L’actualité oblige. Une affaire d’inceste, prescrite, relance le débat sur  le temps du délai de prescription que certains voudraient sans limite.

C’est l’occasion d’évoquer une autre possibilité : le raccourcissement du délai de prescription. Pour comprendre ce que je vais dire, il faut d’abord se mettre d’accord sur l’objectif. Est-il de poursuivre possiblement toute la vie un violeur, car le traumatisme c’est perpète ? C’est-à-dire ne laisser aucun crime impuni ; ou bien est-ce d’encourager à dire, à révéler, à guérir ? Au risque d’une impunité partielle.

Vous pensez que le législateur est sur le premier objectif ?

Oui, il est du côté de la victime, croit-il, plus que de la souffrance de la victime elle-même. Il a le vrai souci de lui rendre justice, mais en faisant cela il ne l’aide pas car rendre justice ne veut pas dire être juste. Juste au sens de : l’action la plus adaptée à la situation réelle, à la souffrance d’une victime.

Vous êtes sur le second objectif en tant que psychothérapeute pour enfants ?

Pour un enfant, même arrivé à la maturité légale, dénoncer un membre de la famille au risque de l’envoyer en prison pour longtemps est une épreuve incroyable. Bien  des victimes y renoncent à leur initiative, ou des familles font renoncer l’enfant qui dénonçait un oncle par exemple. Curieusement, nombre de victimes semblent attendre la limite de la prescription, ou son dépassement, pour révéler le crime. Mais je n’ai pas de chiffres à avancer pour justifier cette affirmation.

Une limite plus qu’une imprescriptibilité 

Si j’allonge la limite, j’allonge à coup sûr le temps de la torture existentielle, si je limite le temps, c’est une opportunité pour la victime de la raccourcir car ça l’oblige à faire un choix. Elle est obligée de traiter plus rapidement cette question, de faire un sort à cette relation toxique : la marque de l’autre dans son corps et son psychisme. 

Au risque de pousser au silence définitif si le délai est trop court ?

Non, personne ne sait et ne saura jamais ce qu’est le bon délai psychique car il est intime et personnel. On ne peut le savoir qu’après-coup. Mais il y a un moyen de s’en tirer en s’appuyant sur la loi plus que sur la psychologie. Si un inceste « vaut » 15 ans de prison par exemple, il serait à tester que le délai de prescription passe à 15 ans, mais, et c’est là l’originalité de ma réflexion, que ces 15 ans de prison soient partageables, en quelque sorte. 

Qu’est-ce que ça veut dire 15 ans partageables ?

Qu’à partir de 18 ans, l’enfant, devenu adulte, sache que les années qu’il s’inflige à se décider sont déduites de la peine du violeur, comme s’il y avait un curseur. Plus vite il dira, plus le coupable aura la possibilité d’être condamné par la justice à une peine importante. Possibilité ne voulant pas dire obligation bien sûr car c’est le juge qui décide de la peine. Son attente est la part de la condamnation qu’il prend sur lui puisqu’elle réduit celle du violeur. Dans ces situations, les victimes supportent toujours une part de la condamnation, et on voit bien que certaines victimes la prennent en totalité, jusqu’à la veille du délai de prescription, voire toute la vie. L’année qui précède la date de prescription est particulièrement éprouvante de ce point de vue. 

Et souvent elles ne parlent qu’après cette fameuse date, quand elles parlent.

Une façon de se dire à elles-mêmes que leur blessure ne peut cicatriser. Ce faisant, elles nous font admettre qu’aucun meurtre n’est  cicatrisable. La justice ne peut pas s’engager sur ce terrain me semble-t-il. Et nous, pouvons-nous cicatriser si certaines victimes ne le peuvent pas ? C’est cette réponse que nous donnons aux victimes en rendant ces crimes imprescriptibles : non, nous ne pouvons cicatriser. Mais c’est confondre l’inceste comme fait social, agression sexuelle imprescriptible, et un cas précis d’inceste qui lui peut l’être sur le plan juridique.

Il y aurait prescription au-delà des 15 ans par exemple dans votre hypothèse ?

Non pas nécessairement, quelque chose ne peut pas être prescrite : la vérité et sa révélation officielle. On pourrait dans cette situation imaginer que la dénonciation ne soit jamais prescrite mais la condamnation  si, ou bien limitée. Par exemple, quand c’est au-delà des 15 ans, ça pourrait donner lieu à une condamnation a minima, symbolique par sa durée. Dans cette configuration, on peut espérer plus de révélations, plus de soutien aussi dans ce travail psychique de clôture, de cicatrisation.

La justice pourrait-elle faire ce genre de choses ?

Je ne sais pas comment c’est possible en droit, ce n’est pas de ma compétence. L’important pour moi est le soutien aux victimes – et la prévention – à la fois dans la prise de parole publique, et dans la mise en mots. C’est-à-dire dans ce double travail d’appel à l’ordre à l’extérieur de soi, dans la société, et dans la remise en ordre à l’intérieur de soi. On imagine à peine combien le chaos peut régner après de tels évènements qui sont, comme le meurtre, de l’ordre du tabou, donc structurantes dans toutes les sociétés (ou presque, il existe des pratiques culturelles que l’on considéreraient comme incestueuses chez nous).

Mais dans ce mouvement de curseur, n’y a-t-il pas la répétition d’une injustice ?

Si un enfant ne dit pas de suite, ni à ses 18 ans, c’est qu’il prend la peine de prison pour lui, en totalité, et qu’il en épargne le violeur. Une prison de silence et de souffrance. Si notre objectif est que l’enfant en prenne pour le moins longtemps possible, il faut réduire le délai de prescription au lieu de l’allonger. Envoyer son père son oncle son frère un voisin en prison, plus rarement sa mère ou sa tante mais ça existe, et même si concrètement c’est le juge qui le fait, est un chemin de croix. Il est cruel de faire durer ce délai pour notre besoin de déclarer que l’inceste comme fait de société est insupportable. Il faut à tout prix, de mon point de vue, faciliter la dénonciation et soutenir le travail de couture que l’enfant va devoir réaliser face à la double effraction qu’il a subi, physique et psychique.

Cette peine partageable, il faut bien l’appeler comme ça, servirait la prévention ?

Je ne sais pas vraiment si l’on peut prévenir la perversion ou la psychopathie avec des mesures de justice, je n’en mettrai pas ma main au feu, je pense cependant que l’on faciliterait les dénonciations. En tout cas, on les faciliterait pour un nombre significatif de cas. Hélas pas tous bien sûr car, et c’est ça le problème de fond qui fait que justice ne sera jamais rendu uniformément, toutes les situations sont uniques, et les circonstances qui permettraient à certains enfants de dire, empêcheront d’autres. Aucune stratégie juridique je pense ne peut solder la question, et on ne peut négocier avec la victime la sanction, elle doit être dégagée de ce genre de réflexion sinon on la garderait en lien avec le violeur.

La question pour vous reste celle du lien ?

Toute marque sur le corps, ou sur le psychisme, est un stigmate qui signe une appartenance symbolique d’une victime à son bourreau, comme du bétail à son propriétaire. Le viol est une disqualification de l’autre en tant qu’être humain libre et séparé de soi, c’est une appropriation, une emprise pathologique, ou une infraction physique et corporelle pour rester présent à vie dans le psychisme de l’autre. Bien sûr, dans ma proposition, il y a une sorte d’injonction à traiter la question qui serait une injonction à cicatriser. Discutable donc. Mais on peut remplacer alors le terme d’injonction par celui de limite qui serait donner à la victime par la société pour qu’elle fasse ce travail. Sans garantie bien sûr. A mon avis, en allongeant le délai de prescription, on la condamne à prendre un chemin sans fin, avec ce qu’il lui reste de forces. Je trouve ceci d’une plus grande violence, beaucoup plus violent en tout cas.

Qu’allez-vous faire de votre proposition ?

Je vais la communiquer à une association par exemple pour qu’elle fasse partie du débat, que le délai soit pensé dans toutes ces variations au-delà des automatismes de pensée. Si je reçois un commentaire, je le joindrai à cette communication.

Je suis

Laïque ! 

 

Où il est question de l’écriture inclusive.

Je ne vais pas déplier toutes les conséquences de cette affirmation. Je voulais simplement répondre ici à une question que l’on ne m’a pas posée, pour pouvoir écrire tranquillement en français dans ces chroniques, c’est-à-dire dans un langage sexué où le neutre est masculin.

Être laïque, c’est être pour l’égalité devant la loi de tous les êtres humains ; ce qui les transforme en citoyens quand ils consentent à cette contrainte ; c’est être pour la liberté de conscience (et donc d’expression) ; et c’est être pour une société fraternelle qui protège le plus faible, l’instruit, lui garantit l’autonomie nécessaire et suffisante pour être et demeurer libre ; donc être démocrate mais pas nécessairement pour le socialisme ni l’égalitarisme ; et antiracisme et antifascisme par principe. Je suis laïque comme cela.

Précautions prises, je vais continuer à parler en français, tel qu’il existe à l’heure actuelle. Je n’utiliserai pas l’écriture inclusive qui n’est pas du français, mais la volonté d’imposer dans toute expression, des distinctions qui n’apparaissent pas dans une langue sexuée, donc sexiste, comme l’est le français.

En attendant l’abandon dudit français au profit d’une langue asexuée,  comme l’anglais par exemple (il doit y en avoir beaucoup d’autres et j’espère que l’espéranto ou les langues nouvelles le sont), je continuerai à penser à tous (LGBTQTI+…, plus les cisgenres, plus les variantes de couleurs, plus l’Indice de Masse Graisseuse, plus… ; faire tableau à x entrées) quand je dirai Nous tous par exemple sans autre précision.

Merci de tenir ma résistance à cet entrisme linguistique, qui veut imposer ses solutions à la loi plutôt que d’ouvrir le débat académique et s’y soumettre, pour ce qu’elle est : laïque ; donc respectueuse de la vie de chacun, à défaut des opinions de tous.

Adopter son enfant

Tous les enfants du monde sont-ils des enfants adoptés  ?

Hélas non. Bien sûr beaucoup d’enfants sont les enfants biologiques de leurs parents, et pourtant ce n’est qu’une donnée de base, ça ne suffit pas en soi pour que le lien de filiation s’établisse valablement. Si l’instinct maternel ou paternel existe – aujourd’hui on observe des modifications neurologiques à partir de la naissance d’un enfant – il faut constater que le rejet maternel ou paternel existe aussi. La filiation directe ne suffit pas pour que le parent se sente authentiquement le parent protecteur et attentif de son enfant. Encore faut-il qu’il l’adopte psychologiquement. Et ça ne réussit pas à tous les coups loin s’en faut. C’est un travail psychique qui a ses méandres. Bien sûr, pour la mère, le fait de l’avoir porté peut aider, mais ce n’est pas systématique car il faut qu’elle accueille un enfant réel et non pas l’enfant de ses rêves ; un enfant qui n’existait pas avant de naître. Rappel, avant de naître c’est un fœtus, pas un bébé. Et cette rencontre réciproque ne va pas de soi. Qui est cet étranger ? Différent des rêves, qui ressemble à …  et qui n’en fait qu’à sa tête. Le travail psychique d’adoption passe par l’acceptation de sa responsabilité vis-à-vis du nouveau-né, quoiqu’il soit, par l’acceptation d’une dépendance réciproque sur le long terme, par l’acceptation de la réalité dont il est une incarnation. Certaines n’y arrivent pas, elles peuvent refuser cet intrus ou les fantômes qui l’accompagnent. Mais toutes ont ce travail à faire qu’elles soient mères biologiques ou non.

Pour le père ?

C’est un peu le même travail avec une autre difficulté : il doit adopter son enfant pour une relation directe indépendamment de la relation qu’il entretient avec la mère, et  surtout indépendamment du lien fort que le nouveau-né tisse avec la mère qui peut lui faire vivre un sentiment d’exclusion. Il y a aussi des ratés pour les pères biologiques ou adoptifs, et l’on voit bien lors des séparations combien des pères ou des mères échouent sur le maintien d’un lien de qualité.

La rencontre ne devrait-elle pas se faire spontanément ?

Il faut du temps pour que la rencontre ait lieu, souvent quelques jours, parfois des mois, et parfois elle ne se fera jamais. Surtout si l’on s’en tient à l’évidence de la biologie et que l’on n’interroge pas sincèrement ses réticences, ses difficultés, ses blocages. Or il n’y a rien de plus urgent que d’affronter ses démons si l’on veut rencontrer l’enfant. Urgent aussi de laisser du temps au nouveau-né pour rencontrer ses parents, du temps pour apprendre à être leur enfant car c’est la première fois qu’il est un bébé. Il a seulement le potentiel pour être bébé, une compétence pour l’être (il a une préthéorie mais pas la pratique). Curieusement, quoique, il faut aussi que chaque parent adopte le conjoint dans son nouveau statut et il ne suffit pas de le dire pour que cela se fasse. C’est une autre histoire tout aussi délicate.

Quand l’enfant n’est pas désiré, la rencontre peut-elle se faire ?

C’est aujourd’hui une urgence pour les parents de dire que l’enfant était désiré. Plus dur à dire si ce n’était pas le cas car c’est empreint d’une grande culpabilité. Mais le terme d’enfant désiré pose problème puisqu’un enfant n’existe qu’à partir de sa naissance. Une jeune maman m’a donné la clé un jour, elle m’a dit : « je n’avais pas de projet d’enfant ». Vous voyez la différence ? Ce n’est pas le désir conscient de cet enfant-là qui importera dans la relation, mais la rencontre, la façon dont l’enfant réel va être accueilli, reconnu, même s’il n’était pas programmé dans l’agenda de ministre des parents, même s’il bouscule tout. Quoi qu’il en soit, même prévu, même anticipé, quand ça se passe bien un enfant bouscule tout.

Dans l’histoire de l’humanité, l’enfant désiré est lié au choix offert par la contraception et l’avortement

Des milliards d’êtres humains sont nés du seul désir sexuel des parents ou d’un des parents, dans l’amour  ou la haine. Les méandres du désir inconscient sont difficiles d’accès, je n’en parlerai pas. Hélas, beaucoup d’adultes souffriront longtemps de ne pas avoir été désirés, croient-ils, et c’est parfois une blessure narcissique dont je vous propose de penser qu’elle se constitue sur un malentendu, un mal-dit. La question serait plutôt : la magie de la rencontre a-t-elle opéré ? Si non, alors il faut s’atteler à la tâche car rien n’est perdu pour autant.

Peut-on poser la question de l’adoption d’une génération par une autre ?

Oui il serait intéressant de reprendre les choses sous cet angle, politiquement. Je pourrai redire les mêmes choses, ça garderait du sens mais du coup ça permet de rajouter un autre élément. Les progrès technologiques font que le lien entre les générations est différent aujourd’hui, il y a une rupture. Les sociologues ont beaucoup étudié ce phénomène de rupture dans la transmission. Il y a chaque jour des inventions technologiques qui changent la face du monde sans que nous le percevions toujours, qui font que les parents ont moins à transmettre. Plus personne ne peut dire  à quoi ressembleront les métiers dans 10 ans. Les nouvelles générations peuvent se retrouver conforter dans leur fantasme d’auto-engendrement, dans le fantasme qu’ils sont les éducateurs de leurs parents dépassés par les nouvelles technologies ; et des parents renvoyés à un statut de petit enfant naïf. C’est un changement majeur car du coup on ne sait plus qui doit adopter qui, on ne sait plus forcément ce qu’il faut transmettre entre les générations et l’on peut imaginer que le recours angoissé aux racines peut faire office de lien ultime, office de résistance aux évolutions technologiques et biotechnologiques. C’est une hypothèse de sociologues et de psychologues à laquelle je souscris.

Quelle attitude adopter ?

Il y a un mot que je n’ai pas prononcé car il est compliqué d’en parler, c’est la mort. La vie nouvelle contient la question de la mort et des angoisses associées. L’enfant est porteur d’un sacré message, non pas d’une information nouvelle car nous nous savons mortels, mais d’une prophétie qu’il incarne. Nous pouvons nous contorsionner comme Laïos face à Oedipe,  l’oracle est implacable. On peut dire les choses d’une manière moins dramatique et moins passionnée : l’enfant en naissant nous fait percevoir la profondeur du temps, la profondeur du cycle des générations. Comme une éclipse solaire nous fait percevoir le vide interstellaire. Ainsi il est commun de dire que le temps est passé, il serait plus judicieux me semble-t-il de dire : nous sommes passés devant le temps. C’est-à-dire que chaque être humain à son horloge propre et ce nouveau-né nous échappe déjà en même temps qu’il est là. Par son arrivée il vient questionner notre rapport à la temporalité, mais nous n’avons pas tous les mêmes réponses à fournir.

Comment soutenir ce travail d’adoption ?

Une société, les individus qui la composent, dévoile son visage dans la façon dont elle adopte la génération suivante. Force est de constater que la tension entre les générations est forte dans tous les pays du monde quand on voit le sort réservé aux enfants par les traditions ou par les guerres (économiques ou armées). Dans nos sociétés occidentales il serait prétentieux de dire que nous organisons valablement l’accueil des nouveau-nés ! Le manque de crèches, les temps de transports, le travail décalé, la qualité de la nourriture, l’excitation permanente, la pollution… Difficile d’affirmer que c’est une préoccupation première. Ils vivent avec nous la vie que nous menons, une vie d’homo-economicus, ils ne sont pas au centre de l’organisation de la cité. Ça dure depuis des siècles, mais cela peut-il durer encore un seul ? Au-delà de la simple mais essentielle question des limites du corps : notre capacité à respirer du mauvais air et à ingérer des produits toxiques ; personne ne connaît en revanche la limite de plasticité du psychisme humain. Jusqu’à quel point les enfants sont-ils capables de s’adapter aux changements très rapides qui s’imposent à nous s’ils ne sont pas correctement adoptés et protégés par la génération précédente ? Dans ces conditions, jusqu’à quel point seront-ils capables de devenir eux-mêmes une génération fiable et protectrice pour la suivante ? Le nombre croissant de comportements psychopathiques – pas de modifications génétiques connues, mais la pollution expliquera peut-être une partie du phénomène – devrait nous interroger sur notre responsabilité sociale.

Le cycle retrouvailles – séparation

La petite famille est à peine née que déjà les questions de séparations sont envisagées !

La séparation d’avec la mère et les angoisses associées sont la grande affaire de la petite enfance. Autant pour les parents que pour les enfants. Et il n’est pas impossible que ces angoisses nous poursuivent toute notre vie. Combien d’adultes n’ont en fait jamais vécu seuls ? Combien d’adultes gardent toute leur vie un doudou pour dormir ? Ou la lumière allumée ? Pourtant il faut bien apprendre à se séparer car pour vivre sa vie dans une autonomie  suffisante et tranquille il s’agit de surmonter ses angoisses d’abandon, de danger imminent, de les apprivoiser et de les transformer.

Il y a une espèce d’urgence à l’autonomie dans notre nouvelle culture. Une injonction.

Oui, il faudrait les préparer à être des cow-boy solitaires,  des self made, le mythe libéral quoi. Beaucoup de parents apprennent la séparation à leurs enfants en créant des séparations précoces, pour qu’ils s’habituent à la séparation justement. C’est la théorie spontanée de l’apprentissage par la confrontation au réel. « Tu devrais le mettre à la crèche le plus tôt possible », « il ne faut pas lui donner le sein si tu veux reprendre le travail » etc.. En clair il ne faut pas trop s’attacher car ça va rendre la séparation encore plus dure. Autant ne pas trop se lier ou trop s’attacher. Cette logique est implacable mais… fausse, car c’est faire une analogie entre le lien psychique mère/enfant et la corde. Si on renforce une corde elle est plus difficile à couper c’est vrai, en revanche pour le lien mère/enfant c’est le contraire, plus il est de qualité et plus il sera facile de le couper (symboliquement) dans la certitude que l’on est qu’il est facile de le reconstituer, parce que fiable. Il est plus facile de se séparer d’une mère que l’on a eue (elle est reconstituée à l’intérieur) que d’une mère que l’on n’a pas eue et que l’on risque de chercher toute sa vie.

Comment préparer valablement cette capacité à se séparer tranquillement

Pour se séparer il faut d’abord apprendre à se retrouver. Curieux non ? C’est-à-dire que sur le plan psychologique les retrouvailles doivent précéder les séparations. Pas si curieux que ça car les petites séparations sont multiples durant la petite enfance mais nous négligeons les retrouvailles comme faisant partie d’une boucle vertueuse. Pourtant il suffit de se souvenir : vous attendiez votre amoureux à 20h pour aller au restaurant ou au cinéma. Quand il est arrivé tranquillement à 21h sans avoir prévenu de son retard… drame. L’impatience et l’incompréhension ont remplacé la joie de se retrouver par du ressentiment voire de la colère. Conflit intérieur. En toute logique vous auriez dû vous réjouir qu’il ou elle arrive enfin, et pourtant qu’il est difficile de surmonter le sentiment d’avoir été traité négligemment. Le sentiment d’humiliation rôde et se lie à la souffrance du manque. Il faut du temps pour surmonter ce conflit qui rend silencieux, et gâche les retrouvailles qui ne peuvent pas être joyeuses et ne les rendra pas plus facile la prochaine fois, bien au contraire.

Vrai pour les familles dont le père est en déplacement long par exemple ?

Ces familles savent combien c’est difficile l’absence. Au début l’absent manque, à la fin il dérange. Le travail consiste toujours à surmonter ce conflit lié au retour de l’autre. C’est la même chose pour les petits enfants qui ont attendu au-delà de leur capacité et se sont accrochés au souvenir fragile de leur mère. Vous observerez d’ailleurs comment même un tout petit bébé peut tourner la tête à sa mère qu’il retrouve après une absence trop longue pour lui. Dans ces cas-là prudence et patience, il faut lui laisser le temps de pardonner à sa mère par un sourire avant de lui faire une demande : prendre son lait par exemple, chose qu’il pourrait vous refuser dans un premier temps.

Des retrouvailles réussies ce serait quoi ?

De la disponibilité, du sens de l’observation. Le temps que l’on donne à l’enfant pour qu’il dépasse son conflit, ses sentiments contradictoires, et la perception blessante voire humiliante du manque. Pour l’aider, il faut… ne rien faire, si tant est qu’attendre les bras symboliquement ouvert était rien. Et c’est difficile semble-t-il car ce n’est pas un apprentissage banal. Ne rien faire c’est ne pas déballer les courses, ou vider la machine. Ne pas téléphoner, ne pas regarder la télé. Ne rien faire c’est rester à sa disposition, éventuellement près du sol. Pour qu’il s’approche, raconte à sa manière sa journée, pardonne à son parent. Quant à l’issue de ce rapprochement il repart à ses activités, le cycle séparation/retrouvailles est bouclé, le parent peut repartir à ses occupations. Même chose quand on rentre de déplacement, on laisse les valises dans l’entrée et on s’assoie… mais sans télé ni portable. Il n’y a rien de plus urgent que d’attendre et ne rien faire. Bras ouverts on a dit. Nota, cela ne veut pas dire qu’il faut faire ça à la crèche ou chez la nounou, il faut le faire chez soi.

On dit retrouvailles pour parler de retrouver l’autre, et se retrouver quand il s’agit de soi à soi

Oui et c’est intéressant de jouer avec ces deux termes. Pour se retrouver soi-même il faut qu’il y ait eu retrouvailles avec l’autre car l’on s’était un petit peu perdu en son absence. Perdu ça veut dire être tiraillé par des sentiments contradictoires, entre désir de le revoir et désir de le mettre en pièce pour avoir manqué à notre appel. Mais la destruction est impossible car l’autre est le réceptacle de tant de désirs, l’enfant ne peut alors que frapper de dépit. Vous êtes autorisés à faire des liens avec des violences adultes aussi. Cette dépendance est une grande souffrance, une véritable humiliation qui met l’enfant en miette, il faudra donc qu’il y ait retrouvailles pour qu’il se retrouve enfin unifié dans un sentiment de dépendance apaisée, réciproque d’une certaine manière car la question de l’amour est : qui suis-je pour toi ? Rassurez-vous, ce conflit dure toute la vie quand on aime !

Ce n’est pas un trop d’amour pour l’enfant, un trop de mère, qui empêche une bonne séparation alors ?

Qui peut dire ce que veut dire trop ? Ca change en fonction des époques et des cultures. Et ça a beaucoup changé ce dernier siècle avec la baisse de la mortalité et de la natalité. Les enfants ont cette compétence à être séparés mais encore faut-il que la mère elle-même, ou le père, soit tranquille avec la séparation, qu’ils ne confonde pas par exemple l’amour avec l’impossibilité de se séparer, l’amour avec la souffrance de la séparation, ce qui est une confusion fréquente. On peut repérer des parents qui ont besoin de voir leurs enfants souffrir de la séparation et besoin de souffrir en retour ; alors les enfants apprennent à pleurer pour faire plaisir à leurs parents. Comme si la légèreté était interdite, comme si la culpabilité affichée par le parent était un gage d’amour à donner l’enfant .

Céder ou ne pas céder à un enfant ?

« Je ne céderai pas », « j’ai fini par céder », ou « tu n’aurais pas dû céder » etc.. sont des expressions courantes, de quoi parlent-elles ?

Les mots ont de l’importance, parfois ils expriment notre idée mais parfois ils la précèdent voire la créent. Ces expressions signifient qu’il y a un gagnant et un perdant. Il y aura rancœur ou colère, donc représailles. Mais cela veut dire surtout que le parent s’est placé au même niveau que l’enfant et c’est cela le problème. Il s’est laissé déloger de ce statut ce qui n’était pas le projet initial de l’enfant dans son opposition. C’est un problème d’une part parce que l’enfant peut être dans l’illusion qu’il peut gagner, ça alimente un sentiment de toute puissance qu’on lui reprochera ensuite, et d’autre part parce que cela crée de la rancœur, du ressentiment voire de la colère : sentiments qui font le lit de prochaines vengeances.

Il n’y a que des perdants alors ?

Je ne parle pas de situations où sa santé ou sa sécurité sont engagées, je parle des situations qui n’ont que l’importance qu’on leur accorde. Que l’on cède ou que l’on ne cède pas c’est égal : c’est  une défaite pour le parent et l’enfant. Je vous propose de repenser les situations avec un autre verbe : accorder, ou ne pas accorder. Comprenez-vous le changement de perspectives ? C’est-à-dire que si le parent juge que l’enfant est à sa limite de renoncement ou de compréhension, qu’il veut quelque chose à laquelle il ne peut pas renoncer car il n’en a pas les moyens, alors il peut lui accorder sans que ce soit une défaite pour lui et une victoire pour l’enfant. C’est donner satisfaction sans céder pour autant. Mais il ne faut pas se payer de mots, pour savoir si le parent a cédé ou bien accordé il doit identifier son sentiment : éprouve-t-il du dépit, de la rancœur ou bien de la réjouissance pour le plaisir de l’enfant ?

Alors cet enfant exigeant a eu ce qu’il voulait ?

Mais en accordant, le parent, qui avait les moyens physiques de refuser, s’est montré bienveillant et a gardé son statut de parent. Et curieusement (pas tant que ça) son autorité se trouvera renforcée du fait de cette attention aux limites de l’enfant. Plus il dira oui aux demandes de l’enfant, et se réjouira, et plus il renforcera l’image d’une autorité bienveillante qui ne cherche pas son confort personnel. Plus il entrera en conflit et plus il dégradera l’image de l’autorité.

Si on n’accorde pas ?

Mais dans ce cas-là c’est un non bienveillant qui n’est pas dans le bras de fer. Poser un non qui tienne compte de ses limites inspire confiance à l’enfant. Il peut rester serein sous une autorité protectrice et bienveillante. Il peut percevoir ce double aspect d’une relation d’autorité non violente qui n’est pas un rapport de soumission, de persécution, ni de l’enfant ni du parent. Il est important que l’autorité de l’un ne soit pas soumission de l’autre car l’enjeu pour l’enfant est de comprendre que l’autorité est à son service, et non pas au service du bien-être du parent. Si ce n’est pas le cas il faudra reprendre avec le parent son propre rapport à l’autorité.

mais n’est-ce pas un évitement du conflit ?

Non si c’est laisser l’opportunité à l’enfant d’éprouver un sentiment de responsabilité plutôt qu’un énième conflit, c’est-à-dire l’opportunité de réfléchir à la situation. Si l’enfant n’a jamais l’occasion de le faire il ne peut que développer sa compétence à s’opposer. Et comme c’est un enfant il peut aller très loin dans son opposition. Mais la responsabilité est aussi un apprentissage et ça ne peut se faire que dans la bienveillance… et beaucoup de patience.

Vous disiez important de se réjouir quand on accorde

C’est bien d’insister. Quand on aime on devrait se réjouir du plaisir de l’autre. Si on ne se réjouit pas pour son enfant quand il a obtenu ce qu’il réclamait alors ça mérite un retour sur soi. Qu’est-ce qui gène ? Le regard des autres ? Le fait qu’il ait ce que l’on n’a pas eu soi-même enfant ? Le sentiment qu’il ressemble à on ne sait qui ? Le fait que la vie nous frustre alors pourquoi pas lui ? Simplement une attitude apprise durant l’enfance par un parent jamais content ? Il y a bien des hypothèses à explorer et à parler en couple.

Si au contraire on n’arrive pas à frustrer son enfant ?

Et on lui cède tout en s’en réjouissant ? L’enfant  gâté. Là encore il va falloir interroger sa propre histoire, son propre rapport à la frustration, et son rapport aux autres. Un parent peut ne pas vouloir le frustrer car il veut en faire un éternel enfant exigeant comme un prince du désert, mettre les autres adultes en échec quand ils s’en occuperont donc. Problématique complexe qui sera à reprendre. Sur les frustrations, Françoise Dolto nous a enseigné la dimension symbolique des frustrations, leur caractère « promotionnant ». C’est-à-dire que mettre une butée à la demande d’un enfant c’est lui proposer de monter d’un cran en maturité : « certes tu n’as pas ce que tu voulais mais c’est parce que c’est réservé aux plus petits, toi tu dois renoncer désormais à ce truc pour avoir d’autres avantages accordés aux plus grands ». C’est donc pour son bien et non pas pour notre confort personnel, c’est une promotion. Dans ce cas c’est ne pas le frustrer qui est dommageable pour lui car on lui refuse en fait une promotion. Mais encore faut-il que le parent soit capable de se frustrer lui-même sinon ce sera compliqué pour tout le monde.

Et si on n’arrive pas à le fruster mais sans s’en réjouir

Le bras de fer perpétuel ? L’enfant insatisfait/insatisfaisant. Les enfants sont différents et il est possible que certains soient plus intolérants à la frustration que d’autres, qu’ils aient du mal à lâcher leur désir, à composer avec leur désir, à  reporter la satisfaction. L’affrontement est risqué, si l’on se met sur le registre de l’enfant on a toutes les chances d’échouer. La diplomatie et l’esquive sont des arts difficiles surtout si l’enfant vient chercher l’affrontement pour des raisons que l’on ignore. Mais peut-être faut-il réfléchir aux raisons qui le pousseraient à affronter son parent systématiquement : une demande qu’il n’arrive pas à identifier et donc à formuler ? Une rancœur ? Une incompréhension dans sa vie ? Un comportement énigmatique du parent ? Un secret qu’il perçoit ? Une préoccupation qu’on ne lui fait pas partager ?

Une insatisfaction constitutive dans la relation ?

Oui, il peut y avoir un nœud dans la rencontre inaugurale entre la mère et l’enfant qui n’est pas parlé, un nœud dans le cœur et dans la gorge. Un vécu d’échec chez la mère dans les premiers mois face aux difficultés de son bébé par exemple et qui perdure, c’est assez fréquent. Mais il y a bien d’autres hypothèses. Cette période autour de la naissance, bien avant, pendant la grossesse, et un peu après la naissance, mérite d’être explorée et parlée encore et encore… Surtout quand on n’arrive pas à en parler. Les amies sont particulièrement précieuses à cette époque. Accessoirement le psy aussi.

Pour conclure

Céder/ne pas céder fait référence dans la relation à l’intransigeance, la fermeté, la contrainte, la soumission, la défaite ou la victoire, et ce sont comme des élastiques tendus par le ressentiment qui vous reviendront dans la figure,  accorder/ne pas accorder fait référence à la fonction protectrice du parent dans le respect de la différence des générations.

Le « mal-parler »,  une maltraitance ?

Toutes les générations transforment la langue de leurs parents. Ça, ça ne change pas !?

Et ça ne changera pas, mais quelque chose  a changé semble-t-il. Bien sûr il y a un argot qui se transmet en parallèle de l’école, non pas de génération en génération mais de grands  à petits. Quand tout se passe bien les jeunes deviennent bilingues : ils ont un langage entre eux, plutôt argotique et gras qui les unit et les distingue de la génération précédente, et un langage pour vivre en famille, en société, au travail, un langage qui unit toutes les générations. Mais la nouveauté c’est une baisse du nombre de mots utilisés par les jeunes. Beaucoup disposent de moins de 800, voire moins de 500, quand ils devraient en avoir plus de 1200 en fin de maternelle et 3 à 5000 à l’âge adulte. Tous ces chiffres sont à prendre avec des pincettes nous disent les linguistes mais on peut s’en servir pour penser la tendance vers un appauvrissement.

Peut-on parler de maltraitance à enfant pour autant ?

Je voudrais penser ça avec vous. Le vocabulaire, sa richesse, ça ne sert pas seulement à paraître, ça sert à être en relation et à exprimer des émotions, des sentiments, des opinions, à comprendre le monde. Ne pas avoir les mots pour parler de soi c’est être privé d’une partie de son humanité. Les psycholinguistes nous montrent que nous n’avons que les sentiments de nos mots ; ainsi il y a des sentiments non partageables d’une culture à l’autre car le mot n’existe pas pour le traduire. Or il y a aujourd’hui des jeunes qui sont amputés d’une grande partie de leur potentiel émotionnel et vivent avec quelques émotions fortes plutôt qu’avec les finesses et la variété des sentiments : cool, haine, rage, prise de tête etc… C’est une violence sournoise qui ne s’appelle pas maltraitance mais on gagnerait à la nommer ainsi car il y a des conséquences graves : ceux qui manquent de vocabulaire vont disparaître ou au contraire apparaître en place publique sur le mode de l’infraction. Question de dignité.

Plus précisément ?

Pour être libre il faut être instruit du monde extérieur, mais aussi de son propre monde intérieur, avoir la capacité de penser ses aliénations et dépendances. Avec moins de 800 mots on est dans la survie mais pas en capacité d’exercer son pouvoir de citoyen. On a toutes les chances d’être dépendant de ceux qui ont un haut niveau de communication. Il y a donc un enjeu pour la démocratie. Plus tard, comment assurer sa responsabilité de parent avec un si faible langage ? Comment accompagner les découvertes de son enfant, ce qu’il voit du monde, si on n’a pas les mots pour mettre du sens sur l’énigmatique ? Or l’enfant se fie à son traducteur, attention donc aux contresens.

Tous les peuples du monde n’ont pas, ou n’ont pas eu, un vocabulaire aussi riche que le nôtre. Où est le problème alors ?

Toutes les langues du monde sont obligées de rajouter des mots si elles veulent rester vivantes, souvent en anglais, pour faire face à l’évolution des sciences et des techniques mais aussi à l’évolution des rapports sociaux ; mais je parle plus particulièrement des mots qui nous permettent de sortir de la grossièreté des émotions de base. Le langage est un marqueur important de son identité et c’est pour cela qu’en tant que parent on doit y réfléchir. Voici une expérience faite avec des bébés pour illustrer mon propos : 1 – on présente à des bébés des femmes avec un doudou, ils sont attirés par les doudous tenus par des femmes qui ressemblent à leur mère, qui ont leur couleur de peau ; 2 – puis on fait parler ces femmes, ils choisissent alors de s’intéresser au doudou porté par la femme qui parle la langue de leur mère, avec son accent spécifique si c’est la même langue, quelle que soit sa couleur de peau. Ça signe l’importance du langage comme lien pour les humains, et chaque langue a sa musicalité, sa prosodie. Ça veut dire que lorsque vous parlez en présence des enfants, vous ou la télé, vous leur faites leur identité langagière, leur famille sonore. Vous leur préparez peut-être une partie de leur parcours (la destinée diront certains).

On aimerait tellement que nos enfants ne reprennent pas nos travers, nos défauts

Ils sont nés avec la compétence d’imiter, la nécessité de reproduire ce qu’ils perçoivent pour s’adapter à leur environnement. Ce n’est pas une sélection morale mais statistique et il y a des neurones dédiés à cette fonction. Sur le plan psychologique c’est l’identification qui permet à l’enfant de sélectionner les choses à imiter. Par exemple quand on veut exclure quelqu’un d’un groupe, on tente de lui barrer les possibilités d’identification « tu n’es pas comme nous » ; ainsi il y a des choses qu’il ne pourra pas apprendre en regardant/écoutant les autres. Si on empêche des enfants de s’identifier aux porteurs d’un langage riche, peu importe les différences sociologiques ou politiques, alors on les empêche d’acquérir ce langage qui peut même devenir interdit alors qu’il leur appartient en propre.  Si on leur propose des comportements et des mots à travers des séries télé, appelées faussement réalité, de la musique ou autres, alors ils reproduiront les mimiques et les tics de ces figures identificatoires. C’est ainsi qu’on fait la promotion de la vulgarité, auprès des ados notamment mais pas seulement.

Que faire en tant que parent ?

Comprendre notre responsabilité de passeurs de mots, de sentiments. Nous devons assumer la recherche et l’emploi d’un certain nombre de mots précis plutôt que de nous résoudre rapidement à utiliser un langage pauvre pour être compris. Ils sauront faire la différence entre la langue entre-soi et la langue commune. La langue entre-soi c’est d’abord entre la mère et l’enfant, puis la famille, puis la génération, la catégorie sociale, mais il faut bien apprendre cette deuxième langue qui nous éloigne de maman et nous inscrit dans l’immense communauté des humains.

Combien de familles n’ont pas de dictionnaire à la maison ?

Un dictionnaire de 75 000 mots coûte 2 paquets de cigarettes, et c’est gratuit sur le smartphone. Il y a des livres à la médiathèque certes mais combien d’enfants ne disposent pas de papier brouillon et de crayons à la maison ? Aujourd’hui que nous parlons tant d’ouverture à l’autre, combien de familles veillent au contraire à fermer les enfants sur le clan ou la communauté à travers le langage ? Sans mesurer toujours que ce sont des stigmates qui les tiendront à distance des autres. C’est parfois l’objectif. La richesse du vocabulaire, ce n’est pas réservé aux riches, amalgame fréquent et catastrophique. La richesse du vocabulaire c’est leur héritage, c’est leur dû, leur droit et donc notre devoir. Nota : si la richesse du langage ne fait pas la valeur humaine, les dictateurs sont souvent instruits, la faiblesse du langage ne fait pas du tout le citoyen-philosophe. Les penseurs du peuple et des pauvres comme Marx Ghandi Mandela Luther King étaient instruits.

Reste la question pour tous les adultes : jusqu’où devons-nous adapter notre langage pour être compris ?

Je crois que les adultes ont tort quand ils reprennent le langage adolescent. Ce langage est destiné à mettre les adultes à distance, à créer une barrière entre les générations, il faut donc respecter ce besoin. En revanche, nous devons persévérer pour leur apprendre le langage adulte même si aujourd’hui ils pensent pouvoir s’en passer de plus en plus puisque nombre d’adultes l’utilisent. C’est un leurre car pour parler à tous il faut parler la langue de tous – avec le moins d’accent possible en quelque sorte – sinon ça veut dire qu’on les assigne à un statut d’enfants consuméristes et excités dont on attend seulement qu’ils ne nous embêtent pas trop ; ou bien qu’il n’y a pas de lieux où l’on doit se tenir différemment, et non pas comme entre copains.

On voit des gens se vanter de parler « cash », de parler de la même façon n’importe où.

Comme si c’était un signe de franchise et qu’à l’inverse changer de langage était un signe de fausseté. C’est peut-être parce qu’ils ne sont pas bilingues. Or changer de langage, l’adapter à la situation, c’est signifier que l’on comprend les différences et que l’on respecte les conventions sociales. Apprendre aux enfants et aux adolescents le respect des conventions est de la plus haute importance. Le fait que les adultes ne les respectent pas toujours ne justifie rien bien au contraire.

un mot sur le parler bébé

C’est parfois comme le sein partagé entre la mère et l’enfant, un truc privé. Je ne sais pas s’il faut s’alarmer de ça quand ils savent être grands ailleurs. Ça me fait penser au sevrage, on ne sait pas toujours qui doit l’initier et à qui appartient le sein. Vient le temps ou il faudra bien parler correctement à l’enfant, mettre les bons mots  même s’ils paraissent compliqués. Vient le temps ou il faudra bien accuser réception des compétences de l’enfant. Le langage bébé  ressemble à de la tendresse, ce qui n’est pas une tuile dans la vie, mais c’est bien aussi quand c’est le parent qui transmet la langue des autres. Une façon de l’inscrire dans la communauté, donc de s’en séparer symboliquement.

Un atelier d’éco-philosophie, qu’est-ce que ce n’est pas ?

Ce n’est ni un mouvement politique, ni un mouvement citoyen, ni un lieu pour décider d’actions politiques ;

Ce n’est pas un lieu d’échanges de bonnes pratiques écologiques ;

Ce n’est pas un collectif constitué, qui recherche “à tout prix” l’accord, le consensus ;

Ce n’est pas un cycle de conférences : l’animateur doit économiser ses mots, pour que les participants puissent investir les leurs ;

Ce n’est pas un lieu d’expression refusé ou réservé aux experts.

 

Qu’est-ce que c’est, alors ?

Tous les mois et demi durant 2 h, tous assis en cercle.

Un lieu de pouvoir : celui de poser des diagnostics ;

Un lieu ouvert, où chacun à son mot à dire, sur le monde tel qu’il va… ou ne va pas ;

Un lieu où nous pouvons dire “ce que nous avons sur la patate” ;

Un lieu où nous pouvons dire ce que nous savons, ce qui nous fait peur, ou nous fait espérer ;

Un lieu où l’on parle et écoute dans le respect mutuel, tranquillement.

 

Mais plus encore, c’est un lieu…

où l’on peut apprendre à parler en public, à écouter et à argumenter avant d’élaborer son opinion ;

où l’on peut apprendre à argumenter, puis accepter l’évaluation par autrui de ses propres arguments ;

où l’on peut parler sans crainte, explorer toutes les options, identifier tous les obstacles, les tabous et les dénis ;

où l’on peut exercer son esprit critique pour affirmer son statut d’interlocuteur et éventuellement d’acteur politique, donc de citoyen.

 

« À quoi ça sert de parler ? »

La parole, libre et sans obligation de résultat, est une ressource importante depuis la nuit des temps.

Partagée, elle peut donner de l’élan à nombre de projets intimes ou collectifs. Et nous verrons bien, à la fin, si les palabres ont un pouvoir de transformation quelconque.

C’est parce que j’en suis convaincu, que je vous invite à prendre la parole, et à écouter la parole du voisin.

Et si les voisins étaient la solution et non pas le problème ?

“C’était un temps déraisonnable

On avait mis les morts à table”

Ce sont les premiers vers d’un poème d’Aragon mis en musique par Léo Ferré, Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Ces deux vers sont un diagnostic d’une grande lucidité, à la fois sur ceux qui nous opposent, à savoir les ancêtres et leurs dieux, et sur ce qui nous oppose : la fidélité, ou non, à ces ancêtres, leurs dieux.

Quel lien avec la laïcité ?

Le rapport aux ancêtres est un garrot qui nous étrangle comme des lapins ; il convoque les plans anthropologique psychologique en passant par le politique. Les concepts de la laïcité ont transformé ce rapport.

La pratique philosophique de l’examen critique, si elle se veut sincère, ne doit pas avoir de tabous. Notre société laïque s’est fait une spécialité de l’autocritique et de la critique de ses propres ancêtres, parfois exclusivement à charge et sans tenir compte du contexte. Des relativistes, notamment, se veulent exemplaires : je ne critique pas les autres tant que je n’ai pas déconstruit mon passé. Ce faisant, ils prennent le risque de l’annuler et de devenir des bulles qui flottent au gré des vents. Cette posture radicale peut se transformer en délire quand elle cherche la perfection, l’exhaustivité, voire la pureté. Alors, quand on rencontre dans notre pays des cultures qui, elles, sacralisent leurs ancêtres, quoiqu’ils aient fait ; ou bien qui interdisent l’autocritique car elle serait blasphématoire, alors la posture laïque fait problème ; la rencontre est douleur ; l’examen critique sincère du passé et du présent est impossible, et cela ne peut tourner qu’au lynchage unilatéral de nos ancêtres. S’en satisfaire, c’est un paternalisme qui n’offre pas d’issue.

Pas si exemplaire que ça alors ces relativistes ?

Ils sont utiles aux antilaïques pour avancer dans la posture victimaire, mais ils sont tout ce qu’ils haïssent et refusent de devenir : des libéraux qui ne respectent rien dans leur critique, même pas leurs ancêtres. Ils sont l’exemple parfait de ce qu’ils définissent comme de la barbarie, quand les relativistes se pensent la pointe avancée de la civilisation. Ce ne sont pas des idiots utiles de l’islamisme – ce terme n’a rien à faire dans le champ de la réflexion, laissons-le à la politique politicienne – ils lui sont utiles certes mais pas en tant qu’idiots, plutôt parce qu’ils ne le sont pas : ils sont seulement dans une forme de radicalisation de la posture critique ; péché d’orgueil. Je préfère les penser comme le cheval de Troie de l’islamisme. Par exemple, j’apprends par Naëm Bestandji, un militant féministe laïque et universaliste, que le PCF 38 abrite dans ses locaux l’Alliance citoyenne, aux accointances islamistes identifiées, qui mène une bataille au nom des droits des femmes musulmanes (se baigner dans les piscines municipales en burkini). Voir également la tribune offerte à Valence par la LFI, automne 2020, aux communautaristes.

Nous ne serions plus fidèles à nos ancêtres ?

Les relativistes qui poussent en France à la critique de leurs ancêtres au point de les déboulonner, ne s’aperçoivent pas à quel point ils leur sont fidèles ! Je veux dire que la valeur qui émerge logiquement du triptyque républicain, c’est le bonheur quelles que soient les orientations sexuelles philosophiques spirituelles musicales etc. (jouis de la vie !) pourvu qu’elle n’exclue pas l’étranger. En condamnant nos ancêtres douteux, ils ne font que célébrer l’œuvre laïque via la valeur jouissance, ici jouissance de l’autocritique ; et le rapport à l’étranger est la meilleure mise à l’épreuve de la sincérité de cette autocritique. Ici, le fantasme de l’auto-engendrement les guette (deviens ce que tu es !), or c’est justement l’auto-engendrement qui est interdit pour ceux qui se veulent sous la surveillance des générations précédentes et de dieu. Pour les fanatiques musulmans, se débarrasser du barbare est une tentative de se débarrasser de la critique des ancêtres ; de la vie avec l’eau du bain.

On ne se débarrasse donc jamais des ancêtres ?

Non, nous sommes le fruit d’une histoire. En revanche on peut changer notre rapport à celle-ci, c’est l’épreuve émancipatrice que nous impose la laïcité : avoir un rapport aux ancêtres qui n’empêche pas la vie de se réinventer à chaque génération. Un petit détour : le temps profane est le temps de l’éphéméride (Chronos), un temps linéaire, à plat, ou chaque jour est nouveau ; le temps sacré est un temps cyclique (Aiôn), c’est le retour des fêtes, du printemps, des cérémonies ; c’est un temps vertical, le fil en spirale qui nous relie à nos ancêtres via un maître de cérémonie. Le saint du saint est un espace vide défini par 4 murs, et un rituel pour y accéder ; comme il est sans toit, il met en relation avec Dieu si on lève la tête, mais au risque d’être grillé sur place si l’on n’est pas prêt. En science-fiction on appelle ça un vortex. Dans une société laïque, c’est le temps profane qui organise la cité et ce n’est pas négociable. Pourquoi ? Parce que des dieux il y en a 1000 ! Et tous se prétendent uniques ! La logique laïque qui veut la paix dans la diversité, conduit à réserver les vortex au domaine privé, dans des lieux prévus à cet effet. Dit autrement, les ancêtres ne peuvent pas être à notre table, dans le temps profane ? Tiens, une petite histoire pour me faire comprendre, celle du Cap’tain Cook qui a « découvert » la moitié de la planète au profit de la couronne d’Angleterre. Sur une île du Pacifique, une première fois, lui et ses hommes sont accueillis comme des dieux. Les indigènes leur offrent tout, tout. Mais Cap’tain Cook revient trop rapidement à cause d’une avarie. Les indigènes n’en veulent plus car ils n’ont plus assez pour eux. Il n’y a plus de place à table ! Je vous pose la question : ont-ils raison de préférer leurs enfants au dieu Cook ? Qu’ils tueront ! Ne répondez pas trop vite à la question. Analysez d’abord notre organisation politique économique sociale et écologique, leurs conséquences sur les enfants, les générations à naître, le vivant. À partir de là reparlons du fanatisme, vérifions s’il pourrait être également économique et « civilisé ». Si la République est laïque et sociale, laïque donc sociale, alors elle est le contraire de tout fanatisme, y compris économique.

Virer les ancêtres de la table, de l’espace public, n’est-ce pas une épreuve impossible à surmonter quand on est croyant ?

Oui si on ne la désigne pas par son nom et qu’on ne surveille pas de près les ancêtres, qui surveillent leur descendance et crient à la trahison à la moindre pensée critique. Non, si on distingue l’affiliation (proposition philosophique et laïque) de l’assignation (injonction religieuse). L’assignation est une contrainte identitaire qui enchaîne le Sujet ; c’est un stigmate sur le corps de l’adepte, ou des rituels qu’il doit pratiquer, qui signifie qu’il appartient à un dieu. L’affiliation c’est l’identification volontaire et temporaire à une lignée, le temps du culte par exemple ; donc le Sujet est autonome… il a flingué symboliquement les ancêtres qui sont considérés comme morts. La laïcité c’est le meurtre symbolique des ancêtres dont on ne se débarrasse pas pour autant ; il signifie qu’on les a inscrits dans une lignée dans laquelle on s’inscrit également… comme une succession d’égaux donc. C’est-à-dire que je suis un être humain dans ma génération, comme mes parents l’ont été, pas plus, pas moins. Quand un discours religieux donne un avantage sur les autres – je suis l’élu et le pouvoir m’est dû – il faut un grand sens moral pour y renoncer. Mais ce n’est pas la faute de l’ancêtre, de dieu, c’est la soif de jouir du pouvoir à bon compte. La laïcité, c’est la paire de ciseaux qui coupe les chaînes entre générations, pour les faire lien. En attendant Morta, la Parque.

Et leurs baisers au loin les suivent

Comme des soleils révolus                Aragon

Nice 2020 : la violence islamiste, dans un lieu de culte.

La liberté de pratiquer son culte en toute sécurité est un droit constitutionnel né de la nécessité de protéger les cultes minoritaires. En passant, c’est une façon de les égaliser en attribuant aux religions un statut de croyances. C’est donc aussi un déclassement.

Nous devons distinguer deux violences. La première, c’est celle inhérente à la volonté islamiste d’établir un califat mondial, elle n’a d’autres causes qu’internes : le pouvoir de régir le monde aurait été attribué aux adeptes – nouveau peuple élu – directement par le seul vrai dieu via un prophète médium. Cette violence n’est née d’aucune colonisation ni souffrance  mondialiste, et ne s’adresse pas spécifiquement à nous occidentaux : elle frappe là où c’est possible. La laïcité étant un anticléricalisme, explicitement, la volonté théocratique est du fascisme. Ceci nous désigne comme l’ennemi-type.

Les musulmans ne sont-ils pas les premières victimes de l’islamisme ?

Non. Ils sont les plus nombreux parce que plus faciles à atteindre. Toutes les personnes qui ne se soumettent pas à son dogme, par exemple : les athées, les apostats, les homosexuels des deux sexes, sont dans la file d’attente. Conclusion : si vous avez peur c’est que vous allez bien sur le plan psychologique, si non, le mieux c’est de consulter.

La deuxième violence ?

Celle dont la cause supposée serait le sentiment d’injustice ou d’atteinte au sacré, les fameuses caricatures donc. La violence serait une réaction légitime car secondaire, elle ne serait qu’une réaction, en quelque sorte pédagogique. Globalement, la laïcité serait la cause car, si on laissait chacun pratiquer comme il veut, à l’anglo-saxonne par exemple, il n’y aurait pas de violence.  Déni de la réalité ! René Girard, un anthropologue, nous a montré que la violence se justifiait toujours d’être secondaire : nous prétendons toujours rendre le coup que l’on nous a porté. La Fontaine a tout dit dans Le loup et l’agneau. Soyons clairs : la laïcité, en égalisant tous les êtres humains, et en leur attribuant la liberté par nature, porte un coup d’une grande violence aux religions. L’église catholique a eu du mal à rentrer dans le rang – quand on est majoritaire c’est plus dur – . L’islamiste qui ne sait pas être minoritaire, ni majoritaire, mais seulement hégémonique, n’envisage pas la coupure qu’organise la laïcité : la précellence du profane dans l’espace public.

Serions-nous dans une impasse ?

La liberté d’expression est un droit non négociable, les croyances ne sont pas sacrées, seules la vie et l’intégrité physique (et psychologique ?) le sont. Cette liberté peut être restreinte dans le cadre d’un culte entre des gens qui partagent, volontairement, ce culte. Le blasphème existe en privé, il ne concerne que les croyants d’un même dogme. Disons-le, il y a une vraie torture que l’on évite aux français musulmans ( sauf pour ceux qui se rappellent les émissions d’Abdelwahab Meddeb, Culture d’islam) : le Texte est-il la parole de dieu ou ce que les hommes en ont compris ? Donc il est interprétable. Dit autrement, dieu est-il une réalité que tous doivent admettre, ou bien seulement connaissable par la foi, au plus profond de son intimité ? (voir le film Le nom de la rose) Si les musulmans se prononçaient sur le deuxième choix, ils opéreraient alors un schisme qui les ferait rentrer dans notre modernité certes, mais au risque d’y rentrer les pieds devant. La preuve par Nice dont le message des fanatiques s’adresse aux croyants (ceux qui ont la foi donc). Le message s’adressent à tous ceux qui seraient tentés de séculariser leur religion, comme l’ont fait les chrétiens. Le mauvais exemple à ne pas suivre. Arme à la main, nous sommes tous convoqués par les fanatiques pour dire si, dans l’espace public, dieu est une croyance comme une autre ou doit être tenu pour vrai de vrai. Qui veut répondre ?

On chercherait au mauvais endroit les causes de cette violence ?

Il y a plusieurs hypothèses sur la table. 1 On cherche du côté du sort réservé à la jeunesse. Ça ne tient pas si on compare les pays ou si on connaît l’histoire : la violence religieuse se moque des époques. 2 On cherche du côté de la fragilité de la jeunesse : ils sont à la recherche de sens, de combats, de pouvoir à bon compte, d’une vie grandiose y compris à travers l’ascétisme et la mort, surtout s’ils ne sont pas diplômés. C’est une hypothèse qui a du sens, mais  ne couvre pas tous les cas, loin s’en faut. 3 On cherche du côté de l’obscurantisme – ici religieux, mais il n’est pas que religieux – c’est-à-dire la croyance en la magie plutôt que la connaissance du réel. Le réel c’est psychologiquement la tuile absolue, et l’autre, qui en est le représentant, le diable en personne. Sacrée épreuve. 4 On doit chercher du côté du pouvoir, de la jouissance du pouvoir sans autre mérite que d’être l’élu : le préféré de dieu parmi les hommes – soit symboliquement l’aîné de la fratrie  – dont la colère est légitime car spolié par les cadets via les droits des hommes et le triptyque républicain. L’islam prétend être la dernière religion, mais aussi la première ! Fils (pas fille) unique de dieu donc. Mais en laïcité, il n’y a plus de droit d’aînesse ni de privilèges liés au sexe ! Vous voyez, ça coupe sacrément la laïcité ! Mais ce n’est pas de la castration, c’est une promotion : la laïcité est une spiritualité de ce point de vue, car elle vient couper dans le vif de nos illusions et de nos désirs d’emprise.

Aussi, dire que les caricatures sont La cause est une facilité de langage, ou une lâcheté.

Une hypothèse personnelle pour finir

Notre société, avec sa foutue liberté individuelle, propose une vie de solitude où la dépression rôde. Si on ne trouve pas un clan, une bande, une tribu etc.. on court un grand risque. Et ça ne suffit pas toujours. La religion, quand elle est hégémonique ou dans une démarche sectaire, propose une présence permanente, à la limite de la persécution, et exigeante, très exigeante. Le contraire de ce que nous faisons auprès des jeunes ? Les recruteurs (ou la culture religieuse intégriste) ne lâchent pas leurs adeptes, ils les isolent mais ne les laissent jamais seuls grâce aux réseaux. Chez une personne angoissée, phobique, c’est d’un grand secours, et la perspective de la mort peut-être le soulagement d’une douleur d’exister… seul. J’ai découvert ceci en travaillant auprès de délinquants. Les caïds ont gardé des peurs d’enfants psychologiquement abandonnés, ils sont les plus fragiles. L’abandon, psychique, est une bombe à retardement. Nous avons tort de ne pas faire de prévention, pire, d’attaquer socialement le lien mère/enfant. Moi Président…

Perspectives laïques

Si nous voulons demeurer (ou devenir ?) une société laïque, soit la liberté malgré ses aspects douloureux, alors nous devrions réinventer notre façon d’être présents les uns aux autres ; construire enfin une société de l’attention réciproque. Tiens, ce pourrait être la définition d’une République laïque. Mais c’est l’exact opposé de la direction que l’on prend ! Car qui veut vraiment de l’Egalité ? Dites « égalité » dans une assemblée et vous perdez la moitié de la salle. Qui veut vraiment de la Fraternité ? Dites « responsabilité vis-à-vis du plus faible, soit la fille de l’intégriste, quelle que soit sa religion » et vous perdez  l’autre moitié. Il vous restera les laïques… et les sourds. Ça va de soi (G.Brassens).