Pépites et grains de sable

Suite aux violences urbaines en lien chronologique avec la mort par balle du jeune Nahel, on entend de drôles de choses sur les plateaux tv.

Des associations de banlieues, qui se placent du côté de la population “populaire”, disent en toute innocence  que le système social serait injuste car il y a des “pépites” dans les banlieues. Elles parlent avec le référentiel libéral réformiste (l’égalité des chances) : il faudrait un ascenseur social pour les meilleurs, les fameuses “pépites” sinon c’est injuste. Ah bon ?

Mais quid des grains de sable ? Quid du minerai ? Quid des mauvais poètes, mauvais musiciens, des échoués scolaires, des handicapés, des analphabètes, des moches, des rebelles, des neuneus, des cons… ? Quid des invisibles ? Leur invisibilité serait logique car ils ne peuvent pas servir la machine ? ils ne seraient qu’une charge ? Un grain de sable dans notre chaussure ? Eux, il leur suffirait d’un service public de proximité et d’une grande surface commerciale pour qu’ils s’en tiennent, silencieux, à leur statut d’assistés/privilégiés ?

Dans un état laïque et/donc social, la question n’est pas celle de l’accès à l’élite des bien-nés  (les 1ers de cordée) et aux privilèges associées, justement ; c’est celle de la liberté individuelle donc des conditions de cette liberté : 1 l’autonomie financière pour ne pas être sous emprise, 2 la formation de l’esprit critique pour penser et se dégager de ses aliénations,  ses  assignations, (voire ses désirs de soumission) 3 le droit à la connaissance du réel, c’est un dû, soit l’instruction et une information qualitative.

Où sont les ateliers du formation du citoyen ? Qui sont le contraire des camps de rééducation du petit peuple que l’on nous propose à droite et à gauche.

Ce chemin on ne le prend pas car un tel citoyen est supposé ingérable pour l’élite (pyramide économique politique et religieuse), pour le maintien des privilèges, pour le maintien de l’ordre, qui passe par le silence de la masse. Proposer à ces populations “populaires”, comme troc, de faire émerger les uns contre la tranquillité, c’est compresser les autres comme un ressort qui nous pète au visage régulièrement.

La laïcité est un humanisme, voire une spiritualité, pas un économisme.

In memoriam           feu Les soulèvements de la terre

SUBVERSION. n. f.        Définition de l’académie française

■  Renversement ; il ne s’emploie qu’au figuré. La subversion de l’État. L’esprit de parti amène la subversion de tous les principes.

– Dans une démocratie démocratique, la mise en question du pouvoir – son organisation, la méthode, sa distribution, ses limites – que j’appelle subversion pour ma part car c’est au risque d’un retournement salutaire et non pas d’un délitement comme le suggère la définition, devrait être systématique et institutionnalisée. 

La constitution de 1958 a fermé les possibilités d’un questionnement pacifique via une Assemblée Constituante régulière ; nous sommes contraints par des députés et sénateurs qui devraient être majoritaires au deux-tiers pour modifier la constitution. Il n’y a pas de voie légale pour interroger l’organisation du pouvoir. Tout va bien ?

– Or, sans subversion possible et institutionnalisé, via une Constituante, le pouvoir sur le peuple est un autoritarisme, et l’insurrection populaire la seule issue à la violence des institutions. Les jeunes qui s’organisent sous le label des soulèvements de la terre posent en actes la question des institutions et de la volonté populaire, parce que nous restons mutiques et spectateurs. D’autres essaient en gagnant en justice, sans plus d’effet. Ces jeunes insurgés sont le symptôme, pas le problème.

– Pour ma part, j’ai tenté de créer des dispositifs pacifiques (arbre à palabres, soirées écocitoyennes) pour traiter cette question par les mots, ceci pour offrir une autre voie que celle de l’affrontement électoral ou physique. Vous noterez mon échec : personne ne se joint à moi sur ce registre, peu d’élus ne se sentent tenus de répondre voire d’y réfléchir. Que reste-t-il comme solution à celles et ceux qui témoignent des limites ? Car il y a des limites à tout.

Des représailles peuvent-elles être légitimes ?

Vous connaissez les faits : le jeune Nahel, de 17 ans, tué par arme par un policier.

Comme attendu, des jeunes cassent en bande, et des politiques appellent au calme, car rien ne pourrait justifier… et parlent de la situation des banlieues alors que les jeunes en question ne tiennent aucun discours de cette nature ; et les journalistes interrogent des experts qui analysent la situation, sans que personne ne sache ce que pensent lesdits jeunes.

Il manque des mots pour penser la situation, et leur absence en soi est un symptôme du manque de culture laïque de tout ce petit monde.

Dans une société de droit et laïque, un individu est seul responsable de ses actes, et personne d’autre n’en porte la responsabilité sauf s’il obéissait à un ordre explicite ou implicite, donc si son comportement est induit par un système.

Dans cette même société, les représailles sont interdites (sur les institutions ou les propriétés privées) et c’est ce qui nous a sorti de la vendetta. Organiser des violences ou des pillages sous prétexte de représailles –  situation qu’il faut nommer – est non seulement interdit par la loi et par l’esprit de la loi, mais c’est aussi une attitude mafieuse dangereuse au plus haut point. C’est pour cette raison que les violences sont insupportables. Mais.

Mais, il y a un cas et un seul où les violences ne sont pas des représailles mais une violence légitime. C’était prévu dans la constitution de 1789 puis de 91, mais ce droit/devoir a disparu en cours de route. Pour des raisons que vous pouvez facilement imaginer. C’est le droit et même le devoir d’insurrection quand la population subit un pouvoir tyrannique.Voir aussi les soulèvements de la terre.

Si la violence de la police est systémique, donc l’instrument d’un pouvoir autoritaire voire totalitaire, alors la réaction violente est non seulement légitime mais salutaire et recommandée. On voit donc l’importance du débat autour de ce qui fait système. C’est pour cette raison que certaines parlent aussi de racisme systémique, de discriminations systémiques, de paternalisme systémique etc… Quand ça fait système, la réaction violente est légitimée.

Problème : qui dit quand et comment c’est tyrannique car systémique ? Onfray dit que nous sommes en tyrannie, d’autres dont je fais partie, que nous ne sommes pas en démocratie. Cela nous donne-t-il le droit à l’insurrection, quel que soit notre nombre. Le droit, on ne l’aura jamais car cette possibilité n’est pas inscrite dans la Constitution et ne nous sera pas donné par les élus. Doit-on le prendre, le dépasser – grâce au silence de la majorité – ou doit-on réclamer qu’un dispositif soit créé pour analyser et contrôler le pouvoir en continu ? Il ne suffit pas de le dire, c’est une étape qu’aucune démocratie n’a franchie, mais si on ne s’attèle pas au problème, on ne risque pas de trouver la solution. Mais on voit bien qu’un pouvoir minoritaire a tout intérêt à maintenir le rapport violent tant qu’il en a les moyens, et les moyens de les développer ; mais jusqu’à quel niveau d’injustice ? Car prétendre que notre organisation politique et économique est construite sur la justice et le bien-être de tous est un déni (idéologique) de la réalité.

Pour ma part, je milite pour qu’on traite cette question via une Constituante. Si  on ne milite pas pour ça, alors on ne pourra que se plaindre des insurrections à venir ; la population n’aura jamais d’autres issues que celle-ci. Quitte à se diviser au profit de…

J’insiste. Il y a des marches blanches, des appels au calme ; mais notez-vous que jamais il n’y a organisation de lieux de parole, en continu, au quotidien ? Dans aucun village il n’y a des agoras régulières pour refaire le lien que les écrans et le consumérisme défont. Les gens dont la parole ne vaut rien, “qui ne sont rien” sont contraints au passage par l’acte pour communiquer des blocs de sentiments plus ou moins énigmatiques car ils ne peuvent jamais témoigner de la complexité de leurs vécus. Même chose avec la réforme des retraites, les soulèvements de la terre. On continue comme ça ?

A force de faire taire, on fait braire. Mais qui sont les ânes ?

Des élus qui nient la science ?

Un tweet provocateur, dont je n’ai pas la date exacte, de Mme Balkany, pose à son insu une question intéressante, même si elle n’est plus élue. Elle écrit :

“le dérèglement climatique… bla bla bla… plus de douches, restez sales, interdit de faire du ski nautique… j’en passe et des meilleures… et  pourtant la canicule existait déjà au début des années 1910… et comme elle était belle vue par Chagall “

et de montrer une oeuvre de ce dernier, que je ne connaissais pas je l’avoue.

Si nous avons tous le droit d’avoir des opinions et de les exprimer, y compris que la terre est plate, il y a des missions qui vous interdisent de prendre des références non scientifiques. Par exemple, un pilote de ligne qui refuserait un plan de vol sous prétexte qu’il est faux parce que la terre est plate, est viré sur le champ ; un technicien du nucléaire qui refuserait de réaliser une manoeuvre et préférerait faire une prière de même ; et un élu ? A-t-il le droit de nier la science dans l’exercice de son mandat ? Peut-il émettre de simples doutes, et ne pas agir, parce que Chagall, parce qu’il voit que dans sa rue etc… Je ne sais pas si la loi est explicite sur ce point, mais je pense que le coeur de laïcité et de l’universalisme est là : ce n’est pas mon opinion d’élu qui fait référence (fondée sur une croyance personnelle ou collective) c’est soit la science quand elle s’est prononcée soit le plus probable. En fait, c’est ce qui est attendu de tout citoyen dans les situations de collaboration, hors lieux de cultes donc.

Au-delà de Mme Balkani, il semblerait que nombre d’élus (de tous les sexes) trainent les pieds pour tenir compte de la science dans les domaines écologiques, pour des raisons idéologiques notamment. L’universalisme c’est la capacité de se dégager de ses croyances personnelles ou communautaires, et celle-ci ne peut s’acquérir qu’en s’appuyant sur ce qui est indiscutable, donc la science. Ainsi, être représentant du peuple ne peut pas exister à l’opposé des principes de la République et de la science, et c’est une confusion qu’on ne cherche pas à régler lors d’élections ;  ainsi, on ne devrait pas pouvoir représenter un courant platiste par exemple lors d’élections, ni donc un courant qui nierait les rapports scientifiques du GIEC.

Les tribunaux ont déjà condamnés (sans succès) des pays et des élus pour inaction politique, ils n’ont pu le faire qu’à partir de références scientifiques et non pas d’opinions, et les tribunaux ont évalué scientifiquement les actions que les condamnés ont du présenter pour se défendre.

Nous concernant, dans nos communes, notre territoire, il me semble que les élus devraient s’exprimer sur la question, elles et ils devraient dire s’ils admettent les rapports du GIEC ou s’ils les contestent, le cas échéant à partir de quels éléments scientifiques bien sûr.
Dans le premier cas, ils devraient présenter les actions correctrices à la hauteur de l’enjeu, sinon c’est qu’ils mentent ou se mentent à eux-mêmes, dans le deuxième cas, ne devraient-ils pas démissionner ? Ou ne devraient-ils pas être démissionner ?

Hélas, à ce jour, il n’y a pas de droit d’interpellation ni de contrôle des élus, donc ils ne sont pas tenus de répondre à une question qu’on ne peut pas leur poser, ni tenus d’agir, bien qu’ils soient nos représentants présumés et que tous sont sûrs d’être démocrates et laïques. Nous n’avons comme seul recours à ce jour que de porter l’affaire devant les tribunaux. Ce serait bien si l’on pouvait s’éviter ce ridicule ; dans une République authentiquement laïque, on ne devrait pas arriver à cette extrémité.

J’insiste, une commission Démocratie, ouverte à toute la population, permettrait de tirer les choses au clair et de redéfinir les contraintes de tout mandat.

Ce vendredi 11 mars, au détour d’une info, j’entends Nicolas Sarkozy, dans un grand oral face à des pompiers, moquer les conventions citoyennes, les tirages au sort, et faire l’éloge de l’élite dirigeante : “diriger un pays c’est un métier”.

C’est une illustration parfaite de ce dont nous souffrons dans la conception de la laïcité et la démocratie. Je rappelle que nous serions une République démocratique laïque et sociale.

Je passe sur les résultats de l’élite dirigeante, 5 limites planétaires sur 9 dépassées, migrations climatiques présentes et à venir, risque de perte des équilibres… Ça devrait rendre modestes les élites et les ex, et nous amener à reprendre la question de la méthode démocratique. Je ne sais pas quel peuple véritablement souverain aurait pu faire plus mal. Passons.

Ce qui est intéressant ici, c’est la réduction en creux de la laïcité à la seule liberté de croyances et d’expression de sa croyance ou non croyance, car N. Sarkozy est persuadé d’être un démocrate d’une part et laïque d’autre part. Mais il réduit la population à la seule mission de choisir le meilleur dirigeant, qui est chaque candidat de leur point de vue.

Mais la laïcité, la République des égaux, fait la différence entre le but qui doit être fixé par le peuple – c’est le peuple qui doit choisir la direction, diriger – et les moyens, soit la mise en oeuvre par délégations. Délégation faites à des élus chargés de gouverner,  c’est-à-dire de mener la barque vers le but fixé par le peuple. Nous faisons exactement le contraire : des élites dirigent et gouvernent. La population est condamnée par la constitution de 58 à rester dans les soutes, considérée comme aveugle et incompétente ; ce qui est un déni de démocratie sur lequel on ne peut pas revenir car cette génération a verrouillé cette spoliation.

Cette tension historique entre la verticalité et l’horizontalité du pouvoir est historique.

Notre problème est que la verticalité du pouvoir, la pyramide, est efficace dans nombre de circonstances, par exemple la guerre ou quand le problème ne nécessite pas de créativité ; mais hélas nous la répliquons dans des endroits ou n’est pas légitime, à défaut d’être efficace. Elle est illégitime quand il s’agit de la politique où nous sommes censés être des égaux, et non pas la soldatesque des dirigeants. C’est-à-dire que devons être structurellement responsables de l’avenir de ses enfants.

La laïcité est en théorie un système horizontal que l’on n’arrive pas à organiser en pratique, ce qui n’empêche que les compétences soient utilisées aux bons endroits. Horizontal ne veut pas dire que chaque citoyen doit être un expert en tout, ce serait stupide et c’est une critique stupide de la démocratie non représentative ; horizontal, cela veut dire qu’il est le dirigeant mais qu’il peut confier le gouvernail à des personnes compétentes mais missionnées, aux ordres.

On est loin du compte. Nous sommes un société à vocation laïque, mais nous ne sommes pas une République démocratique laïque et/donc sociale.

Quand un ex chef de l’Etat, “représentant” du peuple, garant des institutions, membre de droit du Conseil Constitutionnel (plus haute juridiction), ne perçoit pas le caractère anti-laïque de sa pensée, quand aucun collaborateur ne lui signale, quand aucun journaliste le l’interroge ni qu’aucun opposant politique ne l’interpelle, cela veut dire qu’il y a un déficit de connaissance, une inculture profonde, ce qui est plus qu’embêtant puisque toutes ces élites sont censées avoir la lumière à tous les étages, contrairement au petit peuple. Le pouvoir vertical, qui génère le conflit pour l’obtenir même quand on est minoritaire, est une plaie dont la laïcité bien comprise pourrait nous guérir. C’est peut-être pour cela que les élites minoritaires ne veulent pas être éclairées, seulement choisies.

Jean Paul Jouary, philosophe, dit tout ça mieux que moi dans une courte vidéo.

 

J’écris cette petite chronique suite à un échange vu sur BFM entre un essayiste dont je n’ai pas noté le nom (vacciné mais qui voulait poser les questions éthiques) et une députée LREM dont je n’ai pas plus noté le nom. Le courage de ce jeune essayiste oblige.

Qu’est-ce que ce thème a à voir avec la laïcité ?
La laïcité c’est placer la rationalité (la science ou le plus probable) comme condition à un débat collectif. Il s’agit d’admettre des faits vs croire. Or si l’on accuse les antivax d’être dans la croyance, jusqu’au complotisme, on néglige que l’argument du bon sens (ça va de soi, ça tombe sous le sens, c’est l’évidence même) utilisé dans la communication de guerre du gouvernement, et reprise en boucle par les médias, est une façon d’interdire le débat contradictoire, ce qui est contraire évidemment à la laïcité, son esprit et sa lettre. La raison laïque n’est pas le scientisme, et nous aurions tout intérêt à reprendre cette question.

Le bon sens ne serait pas un argument recevable ?

Ça dépend du sujet. Si je jette une pierre en l’air, le bon sens c’est de ne pas rester dessous. Si je m’étouffe en émettant du CO2, le simple bon sens est d’arrêter d’en émettre, si je détruis la planète qui me nourrit, le simple bon sens est d’arrêter de la détruire. Mais dans le cas du vaccin, on peut discuter : en quoi un vaccin pour tous – ARN en l’occurence, soit la Rolls des vaccins m’a-t-on dit, contrairement aux vieux vaccins –  est-il une solution du bon sens, qui ne se discute pas donc. Avec le bon sens, on évacue des questions philosophico-politiques, essentielles pourtant pour qui veut assumer la responsabilité de sa vie. Par exemple : 1 Doit-on se prémunir de tout ? 2 En termes sociétaux, quelles portes j’ouvre avec une vaccination ARN ? 3 Existe-t-il une limite à la prévention par la vaccination ? 4 La prévention vaccinale (tous anonymes) doit-elle prendre le pas sur le soin (chaque individu est unique) ?…

On ne peut pas nier l’effet puissant et salutaire sur la santé publique de la vaccination

On peut avancer que dans des maladies où le développement est difficile à contrôler (épidémie, pandémie), le traitement insuffisant ou les conséquences terribles (polio), le vaccin trouvera du sens chez la quasi-totalité de la population. Il restera bien sûr quelques antivax qui considèrent que la nature fait sa sélection et que l’on n’a pas à s’en mêler. Ils doivent pouvoir le dire car ça peut être un choix de société qui appartient au peuple et qui n’est pas médical mais philosophique. Mais à chaque vaccin la question devrait faire l’objet d’un examen populaire et non pas exclusivement médical et économique. On peut décider par exemple qu’il faut soigner plutôt que de prévenir systématiquement. Dans le cas de la COVID, le pouvoir central impose une vision de la société qu’elle n’a pas mise en débat, plus exactement il a empêché le débat d’une manière très musclée. Et c’est la manière plus que la finalité qui fait problème car la finalité peut être partagée par la population. 

Quel est ce débat empêché ?

Le premier débat interdit est celui que le Dr D. Raoult a posé explicitement mais à sa manière, frontalement, révélant ainsi la violence du débat entre deux médecines : la médecine scientifique et les sciences médicales. On pourrait dire que les finalités sont les mêmes – je n’en suis pas sûr cependant – ce qui est sûr c’est que l’objet du soin n’est pas le même. Dans la médecine scientifique on soigne un sujet,  dans la deuxième un cas, un corps, une maladie. Dans la première un placébo a sa place, dans la deuxième il n’en a pas. Dans la première le médecin a la responsabilité du diagnostic et du soin, dans la deuxième la machine, l’algorithme, le remplace. Le conflit s’est mené sur l’existence du médecin en tant que personne, avec sa faillibilité donc avec une charge psychologique importante, ou du médecin en tant qu’intermédiaire entre la machine infaillible et le cas clinique, donc plus reposante. L’Etat a suivi le choix des lobbies pharmaceutiques et industriels, et la presse a emboité le pas avec un parti-pris surprenant : les journalistes sont remplacés de plus en plus par les smartphones et ils s’en plaignent ! Nota, il se passe la même chose en psychologie ou la rencontre intersubjective est dénigrée et remplacée par la médiation, via des outils ; on n’accompagne plus un sujet dans ses choix, on le rééduque ! L’Etat veut placer les psychologues en prestataires de service des médecins et les étudiants sous leur contrôle. La psychanalyse a été déclarée à abattre de toute urgence pour cause de non-scientificité ; il est impossible de faire un groupe de contrôle avec des gens qu’on ferait semblant d’accompagner tout en leur faisant croire qu’on les accompagne, c’est bien la preuve…

Dans les deux cas ces médecines sont scientifiques

Oui, et c’est cette accusation de non-scientificité des résultats de l’IHU de Marseille qui est significative du caractère idéologique de la bataille. Mais le Dr Raoult s’est comporté en médecin classique, comme ça se pratique dans la plupart des pays dans les mêmes circonstances ; c’est l’interdiction de soigner qui est nouvelle pour ne pas dire révolutionnaire. Mon médecin n’avait que du doliprane à proposer. Mais c’est un classique pour tout pouvoir que d’utiliser les moments de crise pour avancer d’une case dans son projet idéologique, et le bon sens est à cet endroit : pas de temps à perdre avec des réflexions philosophiques à la c… Et bien sûr, dans l’urgence d’un danger la concernant, la majorité acquiescera. Il est difficile de résister à la logique du rouleau compresseur.

Les machines ont un diagnostic plus fiable que les médecins, jusqu’à remplacer bientôt les chirurgiens.

Oui, mais il y a une différence de taille. Qui contrôle la machine contrôlera mon corps donc ma vie. Il y a du monde derrière la machine et des intérêts financiers énormes. Le médecin lui est dans la négociation avec son patient, on ne négociera pas avec la machine donc avec ceux qui les programment. Par exemple, faire passer l’hypertension de 16 à 15 a augmenté le nombre de malades donc les revenus de l’industrie pharmaceutique. Qui décide de la norme ? Des algorithmes ou moi avec mon médecin ?

Autre différence de taille, je peux être déclaré malade par une machine, soignée par un traitement décidé par la machine, et déclaré guéri par la machine sans jamais avoir pu définir clairement un ressenti. La subjectivité est chassée par la grande porte, je ne sais pas par quelle lucarne elle va revenir car je n’imagine pas qu’on puisse s’en débarrasser vraiment. 

Dernière différence de taille, ma responsabilité de sujet. On rentre à petit pas, mais sûrement, dans un monde normé par… ? En fait on ne sait pas vraiment si c’est décidé ou que « le progrès » s’impose à nous sans que nous le voulions vraiment. Je penche pour la deuxième hypothèse car c’est toujours le cas avec les hommes : nous construisons des objets qui nous transforment en retour. Et nous avons les pires difficultés à nous arrêter pour en faire l’analyse car il est difficile de renoncer à une innovation. On devrait se rappeler de cette formule : quand on a un marteau dans la tête, on voit tout sous la forme d’un clou ; hélas on a trouvé le marteau et moi j’ai perdu le nom de l’auteur.

Je prendrai le temps une autre fois de parler de Kaïros, le moment opportun, l’opportunité à saisir, pour distinguer ces deux médecines.

Mais concrètement, ce vaccin ARN sauve des vies

C’est l’argument du bon sens qui sert du bulldozer, et nous sert à oublier les vaccins par virus inactivés. Les américains ont prétendu que les bombes atomiques balancées sur Hiroshima et Nagasaki ont sauvé des vies en arrêtant la guerre, personne ne le saura jamais ; l’argument de l’efficacité est discutable quand on ne sait pas le nombre d’autres malades que la stratégie actuelle génère, la situation psychologique par exemple est catastrophique. Je voulais simplement dire qu’il y a un au-delà de cette évidence qu’on ne peut nier. Parenthèse, il faudrait vérifier aussi le nombre de maladies qui sont devenues chroniques, c’est-à-dire que l’on ne guérit plus mais dont on soulage les symptômes. Le débat philosophique me semble-t-il, rendu impossible par l’urgence déclarée est : à quoi sommes-nous prêts à renoncer pour rester vivants ? Si vous dites tout, alors préparez-vous aux vaccins ADN, aux vaccins contre la dépression, contre l’alcoolisme, contre tout, au transhumanisme. Ça tombe bien, c’est la suite logique du progrès pensé comme l’innovation. Or il n’y a de progrès qu’humain, c’est à nous de dire ce qui est un progrès et ce qui n’est qu’une innovation dont on pourrait se passer pour rester humain.

Mais ça ne correspond pas à la logique du business qui a besoin de malades

Le business, l’actionnaire pour être plus précis, a besoin d’un marché rentable. Qu’il y ait des malades ou aucun grâce à la prévention, c’est la même chose pour lui si le bénéfice financier est au rendez-vous dans la prévention. Dit autrement, si vous pensez qu’en cessant d’être malade grâce aux multiples vaccins vous allez faire des économies, vous risquez d’être déçu.

Pour finir, je vous invite à cliquer sur le lien ci-dessous. J’ai tapé sur mon moteur de recherche, qui n’est pas google : Institut Pasteur, vaccin ADN, et j’ai cliqué sur le site de l’Institut pasteur.fr. Je ne m’attendais pas à ce que j’ai trouvé.

https://www.pasteur.fr/fr/sars-cov-2-covid-19-institut-pasteur/projets-recherche/covid-19-vaccin-adn

PS : la question : voulez-vous être un OGM pour votre santé ? Ne nous sera posé que lorsque l’opinion aura été préparée à répondre conformément à l’idée de celui qui pose la question, donc après une préparation médiatique qui peut durer des années. C’est cela une démocratie d’opinion, et c’est pour cela que la quasi-totalité des médias appartiennent à des groupes privés ; et c’est pour cela que nous ne sommes pas une République laïque, seulement à prétention laïque.

Ces deux mots ne sont pas des synonymes même si dans le langage courant on peut les tenir pour tels dans certaines circonstances. On a tout intérêt à les garder différent et noter leurs différences car ils ont à voir avec la laïcité, et avec l’actualité : par exemple le procès des attentats terroristes et la gauche « patchwoke ». Je pense que le rapport aux ancêtres que j’ai déjà évoqué (voir C’était un temps déraisonnable), encombre le présent et c’est pour cette raison que j’y reviens.

Je distingue l’héritage immatériel, celui dont je parle ici, de l’héritage matériel, l’objet ou l’argent dont on devient propriétaire. Dans le premier cas plus que dans le second, hériter c’est faire le tri, sélectionner ce que l’on va faire sien ; donc on peut hériter malgré soi c’est-à-dire inconsciemment, on peut être héritier sans être descendant. Dans les deux cas on peut être possédé par l’héritage en fonction de la charge symbolique qu’on lui accorde, ou que la culture accorde à ce qui est transmis.

J’ai dit précédemment (voir La liberté d’expression.. de son potentiel) que 1789 avait consacré le Sujet en le dégageant de son statut de sujet du roi, propriété d’un dieu, donc endetté. La Révolution inaugure une coupure : l’origine génétique n’est pas significative au regard de la loi de la République, la justice est aveugle à cette particularité, en clair si nous sommes tous des descendants, on n’a pas à représenter des ancêtres quelconques ni à endosser une responsabilité pour quelqu’un d’autre que soi-même. Merci. 

On est forcément le descendant de quelqu’un, des quelques uns, pour autant, ceci ne vaut pas identité au regard de la loi, de la façon dont on doit me traiter dans un groupe de citoyens. Si la République est aveugle à mes origines, mes voisins ne sont pas tenus à l’aveuglement. Dit autrement, je peux faire valoir mes origines auprès de mes voisins mais pas auprès du juge, en tout cas pas pour obtenir un avantage. La République ne reconnait donc pas d’ascendants ni de descendants, seulement des héritiers, soit une inscription symbolique dans l’ordre des générations. nous voilà tous des sujets historiques de l’humanité tout entière (je suis partie d’un tout et tout de l’humanité est en moi), tout le génie humain m’est destiné : il n’y a pas de progrès de la connaissance qui soit coloré. La connaissance du réel est un droit car c’est un acquis de l’humanité, ce que n’est pas la culture.

De fait, je suis une recombinaison de gènes déjà sacrément recombinés, sans compter que l’eau de mon corps change totalement tous les quelques mois. Plus encore, je suis fait d’atomes qui ont déjà servis à de nombreuses reprises, rendus à la nature à la mort des assemblages précédents. Assemblages d’atomes précédents, humains ou pas, que je ne peux pas appeler propriétaires raisonnablement, ni même locataires. Mes atomes descendent donc d’un nombre incalculable d’être vivants, dont je ne suis pas censé être le descendant pour autant. On réserve ce terme à une relation identitaire sexuée, chromosomique quand on a su. A cause ou grâce à la sexualité dont je suis issu, et qui me fonde, je suis identifié, identifiable. Ce non-choix est une assignation à résidence corporelle. Mais on devrait déjà dire était, car l’on voit que nombre de personnes refusent d’être assignées, par exemple à un sexe, et parfois à une couleur de peau ou un âge. Je connais deux exemples significatif de l’époque : un homme de 50 se sent plutôt 40 et réclament à l’état civil de changer sa date de naissance ; une jeune allemande blonde avec des  yeux bleus, avec des dreadlocks, revendique auprès de la justice de son pays d’être considérée comme noire car c’est comme cela qu’elle se ressent. Il me semble que dans ces cas-là, il y a le refus d’être un descendant, d’être assigné à une origine génétique et historique.

On pourrait prendre aussi en exemple la gauche que j’ai appelée « patchwoke » plus haut, car elle est plurielle. Elle revendique un dégagement du corps perçu comme une assignation injustifiable. J’entends dans un reportage sur les dysphories de genre, qu’un enfant ne serait pas né dans le bon corps. Bien sûr, la journaliste woke qui prononce cette phrase peut dire plus loin en toute tranquillité : « on ne nait pas femme on le devient. » Peu importe que l’on approuve ou pas, la question ici est de noter qu’il y a une volonté de rupture avec les origines, ce qui est un fantasme d’auto-engendrement.

En ces temps, au tribunal, un homme « témoigne » de l’existence d’une seule divinité, la sienne, et s’en dit le serviteur (juste zélé). Il s’affirme héritier et à ce titre combat ceux qui ne veulent pas de l’héritage. Pourtant, dans sa religion, ce qu’il considère comme un héritage se transmet obligatoirement à sa descendance, ses enfants naîtront musulmans et mourront musulmans, et mourront s’ils refusent cette assignation… qui n’est donc pas ou plus un héritage, il n’y a plus rien de symbolique, la croyance devient génétique. Dans d’autres religions du Livre, il est possible de rester descendant uniquement pour les gènes, et de refuser l’héritage ; la laïcité est passée par là. C’est elle qui a permis et permet de les dissocier. Tiens ? Est-ce à dire que les patchwoke sont les héritiers de la laïcité ? Et bien, je pense qu’ils sont la figure de l’excès de cette dissociation essentielle. En refusant les origines, l’ascendance, en étant libre de l’accuser de tous les maux et de la condamner à la stérilité, ils ne font que se comporter en héritier de la liberté du Sujet. Il est étrange de voir de tels héritiers dire qu’ils refusent l’héritage qu’ils incarnent pourtant jusqu’à la caricature. La gauche patchwoke va au bout du bout de la logique du Sujet libéré institué par les Lumières, comme les radicalisés religieux vont au bout de la logique en assumant la radicalité du texte, sans interroger sa constitution historique ; ce qui serait la moindre des prudences quand on joue sa peau et accessoirement celle des autres. La radicalisation ici, c’est prendre une partie de l’héritage (supposé) comme un objet, un totem ou un fétiche, alors que l’héritage fondamentalement est un choix, un tri, une appropriation sélective, une transformation, une digestion, enfin une reformulation.

Dans le cas des patchwoke, en trahissant supposément leurs origines, en jugeant leurs ancêtres et en déboulonnant les statues, ils incarnent l’ingratitude et l’infidélité qui sont des infamies pour les seconds, le comble de la barbarie. Quoique les seconds peuvent martyriser leurs parents au nom des ancêtres. Oui la Liberté laïque est une barbarie pour les terroristes qui se tuent à nous le dire, nous sommes leurs barbares car infidèles… aux ancêtres, tels qu’ils les rêvent bien sûr. Pourtant, donner tort à ses ancêtres au nom de la vérité, est l’essence même de la laïcité, c’est mettre la vérité, la raison, la démonstration critique, au-dessus de ses liens de sang. C’est être citoyen-philosophe. Ce qui parait être une trahison des ancêtres est une célébration, une fidélité à leur esprit.

La fidélité (je ne parle pas de la conjugale) est une valeur essentielle chez tous les individus, on peut l’être jusqu’à la mort, jusqu’à en mourir. Mais nous ne sommes pas forcément fidèles aux mêmes choses. Des gens sont fidèles à leur engagement politique ou religieux professionnel ou amoureux (même l’infidélité est une fidélité à l’exaltation amoureuse), à la beauté du geste, à la jouissance coûte que coûte, à une idée… Et les traitres sont toujours condamnés, jamais félicités. Je vous invite à explorer vos fidélités. Pourtant la laïcité, dont j’ai dit qu’elle était une paire de ciseaux, constitue le Sujet libre, donc le traitre, ou plutôt l’ingrat. Elle lui enjoint, dans le même temps, d’être fidèle à cette démarche libératrice, pour chacune chacun d’entre nous. On sait bien que Soit libre est une injonction paradoxale, contrairement à Obéis et tu seras sauvé. Alors il faut accepter que la laïcité se constitue sur injonction paradoxale, et accepter la difficulté à l’être en s’y soumettant. Pour que cette injonction ne soit pas tout-à-fait paradoxale, il faut que la liberté du Sujet, être Sujet, soit la nature même du Sujet.

Libre par nature, c’est justement ce que refusent les religions qui considèrent les êtres humains comme des créatures en dette avec leur Créateur. Comment dès lors être laïque tout en étant croyant ? Ce qui est courant évidemment, en séparant la réalité interne de la réalité externe (la laïcité est coupure, une limite, une frontière); en distinguant le symbole de la chose ou de l’acte (Charlie est à cet endroit) ; donc en ne sacrifiant pas la vie, des vivants, à des morts ou des absents (voir le refus du sacrifice d’Isaac).

Oui mais le mouvement woke vient des USA et non pas de la France me direz-vous ! Oui, mais je crois que les américains woke – qui ont repris la french theory de la déconstruction – sont plutôt dans un mouvement de sécularisation d’un concept chrétien : l’âme, les bonnes et les mauvaises, qu’ils veulent trier à la manière de St Pierre au porte du paradis. Je ne sais pas si on peut aller plus loin dans la sécularisation que la sécularisation de l’âme, et ce qui va avec : le sexe des anges… dont on sait qu’ils n’en ont pas. Nous en reparlerons.

Et les Talibans et autres radicalisés ? Peut-être pensent-ils qu’il y a trop de gens qui traitent leur divinité dans sa dimension symbolique, comme un héritage donc, et non pas comme la réalité suprême dont nous serions les descendants ingrats. 

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Je mets à votre disposition cette affiche, sous copyright. Si vous désirez l’utiliser, merci de me contacter préalablement

montseveroux.larbreapalabres@gmail.com

J’ai créé cette affiche comme un procédé mnémotechnique, pour penser et parler la laïcité dans sa dynamique historique philosophique, donc politique, mais aussi psychologique.

Je me dégage d’une approche juridique qui clôt le débat au lieu de l’ouvrir. ; il suffirait de s’en remettre aux juristes. Je me refuse également à la réduire à la loi de 1905, à la liberté de conscience et à la séparation de l’État et des églises. Cette réduction est une manoeuvre destinée à réintroduire les religions dans les champs politique et éducatif d’une part, et d’autre part à négliger la dimension sociale que porte son histoire via les concepts d’Egalité et de Fraternité. En clair, la loi de 1905 permet à des adversaires politiques de s’allier pour la combattre en prétendant se combattre.

Avec une approche psychologique, on peut mesurer les difficultés auxquelles nous sommes tous confrontés ; aussi son caractère révolutionnaire, toujours révolutionnaire, donc inatteignable.

De mon point de vue, nous ne sommes pas une société laïque, seulement à vocation laïque, aussi il est aisé de lui trouver des manques et des défauts, et je lui en trouve. Mais on peut les mettre au travail au lieu de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Je vous souhaite une belle enquête.

Il y a quelque chose de toujours plus effrayant dans ces meurtres commis par des fanatiques musulmans : ils oscillent entre fait divers, le fait d’un fou, et fait de société, impossible à traiter à cause de la lutte des factions politiques pour le pouvoir.

On sait peu, voire pas de choses sur les motivations

Oui, mais c’est vrai pour tous les meurtres commis par des fanatiques car, même ceux qui échappent à la mort sont bien en peine de motiver leur acte au-delà d’un discours convenu. Ils ne « parlent » pas, ils répètent. Peut-être est-ce cela la motivation ? Répéter, comme un disque rayé, arrêter le temps, le figer, et vivre mort pour l’éternité. 

Pourquoi ont-ils besoin de l’autre pour vivre morts ?

Il semble qu’ils ne puissent pas vivre avec nous mais pas sans non plus. Ils pourraient se suicider, partir ou rester vivre dans un pays à religion d’Etat, mais non, ils viennent, ou deviennent, attirés par un problème insoluble pour eux semble-t-il, et que nous incarnons. Je pense que ce qui les fascine, et les angoisse, c’est la créativité sociale et sociétale de nos pays. Les conventions sociales en mouvement, les identités fluides, la transformation des rapports de pouvoir et entre les sexes, les marqueurs de virilité, sont difficiles à lire pour des personnes qui ont besoin de rites stables voire immuables ; s’ils sont à leur profit bien sûr. Tout dans nos sociétés ressemble pour eux à une fuite en avant, donc à un meurtre des ancêtres, qui n’est que l’ébranlement de leurs appuis.

Le rapport à la parole ?

Nous sommes des sociétés du « moi je pense », même « les gens qui ne sont rien » peuvent dire « moi je pense », c’est ça l’Egalité et la Liberté. Ça fait du monde, et cette phrase est un blasphème mais aussi une épreuve psychique car la réalité, le nombre, fait que si tous parlent, peu sont écoutés. C’est réellement épuisant cette incertitude permanente, cette désobéissance (relative !), ce mouvement perpétuel ; il y a des gens que ça déstabilise complètement. Ils aimeraient sûrement savoir faire, ça les fascinent probablement, mais ils n’y arrivent pas. Ils en crèvent. Et s’ils pouvaient nous tuer tous, ils le feraient. Dire le nombre de morts du fanatisme musulman est anecdotique car ça ne correspond en rien à l’objectif. Stéphanie M est morte égorgée et seule, parce que son assassin n’avait pas de kalach. Mais comme il n’en a pas cherché semble-t-il, alors on peut penser qu’il a admis sa petitesse, et conçu un meurtre à son image quelqu’un de déprimé incapable de concevoir un meurtre à plus grande échelle. Ceux qui veulent réduire  ce meurtre à celui d’un fou (il n’y a aucun enseignement à en tirer et ceux qui font cela instrumentalisent), ferait bien d’y réfléchir une seconde fois.

La France, sa laïcité représente… ?

Représentait ce qu’il ne saurait jamais être probablement, après avoir essayé semble-t-il. Les fanatiques pensent, et c’est leur problème, ils aiment la pensée, mais elle est coupable dans leur religion, c’est dieu qui pensent, ils ne doivent trouver leur dignité que dans l’obéissance. Ils sont créatifs ? C’est un blasphème car seul dieu crée. S’ils ont besoin d’une cohérence interne, s’ils croient aux mots, alors ils ne leur restent plus qu’à consacrer leur intelligence à l’obéissance et la soumission, car il est impossible de ne pas exercer son intelligence. Vous-même, si vous êtes courageux, vous observerez que nombre de personnes consacrent leur intelligence à des choses stupides et qui ne sont en rien religieuses. C’est même ce qui fait la force de notre système économique et politique. C’est aussi ça que les fanatiques veulent tuer : cette espèce d’insouciance supérieure, cette désinvolture, cette négligence, cette ingratitude ; ce qu’ils jugent comme tel bien sûr. D’autant plus que c’est le privilège que leur dieu leur a octroyé, et que la laïcité leur retire et moque d’une certaine manière.

Lutte avec ou sans fin ?

Il y a bien sûr des violences qui ne prendront jamais fin, et des luttes intimes itou. Ce que l’on ne peut pas faire cesser, c’est de faire souffrir psychiquement l’autre par notre seule existence. Si une religion déclare que notre existence est un problème, que le lien est impossible entre gens différents, chacun étant assimilé à sa culture, alors il ne faut pas se bercer d’illusions, elle trouvera toujours des adeptes pour joindre le geste à la parole. Et nous ne pourrons jamais renoncer à la liberté de penser, eux-mêmes n’y arrivent pas. Qu’est-ce qui peut prendre fin, se régler, sans trancher dans le vif du corps social ? Que faut-il faire pour que le lien entre nous soit possible et jamais coupé ? La laïcité, construite lentement et dans l’adversité, répond : la vie de l’autre (donc la nôtre) doit être érigée en valeur suprême, avant toute croyance. Soit, la parole des hommes fait loi avant La parole divine(s). Le fanatique, ici musulman, c’est celui qui, parlant au nom de dieu, me coupe le siège de la parole, ou se fait sourd. Si nous renonçons à la parole, nous renonçons à la liberté, donc à la vie. Le fanatique est ce bandit de grands chemins qui, lors d’un guet-apens, saute du divan du psy et expose son conflit interne une arme à la main, et nous dit : « la parole ou la vie ? ». On pourrait lui répondre, s’il n’était sourd : « malheureux, tu ne sauras rien faire ni de l’une ni de l’autre ! ».

“Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?” Voltaire

En pensant à Stéphanie M. Notre compatriote et notre semblable.

Les adeptes de la cancel culture jouissent d’être débarrassés de tout sentiment de culpabilité. Ils s’auto-proclament juges quand ils dégainent le glaive de la justice dans le même temps qu’ils jettent la balance et le bandeau. Les appels à la prudence face à la complexité, à la défense de la liberté d’expression, au respect du débat contradictoire ou de la présomption d’innocence, restent sans effet. Quelle est la logique interne de cette conduite ?

D’abord est-ce nouveau ?

Pas sûr. Le conflit entre un ordre établi, supposément soutenu par une majorité conformiste et complice, et ceux, supposément conscients et subversifs, qui en dénonceraient l’injustice, est vieux comme le monde. Il a pris une autre forme avec la naissance d’une opinion publique, elle n’a pas toujours existé, liée aux moyens de communications, à la massification des moyens de communication, à la liberté de parole ; il n’y a pas de cancel culture dans des pays où la parole n’est pas suffisamment libérée par le pouvoir politique. On peut déjà penser que la cancel culture est un effet secondaire indésirable (iatrogène) d’une liberté de parole désirable, et de l’utilisation des nouvelles technologies. Et donc les cancelleurs des gens qui se laissent dominés par l’outil.

L’outil a des défauts ?

Le pouvoir appartenant à celui qui impose son diagnostic, car il induit les solutions, il s’agit dès lors pour les minorités ou groupuscules de l’imposer par n’importe quel moyen ; la fin justifiant les moyens. C’est la règle du jeu de la démocratie représentative qui ne cesse de nous montrer ses limites ! Elle ne permet pas d’établir collectivement et sereinement un diagnostic. Elle oblige à hausser le ton pour se faire entendre et transforme les acteurs en belligérants.

Mais parler à plusieurs millions de personnes est impossible sauf à sacrifier la complexité de sa pensée, de la situation. La logique de ce désir pousse à se grouper par mot-clé, au conformisme, à la rumeur, à la paranoïa, à la manipulation. Oui, les manipulateurs ont un terrain de jeu extraordinaire et ils ne s’en privent pas ; mais l’outil lui-même pousse à la manipulation, plutôt à une nouvelle forme de manipulation car les réseaux sociaux ne l’ont pas inventée. Bien sûr, l’outil n’est responsable de rien, comme le couteau de cuisine qui n’est pas responsable du meurtre, il a simplement un pouvoir que l’on doit apprendre à ne pas utiliser dans n’importe quelle circonstance.

Un exemple d’une mauvaise utilisation d’un outil ?

Je vais en parler à partir d’une anecdote personnelle pour illustrer le comportement des activistes, des anti-racistes dans mon exemple, que je qualifierai de saint-Pierristes. Un homme politique se fait attaquer par un tweet à caractère raciste ; un ami, militant anti-raciste, qui l’encourage à porter l’affaire en justice,  me demande si je condamne le tweeteur. Comme je ne suis ni procureur ni juge et que je fais la différence entre le racisme (un acte ou appel à un acte) et l’expression à caractère raciste (une opinion), je ne condamne pas ; je déplore. Impossible d’en débattre plus avant : de son point de vue, ce genre de tweeteurs doivent être condamnés, sortis du théâtre de la parole, mis hors d’état de nuire. Je lui deviens suspect, malgré mes états de service, voire complice.

Cet ami, dans la pureté de l’amour anti-raciste qu’il s’attribue explicitement, ne pense pas sa logique comme étant celle d’Augustin, un saint des chrétiens :  « Il y a une persécution injuste, celle que font subir les impies à l’Église du Christ ; et il y a une persécution juste, celle que font les Églises aux impies… L’Eglise persécute par amour et les impies par cruauté. » Si les mots ont un sens, ce n’est pas de la radicalisation, c’est du fanatisme. Il me semble que c’est la logique folle qui menace d’emporter les mouvements anti-racistes quand ils se font cancelleurs.

Saint-Pierrisme ? St Pierre attitude ?

On pourrait dire que cet ami est atteint par le syndrome de St Augustin, mais  je vais préférer celui de St Pierre pour penser les conséquences politiques de la logique de cet antiracisme-là. Dans l’imagerie populaire, les blagues, St Pierre est celui qui, aux portes du paradis, accueille les morts, les juge et les oriente ; qui vers l’enfer, qui vers le paradis, en fonction des actions de chacun sur terre.  Ainsi, ne vont au paradis que ceux qui feraient la preuve de leur mérite ; les autres sont envoyés sans pitié en enfer (La miséricorde divine a des limites, et eux aussi), « cancelled » dira-t-on aujourd’hui ! Pas étonnant dès lors que les choses se passent bien au paradis après une telle sélection. Mais force est de constater que c’est au prix de se débarrasser de ceux qui ont failli malgré les avertissements réitérées ; au prix d’un entre-soi. Très clairement au prix d’un sacrifice : la parole. Il doit régner un silence d’enfer au paradis ! C’est le prix à payer. Et de fait, on ne parle plus de rien avec cet ami saint-Pierriste ; la suspicion est une arme d’appauvrissement massive.

Leur paradis, si c’est sur terre ? C’est l’enfer !

Oui, comme il n’y a pas d’ailleurs, il ne reste que l’exclusion du champ de la parole et de la relation ; c’est la définition du tabou tel que les anthropologues l’ont découvert dans les îles du pacifique où il n’y avait pas de prison pour les hors-la-loi. Seulement la prison psychologique, l’annulation par la non-relation.

Conséquences politiques ?

Si toutes les bonnes âmes auto-proclamées (les activistes) usurpent le rôle de St Pierre, s’ils sont atteints par ce syndrome, alors ils ne cesseront de trier et condamner à l’enfer du silence les mauvaises âmes. En toute innocence et sans l’ombre d’un sentiment de culpabilité. Est-il possible que les autres ainsi désignés admettent la légitimité de ces petits St Pierre et leurs sentences ? Evidemment non. Ce saint-Pierrisme, parce qu’il n’a pas de légitimité, pas plus divine qu’au regard des droits universels de l’homme et du citoyen, est porteur d’une violence qui n’a rien de subversif, rien d’émancipateur. Ce saint-Pierrisme génère une grande violence, symbolique a minima, car il se veut « purifiant » comme le feu, « désinfectant » en quelque sorte. On comprend dès lors que l’universalisme laïque, par définition respectueux de l’intégrité de l’autre, mais pas de ses croyances, pose un problème aux purificateurs.

Bien sûr, les médias mainstream ne sont pas pour rien dans la frustration que peuvent ressentir des populations en manque de représentation et de temps de parole : par exemple, les syndicats qui ne bénéficient que de très peu de temps d’antenne quelle que soit la longueur des défilés. La population est réduite à son statut de consommatrice et non pas de productrice de sens ; il est inévitable que parfois elle s’emballe quand des moyens sont mis à sa disposition.

Le saint-Pierrisme comme radicalisation

En tout cas, je ne le veux pas comme une insulte, une interprétation tarte à la crème à jeter à la figure des activistes. Je ne veux pas participer au pugilat fut-il démocratique. Nommer le saint-Pierrisme  est plutôt une mise en garde, une invitation à penser notre posture en politique, les uns comme les autres, car nous pouvons tous glisser de la radicalisation au fanatisme. Ce ne sera jamais une bonne idée que de condamner quelqu’un à se taire, à l’annulation, à le retrancher de l’humanité. Une leçon que l’on doit garder à l’esprit : se déclarer éveillé (woke ici) face à la masse déclarée aveugle, à guider, est le B.A BA de la politique (vous vérifierez), par exemple les libéraux et les économistes orthodoxes sont sur le même registre de l’annulation de l’autre (à peine quelques milliards, mais pas les mêmes) mais avec d’autres mots (la gouvernance) ; bataille entre élites donc. Et s’ils étaient des manifestations différentes de la même maladie ? C’est mon opinion.

Et si la laïcité, celle qui disqualifie le concept de pureté dans le vocabulaire politique, donc économique, était la seule solution pacifique ?