire  ce meurtre à celui d’un fou (il n’y a aucun enseignement à en tirer et ceux qui font cela instrumentalisent), ferait bien d’y réfléchir une seconde fois.

La France, sa laïcité représente… ?

Représentait ce qu’il ne saurait jamais être probablement, après avoir essayé semble-t-il. Les fanatiques pensent, et c’est leur problème, ils aiment la pensée, mais elle est coupable dans leur religion, c’est dieu qui pensent, ils ne doivent trouver leur dignité que dans l’obéissance. Ils sont créatifs ? C’est un blasphème car seul dieu crée. S’ils ont besoin d’une cohérence interne, s’ils croient aux mots, alors ils ne leur restent plus qu’à consacrer leur intelligence à l’obéissance et la soumission, car il est impossible de ne pas exercer son intelligence. Vous-même, si vous êtes courageux, vous observerez que nombre de personnes consacrent leur intelligence à des choses stupides et qui ne sont en rien religieuses. C’est même ce qui fait la force de notre système économique et politique. C’est aussi ça que les fanatiques veulent tuer : cette espèce d’insouciance supérieure, cette désinvolture, cette négligence, cette ingratitude ; ce qu’ils jugent comme tel bien sûr. D’autant plus que c’est le privilège que leur dieu leur a octroyé, et que la laïcité leur retire et moque d’une certaine manière.

Lutte avec ou sans fin ?

Il y a bien sûr des violences qui ne prendront jamais fin, et des luttes intimes itou. Ce que l’on ne peut pas faire cesser, c’est de faire souffrir psychiquement l’autre par notre seule existence. Si une religion déclare que notre existence est un problème, que le lien est impossible entre gens différents, chacun étant assimilé à sa culture, alors il ne faut pas se bercer d’illusions, elle trouvera toujours des adeptes pour joindre le geste à la parole. Et nous ne pourrons jamais renoncer à la liberté de penser, eux-mêmes n’y arrivent pas. Qu’est-ce qui peut prendre fin, se régler, sans trancher dans le vif du corps social ? Que faut-il faire pour que le lien entre nous soit possible et jamais coupé ? La laïcité, construite lentement et dans l’adversité, répond : la vie de l’autre (donc la nôtre) doit être érigée en valeur suprême, avant toute croyance. Soit, la parole des hommes fait loi avant La parole divine(s). Le fanatique, ici musulman, c’est celui qui, parlant au nom de dieu, me coupe le siège de la parole, ou se fait sourd. Si nous renonçons à la parole, nous renonçons à la liberté, donc à la vie. Le fanatique est ce bandit de grands chemins qui, lors d’un guet-apens, saute du divan du psy et expose son conflit interne une arme à la main, et nous dit : « la parole ou la vie ? ». On pourrait lui répondre, s’il n’était sourd : « malheureux, tu ne sauras rien faire ni de l’une ni de l’autre ! ».

“Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?” Voltaire

En pensant à Stéphanie M. Notre compatriote et notre semblable.

Les adeptes de la cancel culture jouissent d’être débarrassés de tout sentiment de culpabilité. Ils s’auto-proclament juges quand ils dégainent le glaive de la justice dans le même temps qu’ils jettent la balance et le bandeau. Les appels à la prudence face à la complexité, à la défense de la liberté d’expression, au respect du débat contradictoire ou de la présomption d’innocence, restent sans effet. Quelle est la logique interne de cette conduite ?

D’abord est-ce nouveau ?

Pas sûr. Le conflit entre un ordre établi, supposément soutenu par une majorité conformiste et complice, et ceux, supposément conscients et subversifs, qui en dénonceraient l’injustice, est vieux comme le monde. Il a pris une autre forme avec la naissance d’une opinion publique, elle n’a pas toujours existé, liée aux moyens de communications, à la massification des moyens de communication, à la liberté de parole ; il n’y a pas de cancel culture dans des pays où la parole n’est pas suffisamment libérée par le pouvoir politique. On peut déjà penser que la cancel culture est un effet secondaire indésirable (iatrogène) d’une liberté de parole désirable, et de l’utilisation des nouvelles technologies. Et donc les cancelleurs des gens qui se laissent dominés par l’outil.

L’outil a des défauts ?

Le pouvoir appartenant à celui qui impose son diagnostic, car il induit les solutions, il s’agit dès lors pour les minorités ou groupuscules de l’imposer par n’importe quel moyen ; la fin justifiant les moyens. C’est la règle du jeu de la démocratie représentative qui ne cesse de nous montrer ses limites ! Elle ne permet pas d’établir collectivement et sereinement un diagnostic. Elle oblige à hausser le ton pour se faire entendre et transforme les acteurs en belligérants.

Mais parler à plusieurs millions de personnes est impossible sauf à sacrifier la complexité de sa pensée, de la situation. La logique de ce désir pousse à se grouper par mot-clé, au conformisme, à la rumeur, à la paranoïa, à la manipulation. Oui, les manipulateurs ont un terrain de jeu extraordinaire et ils ne s’en privent pas ; mais l’outil lui-même pousse à la manipulation, plutôt à une nouvelle forme de manipulation car les réseaux sociaux ne l’ont pas inventée. Bien sûr, l’outil n’est responsable de rien, comme le couteau de cuisine qui n’est pas responsable du meurtre, il a simplement un pouvoir que l’on doit apprendre à ne pas utiliser dans n’importe quelle circonstance.

Un exemple d’une mauvaise utilisation d’un outil ?

Je vais en parler à partir d’une anecdote personnelle pour illustrer le comportement des activistes, des anti-racistes dans mon exemple, que je qualifierai de saint-Pierristes. Un homme politique se fait attaquer par un tweet à caractère raciste ; un ami, militant anti-raciste, qui l’encourage à porter l’affaire en justice,  me demande si je condamne le tweeteur. Comme je ne suis ni procureur ni juge et que je fais la différence entre le racisme (un acte ou appel à un acte) et l’expression à caractère raciste (une opinion), je ne condamne pas ; je déplore. Impossible d’en débattre plus avant : de son point de vue, ce genre de tweeteurs doivent être condamnés, sortis du théâtre de la parole, mis hors d’état de nuire. Je lui deviens suspect, malgré mes états de service, voire complice.

Cet ami, dans la pureté de l’amour anti-raciste qu’il s’attribue explicitement, ne pense pas sa logique comme étant celle d’Augustin, un saint des chrétiens :  « Il y a une persécution injuste, celle que font subir les impies à l’Église du Christ ; et il y a une persécution juste, celle que font les Églises aux impies… L’Eglise persécute par amour et les impies par cruauté. » Si les mots ont un sens, ce n’est pas de la radicalisation, c’est du fanatisme. Il me semble que c’est la logique folle qui menace d’emporter les mouvements anti-racistes quand ils se font cancelleurs.

Saint-Pierrisme ? St Pierre attitude ?

On pourrait dire que cet ami est atteint par le syndrome de St Augustin, mais  je vais préférer celui de St Pierre pour penser les conséquences politiques de la logique de cet antiracisme-là. Dans l’imagerie populaire, les blagues, St Pierre est celui qui, aux portes du paradis, accueille les morts, les juge et les oriente ; qui vers l’enfer, qui vers le paradis, en fonction des actions de chacun sur terre.  Ainsi, ne vont au paradis que ceux qui feraient la preuve de leur mérite ; les autres sont envoyés sans pitié en enfer (La miséricorde divine a des limites, et eux aussi), « cancelled » dira-t-on aujourd’hui ! Pas étonnant dès lors que les choses se passent bien au paradis après une telle sélection. Mais force est de constater que c’est au prix de se débarrasser de ceux qui ont failli malgré les avertissements réitérées ; au prix d’un entre-soi. Très clairement au prix d’un sacrifice : la parole. Il doit régner un silence d’enfer au paradis ! C’est le prix à payer. Et de fait, on ne parle plus de rien avec cet ami saint-Pierriste ; la suspicion est une arme d’appauvrissement massive.

Leur paradis, si c’est sur terre ? C’est l’enfer !

Oui, comme il n’y a pas d’ailleurs, il ne reste que l’exclusion du champ de la parole et de la relation ; c’est la définition du tabou tel que les anthropologues l’ont découvert dans les îles du pacifique où il n’y avait pas de prison pour les hors-la-loi. Seulement la prison psychologique, l’annulation par la non-relation.

Conséquences politiques ?

Si toutes les bonnes âmes auto-proclamées (les activistes) usurpent le rôle de St Pierre, s’ils sont atteints par ce syndrome, alors ils ne cesseront de trier et condamner à l’enfer du silence les mauvaises âmes. En toute innocence et sans l’ombre d’un sentiment de culpabilité. Est-il possible que les autres ainsi désignés admettent la légitimité de ces petits St Pierre et leurs sentences ? Evidemment non. Ce saint-Pierrisme, parce qu’il n’a pas de légitimité, pas plus divine qu’au regard des droits universels de l’homme et du citoyen, est porteur d’une violence qui n’a rien de subversif, rien d’émancipateur. Ce saint-Pierrisme génère une grande violence, symbolique a minima, car il se veut « purifiant » comme le feu, « désinfectant » en quelque sorte. On comprend dès lors que l’universalisme laïque, par définition respectueux de l’intégrité de l’autre, mais pas de ses croyances, pose un problème aux purificateurs.

Bien sûr, les médias mainstream ne sont pas pour rien dans la frustration que peuvent ressentir des populations en manque de représentation et de temps de parole : par exemple, les syndicats qui ne bénéficient que de très peu de temps d’antenne quelle que soit la longueur des défilés. La population est réduite à son statut de consommatrice et non pas de productrice de sens ; il est inévitable que parfois elle s’emballe quand des moyens sont mis à sa disposition.

Le saint-Pierrisme comme radicalisation

En tout cas, je ne le veux pas comme une insulte, une interprétation tarte à la crème à jeter à la figure des activistes. Je ne veux pas participer au pugilat fut-il démocratique. Nommer le saint-Pierrisme  est plutôt une mise en garde, une invitation à penser notre posture en politique, les uns comme les autres, car nous pouvons tous glisser de la radicalisation au fanatisme. Ce ne sera jamais une bonne idée que de condamner quelqu’un à se taire, à l’annulation, à le retrancher de l’humanité. Une leçon que l’on doit garder à l’esprit : se déclarer éveillé (woke ici) face à la masse déclarée aveugle, à guider, est le B.A BA de la politique (vous vérifierez), par exemple les libéraux et les économistes orthodoxes sont sur le même registre de l’annulation de l’autre (à peine quelques milliards, mais pas les mêmes) mais avec d’autres mots (la gouvernance) ; bataille entre élites donc. Et s’ils étaient des manifestations différentes de la même maladie ? C’est mon opinion.

Et si la laïcité, celle qui disqualifie le concept de pureté dans le vocabulaire politique, donc économique, était la seule solution pacifique ?

Cliquer sur cet espace blanc pour accéder au livret Laïcité de la CGT. Mon commentaire suit.

La CGT vient de publier un livret sur la laïcité où elle expose sa conception de la laïcité et les actions possibles en entreprise concernant le fait religieux.  Comme c’est un acteur majeur du débat, et qu’elle opère un glissement communautariste et anti-universaliste que je juge contraire à son engagement historique pour “l’émancipation des masses”,  j’ai pris la peine d’adresser des commentaires à la secrétaire confédérale en charge de la laïcité. Je vous les livre.

 

A l’attention de Mme Nathalie VERDEIL

Secrétaire confédérale et pilote du groupe de travail Laïcité

Bonjour Madame,

(..)

Un ami vient de me faire suivre votre document Laïcité, garante des libertés, de février 2021. (..)

La CGT fait sienne la conception de J. Baubérot : la laïcité comme oeucuménisme. Mais la laïcité n’est pas un oeucuménisme et ne l’a jamais été,  c’est un anti-cléricalisme car c’est un anti-fascisme, un anti-féodalisme, un anti-obscurantisme, très loin donc de ce vous défendez désormais. Je prétends, Madame, qu’avec ce glissement, la  CGT ne respecte pas son histoire et sa mission fondamentale.

Parenthèse. Vous avez noté j’en suis sûr, que la laïcité concordataire de Baubérot est celle du  RN ; la différence concernant l’islam ne change rien sur le fond.

Je vais reprendre votre édito, puis l’introduction, car tout y est.

L’argument du « prétexte d’une lutte contre l’islamisme radical » (?) pour atteindre les musulmans dans leur ensemble, dit l’amalgame que vous faites en le dénonçant chez les autres d’une part, il dit aussi cette posture intellectuelle de base d’autre part : ne jamais hurler avec les loups. Aussi toute analyse provenant d’un « loup » présumé est discrédité et la cible devient une victime à défendre ; quitte à tout relativiser. Ce discours en contre, fait du RN la référence à toute votre construction.

«  .. et l’émancipation ». En quoi une croyance religieuse quelconque qui nierait le réel, la science (l’obscurantisme), la liberté du sujet (le cléricalisme) et l’égalité  entre les personnes (le féodalisme), est-elle à défendre au titre de l’émancipation ? Pourriez-vous donner votre définition actuelle de « l’émancipation » ? C’est peut-être la clé qu’il me manque pour comprendre votre logique et vos revendications identitaires.

« ..Attachée aux libertés, ». Oui mais celle dont vous parlez, et que défend Baubérot et consorts, c’est la liberté d’entreprendre, celle de l’homme mais pas du citoyen, la liberté des anglo-saxons que vous prenez pour du progressisme : jouir sans entrave. Or la Liberté laïque, ce sont des contraintes, des limites : cette liberté qui ne retire rien à l’autre, celle qui fait que je neutralise en moi certaines choses pour ne pas gêner l’autre ; cette Liberté contraint tout désir d’emprise sur l’autre. Si on déplie cette Liberté sur le plan économique et écologique –  les contraintes qu’elle ferait peser sur la folie du système – on comprend pourquoi le communautarisme anglo-saxon l’attaque frontalement, mais pas pourquoi la CGT y renonce quand il s’agit de religion.

« …de la liberté religieuse  dans la cité et notamment dans l’entreprise ». Vous faites une déclinaison indue à partir d’un postulat faux bien qu’il paraisse vrai voire évident. Il n’y a pas de liberté religieuse dans une République laïque au sens où l’on fait ce que l’on veut au nom de sa religion. La conscience est libre, y compris religieuse, ainsi que son expression, mais la pratique ne l’est pas et ne peut pas l’être. Et c’est heureux car vous seriez la première à vous dresser, j’en suis sûr, si quelqu’un revendiquait le droit de battre sa femme, de tuer son fils homosexuel ou sa fille apostat, au nom de sa liberté religieuse.

Vous utilisez la liberté comme un bélier. Mais je vous vois mal défendre la liberté de porter un tee-shirt « mort aux militants CGT »  sous prétexte de religion ou de liberté d’exprimer ses opinions. Je vous vois mal revendiquer une salle de prière pour les pastafaristes au nom de cette même liberté, ou le port du couteau traditionnel pour les Sikhs ; il va falloir vous y préparer cependant, car des « laïcards » vous mettront face à vos contradictions avec des revendications de ce genre.

« .. la fraternité,.. ». Vous l’écrivez avec un f minuscule, or il s’agit d’un F majuscule pour ce qui concerne la Fraternité laïque. La Fraternité n’est pas la déclinaison sécularisée de la fraternité chrétienne : tous frères en un seul dieu ; elle est la clé de voûte de tout le système laïque : tous nés libres et égaux en droit ; elle est la responsabilité vis-à-vis du plus faible qui doit devenir libre par l’instruction car il est né symboliquement libre et doit le rester. Le plus faible en l’occurence est une plus faible : c’est la fille de l’intégriste, même si le père réclame sa liberté d’emprise sur son enfant. La Fraternité nous oblige, et c’est une contrainte du groupe sur la folie des individus. C’est pour cela qu’il y a des droits de l’homme (ses désirs) et du citoyen (ses devoirs vis-à-vis de la collectivité). Où est la CGT sur la défense de cette enfant ?

« .. l’Etat est laïc,.. » pas les personnes. Laïc s’attribue principalement aux croyants qui ne font pas partie du clergé ; laïque s’applique au féminin comme au masculin en se dégageant de la question religieuse. Par exemple, je suis un laïque et non pas un laïc, contrairement à Baubérot et Dharréville. L’Etat est laïque et non pas laïc car la croyance ne fait plus référence ; le fait religieux n’est plus le centre de gravité de l’organisation sociale. La croyance religieuse est une croyance comme une autre, au même titre qu’un croyance individuelle et récente ; elle n’a pas à bénéficier d’un traitement privilégié au nom du nombre ou de l’antériorité.  C’est vrai que c’est un déclassement, et que c’est douloureux, mais c’est le prix à payer pour être laïque.

Même le pape peut être laïque, c’est-à-dire respectueux des règles de la communauté des hommes ; c’est tout ce que l’on demande à quelqu’un pour être un citoyen, donc un laïque. La Liberté nous contraint à cet endroit à être ce genre de laïques. Cela veut dire que je ne peux pas opposer mon sacré particulier au sacré de la communauté des hommes : la sûreté et la sécurité de la personne, sa liberté. Il y a du sacré dans une République laïque.

Personne ne serait obligé d’être laïc (laïque) dites-vous ? Alors comment ferait-on si tous étaient croyants ? Qui pour pour être élu et neutre ? Qui pour nous représenter tous à la fois ? Quid de l’Egalité dans ce cas-là, puisque nous sommes tous susceptibles d’être élus, donc représentant neutre des autres ? Il faudrait qu’il y ait toujours assez d’athées pour représenter l’Etat si je comprends bien. Cet argument : l’Etat laïc mais pas moi, c’est le retour de l’obscurantisme et du cléricalisme ;  accorder de la valeur à cet argument, c’est militer pour le retour des religions en politique, c’est de la naïveté vis-à-vis du discours discriminant que tient les religions. C’est refuser de comprendre ce que signifie les séparations. Qu’elle est loin l’émancipation ! La vérité du contrat que l’Etat laïque passe avec un enfant qui vient de naitre c’est : tu es libre et notre égal par nature, même si tu es dépendant, et nous allons t’instruire pour que tu deviennes et reste, socialement, à la fois libre et égal. 

« Le droit au travail ne préconise pas de neutralité religieuse. » Voilà que la CGT fait du droit du travail un oracle maintenant ! Le juridisme n’est pas une pratique syndicale de masse, qui fait appel aux adhérents, aux salariés ; c’était celle des réformistes que vous reprenez pour la circonstance. La neutralité ne veut pas dire qu’il faudrait cesser d’être croyant – c’est un tour de passe-passe pour disqualifier le concept de neutralité – cela signifie que sa croyance ne doit pas être la référence aux conduites, à sa participation à l’intelligence collective, aux conventions. Il faudrait parler plutôt de neutralisation temporaire, de discrétion, de suspension : dans le temps et l’espace profane qui nous est commun, je dois me dégager de mon sacré personnel pour qu’il ne s’oppose pas au sacré particulier de l’autre. Il y a une préséance dans l’ordre du sacré. La loi commune, c’est ce qui neutralise nos lois personnelles, religieuses ou non, et c’est vrai partout en société y compris en entreprise. Ce sont les devoirs du citoyen qui contraignent les désirs de l’homme.

La séparation n’est pas exclusivement celle de l’Etat et des religions, il y a aussi des séparations identitaires à opérer pour vivre ensemble laïquement. La laïcité c’est une coupure symbolique entre moi, ma famille, mon groupe, mes illusions, mes désirs, ma volonté d’emprise, mon idéologie.. on peut appeler tout ça mes assignations,  celles que je dois penser pour les transformer en affiliations, c’est-à-dire en liens non fétichisés ; et ceci grâce à l’esprit critique censé souffler dans l’Education Nationale. Et ça fait mal une coupure, ça fait souffrir car ça sépare, mais c’est la condition pour être émancipé, libre ; pour être un Sujet. La CGT, en revendiquant que personne ne subisse de coupure symbolique – la croyance comme couleur de peau, une essentialisation donc – ne mesure pas l’impasse où cela nous conduit.

Plus brièvement sur l’introduction. 

« .. la convention européenne… ». Certes, mais l’Europe n’est pas laïque ; s’appuyer sur l’Europe, dans votre livret, pour parler de la laïcité en France est significatif de l’entrisme des prosélytes ; tout fait ventre. Pour mémoire, il y a des Landers en Allemagne où l’impôt pour une religion est obligatoire, comme sa déclaration, et perçu par l’administration. Il y a aussi en Europe une commission consultative qui réunit les religions monothéistes ; elles ont obtenu d’exclure les autres mouvements spirituels, notamment les libres penseurs. Sûrement au nom de la liberté de conscience.

« .. la liberté de pratiquer sa religion est reconnue.. ».  Vous savez la différence avec la France laïque qui va jusqu’à s’accorder le droit d’interdire des discours politiques dans les lieux de culte (l’anti-cléricalisme à quoi la classe ouvrière doit tant). Et la plupart des pratiques sont interdites car en infraction avec les droits humains les plus élémentaires. Mais vous faites preuve volontairement de naïveté vis-à-vis de l’obscurantisme religieux. Une infirmière, une institutrice, qui irait en formation avec un plat de pâtes sur la tête au nom de sa croyance pastafariste (religion reconnue officiellement en Nouvelle Zélande), ce qui ne trouble pas l’ordre public donc, userait-elle d’une liberté fondamentale ? Oui à vous en croire, au nom de la liberté, non au regard de l’Egalité.

« .. ainsi neutraliser.. ».  C’est le gros morceau. J’ai écrit un article sur mon site https://larbreapalabres.com Etat, neutralité et neutralisation, si vous voulez plus d’arguments. Et bien si, la laïcité, qui est un anti-cléricalisme, un anti-fascisme… puisqu’il a la charge de veiller à la Liberté et à l’Egalité de tous, y compris les plus faibles au nom de la Fraternité, enjoint chacun à la retenue pour que l’espace public ne soit pas approprié par quelques uns comme le serait un territoire. Il n’y a qu’un territoire, le territoire national où l’Etat exerce son pouvoir au nom de tous, ce qui permet que l’espace public reste accueillant, donc accessible à tous indépendamment des différences. Dans un tel espace, laïcisé donc, il est interdit de poser sa marque sans autorisation, d’en faire un territoire. Et un territoire ça se marque ou s’approprie par des rites, des habitus, des conventions etc..

L’espace public est un espace creux, creusé devrait-on dire pour la rime avec le creuset républicain, et non pas un espace vide que chacun peut occuper à sa façon, identitaire et communautaire. Voir mon article sur le même site Espaces, territoires, séparations et inclusions 1.

« Imposer .. du racisme. » On est d’accord pour dire que c’est le B.A.BA de la laïcité ; donc on attend votre condamnation du racialisme voire des racialistes.

«.. l’islamophobie, racisme, d’antisémitisme et de xénophobie ». Vous faites une association, en toute mauvaise foi j’en ai bien peur, qui révèle un choix idéologique. Le racisme et l’antisémitisme sont des actes délictueux ou des appels à des actes discriminatoires ; l’islamophobie et la xénophobie sont des sentiments, des opinions, donc des droits de conscience fondamentaux, que l’on n’a pas à justifier par la raison par définition ;  droits que vous défendiez plus haut. Mais il ne faut pas hurler avec les loups m’a-t-on appris quand j’étais militant. Au fait, vous me direz quelle société, notamment religieuse, est plus xénophile que la société française.

«.. nous revendiquons le droit de les critiquer toutes, .. ». Je ne trouve votre critique nulle part ! Il me semble que militant pour l’émancipation, elle devrait figurer en bonne place dans tout congrès, surtout en ces temps de montée des intégrismes religieux. N’est-ce pas Marx qui disait que la critique de la religion est la mère des critiques ? Il y a bien un livret pour lutter contre les idées du RN, mais je n’ai pas vu un livret pour lutter contre les idées rétrogrades des intégristes religieux de tout poil. Or en terme de scores et de prévisions, il n’y a pas photo. Bien sûr, c’est autrement plus dangereux, et je peux comprendre que les militants de la CGT reculent devant l’obstacle, mais ils peuvent le nommer au lieu de justifier leur évitement par l’évocation de la loi, d’une liberté, par l’oeucuménisme.

« .. en ne plaçant aucune opinion au-dessus… ». Vous savez pertinemment qu’il ne s’agit pas de cela avec l’exigence laïque, mais peut-être est-ce la page de l’universalisme que vous tournez sans le dire explicitement dans un congrès. Il s’agit pour un citoyen émancipé de faire la différence entre croire et savoir. Etre émancipé c’est admettre la réalité. Connaitre la réalité est un droit fondamental et c’est le rôle clé de l’Education Nationale que l’on déconstruit lentement ; admettre la réalité scientifique n’empêche pas d’être croyant ; mais croire que la terre est plate n’est pas à mettre à égalité avec admettre qu’elle est ronde. Il y a des opinions, des croyances, qui sont en vente libres, et des faits qu’il s’agit d’admettre pour vivre en société et en paix.

Merci de votre attention si vous êtes arrivée jusque là.

Bien évidemment, je me tiens à votre disposition si vous désiriez explorer plus précisément des arguments.

Bien à vous

Jacques Variengien

 

Nota, je prétends que la CGT ne respecte pas ses statuts historiques avec cette évolution du rapport au « fait religieux ».

Statuts de la CGT 2016   51 ème congrès

– «  préambule

Ouvert à toutes les diversités, riche des différences d’opinion, le syndicalisme dont l’ambition est d’être solidaire, uni et rassembleur, constitue pour les salariés un moyen essentiel pour relever les enjeux contemporains. »

– « Les principes d’égalité, de solidarité, d’écoute, de tolérance et d’épanouissement des diversités pour lesquels elle œuvre, animent la vie démocratique en son sein. »

L’épanouissement des diversités n’est pas une revendication laïque et universaliste, mais identitaire, communautariste, anti-universaliste, donc anti-laïque. Il serait très différent de dire : au-delà de différences individuelles, ou au-delà de la diversité de la culture de chacun, ce qui renverrait au statut social et tiendrait la lutte des classes comme la réalité structurante de nos sociétés. 

Par ailleurs, si nul ne peut être inquiété pour… il n’a pas à revendiquer de privilèges pour autant. Mais si vous n’avez pas publié de critique de la religion, si vous n’avez pas publié de critiques de l’universalisme, on ne peut rien vous discuter valablement.

Enfin, il n’y a aucune richesse dans la multitude d’opinions ou de religions – ce qui est vrai en cuisine ne l’est pas en politique – la seule richesse politique réside dans la qualité des arguments.

  • « Elle contribue à la construction d’une société solidaire, démocratique, de justice, d’égalité et de liberté qui réponde aux besoins et à l’épanouissement individuel et collectif des hommes et des femmes « . « Elle milite en faveur des droits de l’homme et de la paix. »

Tiens, les droits du citoyen ont disparu ! Dommage car c’est ce qui fonde le social non libertarien, la laïcité.

Il se déroule sous nos yeux une bataille de tous les instants et sur tous les fronts, pour créer et s’accaparer un territoire, là où la République, laïque, pense en terme d’espace public, en creux. Il faut reprendre cette distinction qui s’articule à celle de la neutralité de l’Etat et la neutralisation des volontés d’emprise, traitées précédemment. Ces distinctions sont essentielles pour penser l’actualité, mais aussi la laïcité ; c’est-à-dire en quoi elle est LA solution qui permet des inclusions pacifiques.

On peut préciser les termes

L’espace est une étendue, une dimension, mais aussi une durée. C’est un terme plutôt neutre qui définit quelque chose qui existerait sans les êtres humains, et qui peut s’en passer. Le territoire  est une création de l’être humain, c’est un espace qu’il balise, qu’il marque, où il exerce son pouvoir et sa puissance, individuellement ou collectivement.

La France est-elle un territoire ?

Avant, elle était un royaume, donc le territoire du Roi. Les individus étaient les sujets du Roi, mais aussi les sujets de dieu car les deux territoires coexistaient (2% de la population, la noblesse et le clergé, possédaient 80% des richesses). Il y avait aussi des territoires communaux, des communs, gérés par des comités dont les femmes n’étaient pas exclues. Donc un territoire royal dans lequel s’emboitaient d’autres territoires subordonnés. On ne peut pas dire qu’il y avait un espace public !

Avec la révolution ?

Les révolutionnaires ont tout fait pour que l’Etat ne soit que la loi, donc le garant des libertés, et non pas le propriétaire. Il a fallu des décennies pour que tout ou presque soit privatisé, avec la réussite que l’on sait. Toutes les fonctions régaliennes n’ont pas été récupérées cependant : le notariat, des greffes du commerce, l’huissier, sont restés des charges privées alors qu’elles sont des fonctions régaliennes. Mais dans ce mouvement de récupération de la justice, il s’est créé, d’abord un territoire national, une Nation française, et un espace public ou nul ne peut être inquiété pour ses opinions, croyances, etc.. Littéralement, ça veut dire qu’il y a une transformation et du lieu et des individus : là où est l’espace public, je deviens un membre du public, un parmi les autres, un comme les autres ; jamais minoritaire, jamais majoritaire. C’est une pure fiction bien sûr, mais cette transformation permet à chacun d’être à soi-même son propre territoire, inviolable, dans la mesure où il accepte la réciproque, c’est-à-dire de respecter l’autre. La façon attendue pour marquer cette acceptation est la discrétion, la retenue, la désacralisation de son sacré au profit d’un sacré primordial : la vie de l’autre, sa sécurité. Il y a du sacré en laïcité, et il serait bon de le déplier correctement au lieu de s’en tenir à la seule propriété privée.

Complexe

Pas courant peut-être. La civilité consiste à marquer par des comportements, des phrases convenues, que l’on ne veut pas exercer d’emprise sur l’autre, entrer dans un bras de force ou quelqu’un devra se soumettre. On voit bien d’ailleurs quand on est au bord du lac, le désagrément que cause les jeunes qui écoutent leur musique à fond, portes ouvertes. On le prend bien pour un mépris, une volonté de marquer le territoire, une humiliation etc… Quand des jeunes font cela, ils transforment l’espace public en territoire.

Il y a beaucoup d’envahissement de l’espace public alors

Oui, la publicité est un exemple peu cité, mais il y a aussi le langage et l’écriture qui sont des champs de batailles féroces aujourd’hui, bien au-delà du cercle habituel de l’adolescence. Il y a aussi l’économie qui s’approprie la totalité de l’espace. Il faut penser que l’espace public nécessite notre contribution, on rajoute quelque chose au bien commun en étant respectueux, en retirant la violence de sa présence autant que possible ; le territoire au contraire c’est ce qui est retiré aux autres. On voit que dès qu’il y a du territoire il y a de la violence et des conflits potentiels. C’est pour cette raison que le territoire national devrait transcender tous les territoires privés. C’est pour cette raison également que les territoires nationaux doivent respecter des règles pour ne pas entrer en conflit.

Plus précisément

Dans l’espace public, les intérêts de tous sont ménagés, y compris les absents, ce qui n’est pas le cas du territoire qui doit être marqué en permanence. Un territoire doit être défendu car notre absence est au risque de la destitution, le territoire c’est le degré zéro de la relation à l’autre, une certaine forme de paranoïa ; la discrimination (au sens propre) en est la règle : il faut être identifié, on en fait partie ou pas. Il n’y a rien d’inclusif dans un territoire. L’espace au contraire permet l’absence car je suis toujours présent symboliquement, moi personnellement en tant que je suis un être humain comme les autres. C’est un lieu que je partage toujours symboliquement car personne ne se l’approprie en mon absence.

Pas simple

Il y a des résistances que l’on ne changera pas. Par exemple les adolescents : tous les adolescents du monde ont besoin de créer une enclave à l’abri des adultes, par le langage, les vêtements, la musique, les héros etc… Notre société les intruse systématiquement, ils ont beau repousser les limites, il y a toujours des adultes pour s’immiscer. Le frottement entre les territoires adolescents et l’espace public on ne le règlera pas à coups de flingues, ni de flingues éducatifs. Mais leurs comportements est symptomatique d’une conception de l’espace qu’il est intéressant de penser. Etant dans une conception territoriale, il voit spontanément   du vide là où nous pensons avoir mis du creux. Ils pensent qu’il est déserté là où nous l’avons rempli symboliquement de l’absent, théoriquement neutralisé des volontés d’emprise. Quiproquo persistant surtout si l’on n’en parle jamais.

Mais ils ne sont pas les seuls

Oui, et c’est cela le plus grave. L’espace public neutralisé – le creux, notre construction commune, la matrice – est envahi de toute part désormais, c’est un champ de bataille. Nombreux sont les groupes qui le pensent vide. Les ados, mais aussi des croyants, les activistes de tout bord, les cultures différentes, exotiques ou anglo-saxonnes, les marchands etc.. C’est bien qu’il a du se passer quelque chose ces dernières années, l’espace public a dû être vidé de notre présence, dé-constitué, déconstruit (?), ce qui le maintenait creux a dû, soit disparaitre, soit au contraire être colonisé par un pouvoir illégitime : l’Etat français comme colon de la France. Dit autrement, notre système représentatif est malade car il se prend pour la démocratie, alors qu’il ne l’est pas. Comment avoir un Etat légitime avec un pouvoir de coercition légitime, garant du creux de l’espace public qu’il doit neutralisé, avec des élus qui le sont de moins en moins ? C’est tout simplement impossible.

C’est à la fois obscur et angoissant

Oui, c’est pour cela qu’il faut enquêter. Je n’ai pas d’hypothèses fermes et définitives, seulement des indices. On a vu les ados. On peut voir les immigrations de pays où la notion culturelle et politique d’espace public n’existe pas (on dit sans tiquer Terre d’islam pur certains pays mais pas Terre chrétienne pour désigner la France) ; il est logique que ça coince quand des gens pensent l’espace vide, libre d’appropriation donc, alors qu’il est creux, à ne pas marquer de son empreinte. 

Il y a l’avidité économique, la cupidité économique, qui amènent certains à s’approprier les ressources, les espaces, les corps même, ce qui donne le message qu’il faut se dépêcher de dépecer la bête puisqu’ils n’ont aucune légitimité démocratique à le faire. De mon point de vue, l’hallali a été donné par notre système économique ; il transforme tout en champ de bataille et n’a pas de limite ; il s’insinue dans toutes les manifestations de la vie, même les plus intimes. L’Etat de la planète, les inégalités sociales témoignent de cette  appropriation mortifère. On voit que les économies anglo-saxonnes, communautaristes, aiment bien cette conception de la liberté qui est celle d’entreprendre, de prendre, au mépris de la présence réelle ou symbolique de l’autre.

Les activistes et autres déconstructeurs, ont accusé réception de la règle du jeu. Au lieu de colmater les brèches avec les laïques pour refaire du creux, de la matrice, ils décolonisent le territoire national pour le coloniser à la découpe. Hélas, parmi les défenseurs (supposés) de la laïcité, il y a un vrai courant anti-social qui ne veut pas venir sur ce genre de lecture ; c’est-à-dire une élite qui ne veut pas faire une lecture sociale de la Liberté et de l’Egalité.

Peut-être faut-il s’arrêter là pour aujourd’hui. Le creux ça doit faire penser.

Oui, on devrait avoir des occasions de reprendre ces distinctions.

L’actualité m’oblige à devancer l’écriture d’une chronique sur le possessif. 

Tous les dictionnaires renvoient à la notion de possession, d’appropriation, même quand il s’agit d’un lien qui ne peut pas être de cet ordre. Mon enfant ou mon épouse par exemple, pourtant je ne peux pas posséder une personne ; l’universalisme est passée par là. N’en déplaise. Il faut donc reprendre la copie car ce raccourci langagier nous induit en erreur quand on débat.

Mon enfant, mon épouse… Une impossibilité 

Puisque je ne peux pas posséder une personne, c’est que ce pronom possessif est employé par erreur ; il faudrait dire, l’enfant dont je suis le père, la femme dont je suis l’époux (mon épousée serait juste, mais ça surprend quand je l’utilise). En revanche je peux dire ma maison ou mon chien, mon stylo, ma guitare, ma voiture. Il y a un grand nombre de choses que je possède, surtout des choses voire des animaux, mais encore plus de choses que je ne possède pas alors que je dis mon, ma. Ma planète ? Mon biotope. Mon avenir ?

Tiens, un souvenir. Dans un groupe de promeneurs botanistes, on fait un tour pour se présenter. Les hommes disent qui ils sont, les femmes disent qu’elles sont la femme d’untel. Quand mon tour arrive, après mon épousée, je dis qu’Odile est la femme dont je suis l’époux. Histoire de faire un commentaire que personne ne m’avait demandé bien sûr.

Des choses qui me possèdent et que je pense posséder ?

Oui, ma myopie par exemple. Je suis mon patrimoine génétique exprimé dans un contexte et pourtant c’est à moi, c’est moi : je suis myope et non pas porteur de myopie ou de calvitie. Ce truc qui est à moi me possède autant que je le possède. Je dis mon, parce que c’est moi qui aie la parole ; mais je n’ai pas le dernier mot pour autant. Je dis ma vie, et pourtant je sais que je suis son hôte, ce n’est pas moi qui décide de la date de péremption. Ma couleur de peau, ma taille, mon sexe, autant de choses qui font que je suis ça, et qui me possèdent autant qu’elles m’appartiennent. Ce genre de choses sont mon corps et donc mon destin (Freud). Des choses dont on voudrait se dégager aujourd’hui (le regard des autres dans mon identité), tout en en étant fier.

Comment faudrait-il énoncer les choses plus justement ?

Les lunettes dont je m’affuble ; la calvitie qui me caractérise, la couleur de peau que je tiens de l’histoire etc… C’est-à-dire indiquer la relation que j’entretiens et qui n’est pas ma possession mais seulement une relation particulière. Ce n’est pas très pratique et au final sans intérêt, à condition de ne pas généraliser imprudemment cette facilité de langage que permet le possessif.

Par exemple

Quand je dis : mon idée, je ne sais pas vraiment si c’est la mienne ou si je suis son homme, son porte-parole. Il y a des slogans, des idées toutes faites, des éléments de langage, des idéologies, que l’on reprend, que l’on croit penser mais qui nous pensent en fin de compte. Un psychanalyste anglais, W.Bion, appelle ça des pensées sans penseur. Je suis sûr que vous vous êtes surpris à dire des choses que nous ne pensiez pas vraiment, pousser par un copain à qui il faut répondre aux idées toutes faites par des idées toutes faites. Ce sentiment d’échanger des banalités est le signe que l’on n’échange pas de la pensée, qu’on ne possède pas les idées que l’on pose, mais qu’on s’en fait l’écho, le haut-parleur. Les éléments de langage en politique.

Comment savoir quand on pense ?

Je ne peux le savoir qu’après véritablement, et encore c’est à une condition – et c’est de cela dont je voulais vous parler – de ne pas m’identifier à l’argument que je vais poser, plus exactement à condition de repérer dans le fil du débat ce qui de moi s’est identifié à cet argument. Il faut rester dans cette posture du chasseur qui ramène au groupe une idée à partager, un argument, qui ne lui appartient pas, qui n’est pas lui, c’est seulement le fruit de sa compétence de chasseur/chercheur qu’il met met au service du groupe. D’autres ne l’auraient pas trouver, mais il doit se garder de s’identifier au fruit de sa recherche. Il devrait dire : cet argument que je présente, plutôt que j’ai un argument ou pire, mon argument. Etre un chasseur plutôt qu’un laboureur d’idées ou d’arguments.

Quel est le problème ? Tout le monde fait ça

Le problème c’est la réciprocité : croyant posséder un argument je suis possédé par lui. Je peux le défendre par la suite même s’il est mauvais, comme s’il s’agissait de moi. Le lâcher c’est avoir tort – la chose la plus dure au monde – alors qu’il s’agit seulement de l’écarter si par bonheur on s’aperçoit à temps qu’il n’est pas bon. On sait faire ça avec les feuilles de sa salade, mais on est prêt à mourir pour une mauvaise idée, un mauvais argument. La mort plutôt que se dédire. Soit le contraire de la posture philosophique que l’on est supposé apprendre à l’école, pour être libre, donc citoyen.

Tu vois ça à l’oeuvre ?

Oui, partout. C’est une attitude humaine que de s’identifier à ses pensées, ses idées, ses arguments, ses chaines. A tel point aujourd’hui, que certains réclament comme un droit fondamental, avec l’aide d’humanistes estampillés, d’être identifiés exclusivement à leur pensée, leur croyance, leur idéologie ; alors que c’est une pathologie de l’identité. Leur contester ce prétendu droit serait contester leur être même, donc de la haine, donc à condamner et à faire taire ;  mais c’est de l’obscurantisme.  Il peut s’expliquer sur le plan psychique, sur le plan politique aussi, mais pas sur le plan philosophique. 

Comment en sortir ?

Liberté Egalité Fraternité, c’est un effort intellectuel important qui est demandé là.  Il faut se méfier de soi, penser ses aliénations avant de penser celles des autres. Mais le pouvoir, la lutte pour en jouir, pour bénéficier de privilèges, pervertit la démarche philosophique vers la liberté. Encore et toujours cette fichue liberté que tout le monde veut, et dont personne ne veut. On voit bien que tous s’étripent sur cette notion. Et en même temps, il nous est impossible de la mettre sur la table pour l’explorer. Notre conception de la liberté est à géométrie variable, en fonction de nos besoins ; personne n’est pas prêt à l’explorer collectivement. C’est-à-dire prêt à en assumer les conséquences dans les domaines sociaux notamment, plus que sociétaux. La laïcité s’est construite pas à pas contre le féodalisme, le cléricalisme et l’obscurantisme ; on fait comme si le mot était la chose. Ça ne marche pas.