Céder ou ne pas céder à un enfant ?

« Je ne céderai pas », « j’ai fini par céder », ou « tu n’aurais pas dû céder » etc.. sont des expressions courantes, de quoi parlent-elles ?

Les mots ont de l’importance, parfois ils expriment notre idée mais parfois ils la précèdent voire la créent. Ces expressions signifient qu’il y a un gagnant et un perdant. Il y aura rancœur ou colère, donc représailles. Mais cela veut dire surtout que le parent s’est placé au même niveau que l’enfant et c’est cela le problème. Il s’est laissé déloger de ce statut ce qui n’était pas le projet initial de l’enfant dans son opposition. C’est un problème d’une part parce que l’enfant peut être dans l’illusion qu’il peut gagner, ça alimente un sentiment de toute puissance qu’on lui reprochera ensuite, et d’autre part parce que cela crée de la rancœur, du ressentiment voire de la colère : sentiments qui font le lit de prochaines vengeances.

Il n’y a que des perdants alors ?

Je ne parle pas de situations où sa santé ou sa sécurité sont engagées, je parle des situations qui n’ont que l’importance qu’on leur accorde. Que l’on cède ou que l’on ne cède pas c’est égal : c’est  une défaite pour le parent et l’enfant. Je vous propose de repenser les situations avec un autre verbe : accorder, ou ne pas accorder. Comprenez-vous le changement de perspectives ? C’est-à-dire que si le parent juge que l’enfant est à sa limite de renoncement ou de compréhension, qu’il veut quelque chose à laquelle il ne peut pas renoncer car il n’en a pas les moyens, alors il peut lui accorder sans que ce soit une défaite pour lui et une victoire pour l’enfant. C’est donner satisfaction sans céder pour autant. Mais il ne faut pas se payer de mots, pour savoir si le parent a cédé ou bien accordé il doit identifier son sentiment : éprouve-t-il du dépit, de la rancœur ou bien de la réjouissance pour le plaisir de l’enfant ?

Alors cet enfant exigeant a eu ce qu’il voulait ?

Mais en accordant, le parent, qui avait les moyens physiques de refuser, s’est montré bienveillant et a gardé son statut de parent. Et curieusement (pas tant que ça) son autorité se trouvera renforcée du fait de cette attention aux limites de l’enfant. Plus il dira oui aux demandes de l’enfant, et se réjouira, et plus il renforcera l’image d’une autorité bienveillante qui ne cherche pas son confort personnel. Plus il entrera en conflit et plus il dégradera l’image de l’autorité.

Si on n’accorde pas ?

Mais dans ce cas-là c’est un non bienveillant qui n’est pas dans le bras de fer. Poser un non qui tienne compte de ses limites inspire confiance à l’enfant. Il peut rester serein sous une autorité protectrice et bienveillante. Il peut percevoir ce double aspect d’une relation d’autorité non violente qui n’est pas un rapport de soumission, de persécution, ni de l’enfant ni du parent. Il est important que l’autorité de l’un ne soit pas soumission de l’autre car l’enjeu pour l’enfant est de comprendre que l’autorité est à son service, et non pas au service du bien-être du parent. Si ce n’est pas le cas il faudra reprendre avec le parent son propre rapport à l’autorité.

mais n’est-ce pas un évitement du conflit ?

Non si c’est laisser l’opportunité à l’enfant d’éprouver un sentiment de responsabilité plutôt qu’un énième conflit, c’est-à-dire l’opportunité de réfléchir à la situation. Si l’enfant n’a jamais l’occasion de le faire il ne peut que développer sa compétence à s’opposer. Et comme c’est un enfant il peut aller très loin dans son opposition. Mais la responsabilité est aussi un apprentissage et ça ne peut se faire que dans la bienveillance… et beaucoup de patience.

Vous disiez important de se réjouir quand on accorde

C’est bien d’insister. Quand on aime on devrait se réjouir du plaisir de l’autre. Si on ne se réjouit pas pour son enfant quand il a obtenu ce qu’il réclamait alors ça mérite un retour sur soi. Qu’est-ce qui gène ? Le regard des autres ? Le fait qu’il ait ce que l’on n’a pas eu soi-même enfant ? Le sentiment qu’il ressemble à on ne sait qui ? Le fait que la vie nous frustre alors pourquoi pas lui ? Simplement une attitude apprise durant l’enfance par un parent jamais content ? Il y a bien des hypothèses à explorer et à parler en couple.

Si au contraire on n’arrive pas à frustrer son enfant ?

Et on lui cède tout en s’en réjouissant ? L’enfant  gâté. Là encore il va falloir interroger sa propre histoire, son propre rapport à la frustration, et son rapport aux autres. Un parent peut ne pas vouloir le frustrer car il veut en faire un éternel enfant exigeant comme un prince du désert, mettre les autres adultes en échec quand ils s’en occuperont donc. Problématique complexe qui sera à reprendre. Sur les frustrations, Françoise Dolto nous a enseigné la dimension symbolique des frustrations, leur caractère « promotionnant ». C’est-à-dire que mettre une butée à la demande d’un enfant c’est lui proposer de monter d’un cran en maturité : « certes tu n’as pas ce que tu voulais mais c’est parce que c’est réservé aux plus petits, toi tu dois renoncer désormais à ce truc pour avoir d’autres avantages accordés aux plus grands ». C’est donc pour son bien et non pas pour notre confort personnel, c’est une promotion. Dans ce cas c’est ne pas le frustrer qui est dommageable pour lui car on lui refuse en fait une promotion. Mais encore faut-il que le parent soit capable de se frustrer lui-même sinon ce sera compliqué pour tout le monde.

Et si on n’arrive pas à le fruster mais sans s’en réjouir

Le bras de fer perpétuel ? L’enfant insatisfait/insatisfaisant. Les enfants sont différents et il est possible que certains soient plus intolérants à la frustration que d’autres, qu’ils aient du mal à lâcher leur désir, à composer avec leur désir, à  reporter la satisfaction. L’affrontement est risqué, si l’on se met sur le registre de l’enfant on a toutes les chances d’échouer. La diplomatie et l’esquive sont des arts difficiles surtout si l’enfant vient chercher l’affrontement pour des raisons que l’on ignore. Mais peut-être faut-il réfléchir aux raisons qui le pousseraient à affronter son parent systématiquement : une demande qu’il n’arrive pas à identifier et donc à formuler ? Une rancœur ? Une incompréhension dans sa vie ? Un comportement énigmatique du parent ? Un secret qu’il perçoit ? Une préoccupation qu’on ne lui fait pas partager ?

Une insatisfaction constitutive dans la relation ?

Oui, il peut y avoir un nœud dans la rencontre inaugurale entre la mère et l’enfant qui n’est pas parlé, un nœud dans le cœur et dans la gorge. Un vécu d’échec chez la mère dans les premiers mois face aux difficultés de son bébé par exemple et qui perdure, c’est assez fréquent. Mais il y a bien d’autres hypothèses. Cette période autour de la naissance, bien avant, pendant la grossesse, et un peu après la naissance, mérite d’être explorée et parlée encore et encore… Surtout quand on n’arrive pas à en parler. Les amies sont particulièrement précieuses à cette époque. Accessoirement le psy aussi.

Pour conclure

Céder/ne pas céder fait référence dans la relation à l’intransigeance, la fermeté, la contrainte, la soumission, la défaite ou la victoire, et ce sont comme des élastiques tendus par le ressentiment qui vous reviendront dans la figure,  accorder/ne pas accorder fait référence à la fonction protectrice du parent dans le respect de la différence des générations.