Cliquer sur cet espace blanc pour accéder au livret Laïcité de la CGT. Mon commentaire suit.

La CGT vient de publier un livret sur la laïcité où elle expose sa conception de la laïcité et les actions possibles en entreprise concernant le fait religieux.  Comme c’est un acteur majeur du débat, et qu’elle opère un glissement communautariste et anti-universaliste que je juge contraire à son engagement historique pour “l’émancipation des masses”,  j’ai pris la peine d’adresser des commentaires à la secrétaire confédérale en charge de la laïcité. Je vous les livre.

 

A l’attention de Mme Nathalie VERDEIL

Secrétaire confédérale et pilote du groupe de travail Laïcité

Bonjour Madame,

(..)

Un ami vient de me faire suivre votre document Laïcité, garante des libertés, de février 2021. (..)

La CGT fait sienne la conception de J. Baubérot : la laïcité comme oeucuménisme. Mais la laïcité n’est pas un oeucuménisme et ne l’a jamais été,  c’est un anti-cléricalisme car c’est un anti-fascisme, un anti-féodalisme, un anti-obscurantisme, très loin donc de ce vous défendez désormais. Je prétends, Madame, qu’avec ce glissement, la  CGT ne respecte pas son histoire et sa mission fondamentale.

Parenthèse. Vous avez noté j’en suis sûr, que la laïcité concordataire de Baubérot est celle du  RN ; la différence concernant l’islam ne change rien sur le fond.

Je vais reprendre votre édito, puis l’introduction, car tout y est.

L’argument du « prétexte d’une lutte contre l’islamisme radical » (?) pour atteindre les musulmans dans leur ensemble, dit l’amalgame que vous faites en le dénonçant chez les autres d’une part, il dit aussi cette posture intellectuelle de base d’autre part : ne jamais hurler avec les loups. Aussi toute analyse provenant d’un « loup » présumé est discrédité et la cible devient une victime à défendre ; quitte à tout relativiser. Ce discours en contre, fait du RN la référence à toute votre construction.

«  .. et l’émancipation ». En quoi une croyance religieuse quelconque qui nierait le réel, la science (l’obscurantisme), la liberté du sujet (le cléricalisme) et l’égalité  entre les personnes (le féodalisme), est-elle à défendre au titre de l’émancipation ? Pourriez-vous donner votre définition actuelle de « l’émancipation » ? C’est peut-être la clé qu’il me manque pour comprendre votre logique et vos revendications identitaires.

« ..Attachée aux libertés, ». Oui mais celle dont vous parlez, et que défend Baubérot et consorts, c’est la liberté d’entreprendre, celle de l’homme mais pas du citoyen, la liberté des anglo-saxons que vous prenez pour du progressisme : jouir sans entrave. Or la Liberté laïque, ce sont des contraintes, des limites : cette liberté qui ne retire rien à l’autre, celle qui fait que je neutralise en moi certaines choses pour ne pas gêner l’autre ; cette Liberté contraint tout désir d’emprise sur l’autre. Si on déplie cette Liberté sur le plan économique et écologique –  les contraintes qu’elle ferait peser sur la folie du système – on comprend pourquoi le communautarisme anglo-saxon l’attaque frontalement, mais pas pourquoi la CGT y renonce quand il s’agit de religion.

« …de la liberté religieuse  dans la cité et notamment dans l’entreprise ». Vous faites une déclinaison indue à partir d’un postulat faux bien qu’il paraisse vrai voire évident. Il n’y a pas de liberté religieuse dans une République laïque au sens où l’on fait ce que l’on veut au nom de sa religion. La conscience est libre, y compris religieuse, ainsi que son expression, mais la pratique ne l’est pas et ne peut pas l’être. Et c’est heureux car vous seriez la première à vous dresser, j’en suis sûr, si quelqu’un revendiquait le droit de battre sa femme, de tuer son fils homosexuel ou sa fille apostat, au nom de sa liberté religieuse.

Vous utilisez la liberté comme un bélier. Mais je vous vois mal défendre la liberté de porter un tee-shirt « mort aux militants CGT »  sous prétexte de religion ou de liberté d’exprimer ses opinions. Je vous vois mal revendiquer une salle de prière pour les pastafaristes au nom de cette même liberté, ou le port du couteau traditionnel pour les Sikhs ; il va falloir vous y préparer cependant, car des « laïcards » vous mettront face à vos contradictions avec des revendications de ce genre.

« .. la fraternité,.. ». Vous l’écrivez avec un f minuscule, or il s’agit d’un F majuscule pour ce qui concerne la Fraternité laïque. La Fraternité n’est pas la déclinaison sécularisée de la fraternité chrétienne : tous frères en un seul dieu ; elle est la clé de voûte de tout le système laïque : tous nés libres et égaux en droit ; elle est la responsabilité vis-à-vis du plus faible qui doit devenir libre par l’instruction car il est né symboliquement libre et doit le rester. Le plus faible en l’occurence est une plus faible : c’est la fille de l’intégriste, même si le père réclame sa liberté d’emprise sur son enfant. La Fraternité nous oblige, et c’est une contrainte du groupe sur la folie des individus. C’est pour cela qu’il y a des droits de l’homme (ses désirs) et du citoyen (ses devoirs vis-à-vis de la collectivité). Où est la CGT sur la défense de cette enfant ?

« .. l’Etat est laïc,.. » pas les personnes. Laïc s’attribue principalement aux croyants qui ne font pas partie du clergé ; laïque s’applique au féminin comme au masculin en se dégageant de la question religieuse. Par exemple, je suis un laïque et non pas un laïc, contrairement à Baubérot et Dharréville. L’Etat est laïque et non pas laïc car la croyance ne fait plus référence ; le fait religieux n’est plus le centre de gravité de l’organisation sociale. La croyance religieuse est une croyance comme une autre, au même titre qu’un croyance individuelle et récente ; elle n’a pas à bénéficier d’un traitement privilégié au nom du nombre ou de l’antériorité.  C’est vrai que c’est un déclassement, et que c’est douloureux, mais c’est le prix à payer pour être laïque.

Même le pape peut être laïque, c’est-à-dire respectueux des règles de la communauté des hommes ; c’est tout ce que l’on demande à quelqu’un pour être un citoyen, donc un laïque. La Liberté nous contraint à cet endroit à être ce genre de laïques. Cela veut dire que je ne peux pas opposer mon sacré particulier au sacré de la communauté des hommes : la sûreté et la sécurité de la personne, sa liberté. Il y a du sacré dans une République laïque.

Personne ne serait obligé d’être laïc (laïque) dites-vous ? Alors comment ferait-on si tous étaient croyants ? Qui pour pour être élu et neutre ? Qui pour nous représenter tous à la fois ? Quid de l’Egalité dans ce cas-là, puisque nous sommes tous susceptibles d’être élus, donc représentant neutre des autres ? Il faudrait qu’il y ait toujours assez d’athées pour représenter l’Etat si je comprends bien. Cet argument : l’Etat laïc mais pas moi, c’est le retour de l’obscurantisme et du cléricalisme ;  accorder de la valeur à cet argument, c’est militer pour le retour des religions en politique, c’est de la naïveté vis-à-vis du discours discriminant que tient les religions. C’est refuser de comprendre ce que signifie les séparations. Qu’elle est loin l’émancipation ! La vérité du contrat que l’Etat laïque passe avec un enfant qui vient de naitre c’est : tu es libre et notre égal par nature, même si tu es dépendant, et nous allons t’instruire pour que tu deviennes et reste, socialement, à la fois libre et égal. 

« Le droit au travail ne préconise pas de neutralité religieuse. » Voilà que la CGT fait du droit du travail un oracle maintenant ! Le juridisme n’est pas une pratique syndicale de masse, qui fait appel aux adhérents, aux salariés ; c’était celle des réformistes que vous reprenez pour la circonstance. La neutralité ne veut pas dire qu’il faudrait cesser d’être croyant – c’est un tour de passe-passe pour disqualifier le concept de neutralité – cela signifie que sa croyance ne doit pas être la référence aux conduites, à sa participation à l’intelligence collective, aux conventions. Il faudrait parler plutôt de neutralisation temporaire, de discrétion, de suspension : dans le temps et l’espace profane qui nous est commun, je dois me dégager de mon sacré personnel pour qu’il ne s’oppose pas au sacré particulier de l’autre. Il y a une préséance dans l’ordre du sacré. La loi commune, c’est ce qui neutralise nos lois personnelles, religieuses ou non, et c’est vrai partout en société y compris en entreprise. Ce sont les devoirs du citoyen qui contraignent les désirs de l’homme.

La séparation n’est pas exclusivement celle de l’Etat et des religions, il y a aussi des séparations identitaires à opérer pour vivre ensemble laïquement. La laïcité c’est une coupure symbolique entre moi, ma famille, mon groupe, mes illusions, mes désirs, ma volonté d’emprise, mon idéologie.. on peut appeler tout ça mes assignations,  celles que je dois penser pour les transformer en affiliations, c’est-à-dire en liens non fétichisés ; et ceci grâce à l’esprit critique censé souffler dans l’Education Nationale. Et ça fait mal une coupure, ça fait souffrir car ça sépare, mais c’est la condition pour être émancipé, libre ; pour être un Sujet. La CGT, en revendiquant que personne ne subisse de coupure symbolique – la croyance comme couleur de peau, une essentialisation donc – ne mesure pas l’impasse où cela nous conduit.

Plus brièvement sur l’introduction. 

« .. la convention européenne… ». Certes, mais l’Europe n’est pas laïque ; s’appuyer sur l’Europe, dans votre livret, pour parler de la laïcité en France est significatif de l’entrisme des prosélytes ; tout fait ventre. Pour mémoire, il y a des Landers en Allemagne où l’impôt pour une religion est obligatoire, comme sa déclaration, et perçu par l’administration. Il y a aussi en Europe une commission consultative qui réunit les religions monothéistes ; elles ont obtenu d’exclure les autres mouvements spirituels, notamment les libres penseurs. Sûrement au nom de la liberté de conscience.

« .. la liberté de pratiquer sa religion est reconnue.. ».  Vous savez la différence avec la France laïque qui va jusqu’à s’accorder le droit d’interdire des discours politiques dans les lieux de culte (l’anti-cléricalisme à quoi la classe ouvrière doit tant). Et la plupart des pratiques sont interdites car en infraction avec les droits humains les plus élémentaires. Mais vous faites preuve volontairement de naïveté vis-à-vis de l’obscurantisme religieux. Une infirmière, une institutrice, qui irait en formation avec un plat de pâtes sur la tête au nom de sa croyance pastafariste (religion reconnue officiellement en Nouvelle Zélande), ce qui ne trouble pas l’ordre public donc, userait-elle d’une liberté fondamentale ? Oui à vous en croire, au nom de la liberté, non au regard de l’Egalité.

« .. ainsi neutraliser.. ».  C’est le gros morceau. J’ai écrit un article sur mon site https://larbreapalabres.com Etat, neutralité et neutralisation, si vous voulez plus d’arguments. Et bien si, la laïcité, qui est un anti-cléricalisme, un anti-fascisme… puisqu’il a la charge de veiller à la Liberté et à l’Egalité de tous, y compris les plus faibles au nom de la Fraternité, enjoint chacun à la retenue pour que l’espace public ne soit pas approprié par quelques uns comme le serait un territoire. Il n’y a qu’un territoire, le territoire national où l’Etat exerce son pouvoir au nom de tous, ce qui permet que l’espace public reste accueillant, donc accessible à tous indépendamment des différences. Dans un tel espace, laïcisé donc, il est interdit de poser sa marque sans autorisation, d’en faire un territoire. Et un territoire ça se marque ou s’approprie par des rites, des habitus, des conventions etc..

L’espace public est un espace creux, creusé devrait-on dire pour la rime avec le creuset républicain, et non pas un espace vide que chacun peut occuper à sa façon, identitaire et communautaire. Voir mon article sur le même site Espaces, territoires, séparations et inclusions 1.

« Imposer .. du racisme. » On est d’accord pour dire que c’est le B.A.BA de la laïcité ; donc on attend votre condamnation du racialisme voire des racialistes.

«.. l’islamophobie, racisme, d’antisémitisme et de xénophobie ». Vous faites une association, en toute mauvaise foi j’en ai bien peur, qui révèle un choix idéologique. Le racisme et l’antisémitisme sont des actes délictueux ou des appels à des actes discriminatoires ; l’islamophobie et la xénophobie sont des sentiments, des opinions, donc des droits de conscience fondamentaux, que l’on n’a pas à justifier par la raison par définition ;  droits que vous défendiez plus haut. Mais il ne faut pas hurler avec les loups m’a-t-on appris quand j’étais militant. Au fait, vous me direz quelle société, notamment religieuse, est plus xénophile que la société française.

«.. nous revendiquons le droit de les critiquer toutes, .. ». Je ne trouve votre critique nulle part ! Il me semble que militant pour l’émancipation, elle devrait figurer en bonne place dans tout congrès, surtout en ces temps de montée des intégrismes religieux. N’est-ce pas Marx qui disait que la critique de la religion est la mère des critiques ? Il y a bien un livret pour lutter contre les idées du RN, mais je n’ai pas vu un livret pour lutter contre les idées rétrogrades des intégristes religieux de tout poil. Or en terme de scores et de prévisions, il n’y a pas photo. Bien sûr, c’est autrement plus dangereux, et je peux comprendre que les militants de la CGT reculent devant l’obstacle, mais ils peuvent le nommer au lieu de justifier leur évitement par l’évocation de la loi, d’une liberté, par l’oeucuménisme.

« .. en ne plaçant aucune opinion au-dessus… ». Vous savez pertinemment qu’il ne s’agit pas de cela avec l’exigence laïque, mais peut-être est-ce la page de l’universalisme que vous tournez sans le dire explicitement dans un congrès. Il s’agit pour un citoyen émancipé de faire la différence entre croire et savoir. Etre émancipé c’est admettre la réalité. Connaitre la réalité est un droit fondamental et c’est le rôle clé de l’Education Nationale que l’on déconstruit lentement ; admettre la réalité scientifique n’empêche pas d’être croyant ; mais croire que la terre est plate n’est pas à mettre à égalité avec admettre qu’elle est ronde. Il y a des opinions, des croyances, qui sont en vente libres, et des faits qu’il s’agit d’admettre pour vivre en société et en paix.

Merci de votre attention si vous êtes arrivée jusque là.

Bien évidemment, je me tiens à votre disposition si vous désiriez explorer plus précisément des arguments.

Bien à vous

Jacques Variengien

 

Nota, je prétends que la CGT ne respecte pas ses statuts historiques avec cette évolution du rapport au « fait religieux ».

Statuts de la CGT 2016   51 ème congrès

– «  préambule

Ouvert à toutes les diversités, riche des différences d’opinion, le syndicalisme dont l’ambition est d’être solidaire, uni et rassembleur, constitue pour les salariés un moyen essentiel pour relever les enjeux contemporains. »

– « Les principes d’égalité, de solidarité, d’écoute, de tolérance et d’épanouissement des diversités pour lesquels elle œuvre, animent la vie démocratique en son sein. »

L’épanouissement des diversités n’est pas une revendication laïque et universaliste, mais identitaire, communautariste, anti-universaliste, donc anti-laïque. Il serait très différent de dire : au-delà de différences individuelles, ou au-delà de la diversité de la culture de chacun, ce qui renverrait au statut social et tiendrait la lutte des classes comme la réalité structurante de nos sociétés. 

Par ailleurs, si nul ne peut être inquiété pour… il n’a pas à revendiquer de privilèges pour autant. Mais si vous n’avez pas publié de critique de la religion, si vous n’avez pas publié de critiques de l’universalisme, on ne peut rien vous discuter valablement.

Enfin, il n’y a aucune richesse dans la multitude d’opinions ou de religions – ce qui est vrai en cuisine ne l’est pas en politique – la seule richesse politique réside dans la qualité des arguments.

  • « Elle contribue à la construction d’une société solidaire, démocratique, de justice, d’égalité et de liberté qui réponde aux besoins et à l’épanouissement individuel et collectif des hommes et des femmes « . « Elle milite en faveur des droits de l’homme et de la paix. »

Tiens, les droits du citoyen ont disparu ! Dommage car c’est ce qui fonde le social non libertarien, la laïcité.