Le cycle retrouvailles – séparation

La petite famille est à peine née que déjà les questions de séparations sont envisagées !

La séparation d’avec la mère et les angoisses associées sont la grande affaire de la petite enfance. Autant pour les parents que pour les enfants. Et il n’est pas impossible que ces angoisses nous poursuivent toute notre vie. Combien d’adultes n’ont en fait jamais vécu seuls ? Combien d’adultes gardent toute leur vie un doudou pour dormir ? Ou la lumière allumée ? Pourtant il faut bien apprendre à se séparer car pour vivre sa vie dans une autonomie  suffisante et tranquille il s’agit de surmonter ses angoisses d’abandon, de danger imminent, de les apprivoiser et de les transformer.

Il y a une espèce d’urgence à l’autonomie dans notre nouvelle culture. Une injonction.

Oui, il faudrait les préparer à être des cow-boy solitaires,  des self made, le mythe libéral quoi. Beaucoup de parents apprennent la séparation à leurs enfants en créant des séparations précoces, pour qu’ils s’habituent à la séparation justement. C’est la théorie spontanée de l’apprentissage par la confrontation au réel. « Tu devrais le mettre à la crèche le plus tôt possible », « il ne faut pas lui donner le sein si tu veux reprendre le travail » etc.. En clair il ne faut pas trop s’attacher car ça va rendre la séparation encore plus dure. Autant ne pas trop se lier ou trop s’attacher. Cette logique est implacable mais… fausse, car c’est faire une analogie entre le lien psychique mère/enfant et la corde. Si on renforce une corde elle est plus difficile à couper c’est vrai, en revanche pour le lien mère/enfant c’est le contraire, plus il est de qualité et plus il sera facile de le couper (symboliquement) dans la certitude que l’on est qu’il est facile de le reconstituer, parce que fiable. Il est plus facile de se séparer d’une mère que l’on a eue (elle est reconstituée à l’intérieur) que d’une mère que l’on n’a pas eue et que l’on risque de chercher toute sa vie.

Comment préparer valablement cette capacité à se séparer tranquillement

Pour se séparer il faut d’abord apprendre à se retrouver. Curieux non ? C’est-à-dire que sur le plan psychologique les retrouvailles doivent précéder les séparations. Pas si curieux que ça car les petites séparations sont multiples durant la petite enfance mais nous négligeons les retrouvailles comme faisant partie d’une boucle vertueuse. Pourtant il suffit de se souvenir : vous attendiez votre amoureux à 20h pour aller au restaurant ou au cinéma. Quand il est arrivé tranquillement à 21h sans avoir prévenu de son retard… drame. L’impatience et l’incompréhension ont remplacé la joie de se retrouver par du ressentiment voire de la colère. Conflit intérieur. En toute logique vous auriez dû vous réjouir qu’il ou elle arrive enfin, et pourtant qu’il est difficile de surmonter le sentiment d’avoir été traité négligemment. Le sentiment d’humiliation rôde et se lie à la souffrance du manque. Il faut du temps pour surmonter ce conflit qui rend silencieux, et gâche les retrouvailles qui ne peuvent pas être joyeuses et ne les rendra pas plus facile la prochaine fois, bien au contraire.

Vrai pour les familles dont le père est en déplacement long par exemple ?

Ces familles savent combien c’est difficile l’absence. Au début l’absent manque, à la fin il dérange. Le travail consiste toujours à surmonter ce conflit lié au retour de l’autre. C’est la même chose pour les petits enfants qui ont attendu au-delà de leur capacité et se sont accrochés au souvenir fragile de leur mère. Vous observerez d’ailleurs comment même un tout petit bébé peut tourner la tête à sa mère qu’il retrouve après une absence trop longue pour lui. Dans ces cas-là prudence et patience, il faut lui laisser le temps de pardonner à sa mère par un sourire avant de lui faire une demande : prendre son lait par exemple, chose qu’il pourrait vous refuser dans un premier temps.

Des retrouvailles réussies ce serait quoi ?

De la disponibilité, du sens de l’observation. Le temps que l’on donne à l’enfant pour qu’il dépasse son conflit, ses sentiments contradictoires, et la perception blessante voire humiliante du manque. Pour l’aider, il faut… ne rien faire, si tant est qu’attendre les bras symboliquement ouvert était rien. Et c’est difficile semble-t-il car ce n’est pas un apprentissage banal. Ne rien faire c’est ne pas déballer les courses, ou vider la machine. Ne pas téléphoner, ne pas regarder la télé. Ne rien faire c’est rester à sa disposition, éventuellement près du sol. Pour qu’il s’approche, raconte à sa manière sa journée, pardonne à son parent. Quant à l’issue de ce rapprochement il repart à ses activités, le cycle séparation/retrouvailles est bouclé, le parent peut repartir à ses occupations. Même chose quand on rentre de déplacement, on laisse les valises dans l’entrée et on s’assoie… mais sans télé ni portable. Il n’y a rien de plus urgent que d’attendre et ne rien faire. Bras ouverts on a dit. Nota, cela ne veut pas dire qu’il faut faire ça à la crèche ou chez la nounou, il faut le faire chez soi.

On dit retrouvailles pour parler de retrouver l’autre, et se retrouver quand il s’agit de soi à soi

Oui et c’est intéressant de jouer avec ces deux termes. Pour se retrouver soi-même il faut qu’il y ait eu retrouvailles avec l’autre car l’on s’était un petit peu perdu en son absence. Perdu ça veut dire être tiraillé par des sentiments contradictoires, entre désir de le revoir et désir de le mettre en pièce pour avoir manqué à notre appel. Mais la destruction est impossible car l’autre est le réceptacle de tant de désirs, l’enfant ne peut alors que frapper de dépit. Vous êtes autorisés à faire des liens avec des violences adultes aussi. Cette dépendance est une grande souffrance, une véritable humiliation qui met l’enfant en miette, il faudra donc qu’il y ait retrouvailles pour qu’il se retrouve enfin unifié dans un sentiment de dépendance apaisée, réciproque d’une certaine manière car la question de l’amour est : qui suis-je pour toi ? Rassurez-vous, ce conflit dure toute la vie quand on aime !

Ce n’est pas un trop d’amour pour l’enfant, un trop de mère, qui empêche une bonne séparation alors ?

Qui peut dire ce que veut dire trop ? Ca change en fonction des époques et des cultures. Et ça a beaucoup changé ce dernier siècle avec la baisse de la mortalité et de la natalité. Les enfants ont cette compétence à être séparés mais encore faut-il que la mère elle-même, ou le père, soit tranquille avec la séparation, qu’ils ne confonde pas par exemple l’amour avec l’impossibilité de se séparer, l’amour avec la souffrance de la séparation, ce qui est une confusion fréquente. On peut repérer des parents qui ont besoin de voir leurs enfants souffrir de la séparation et besoin de souffrir en retour ; alors les enfants apprennent à pleurer pour faire plaisir à leurs parents. Comme si la légèreté était interdite, comme si la culpabilité affichée par le parent était un gage d’amour à donner l’enfant .