Les adeptes de la cancel culture jouissent d’être débarrassés de tout sentiment de culpabilité. Ils s’auto-proclament juges quand ils dégainent le glaive de la justice dans le même temps qu’ils jettent la balance et le bandeau. Les appels à la prudence face à la complexité, à la défense de la liberté d’expression, au respect du débat contradictoire ou de la présomption d’innocence, restent sans effet. Quelle est la logique interne de cette conduite ?

D’abord est-ce nouveau ?

Pas sûr. Le conflit entre un ordre établi, supposément soutenu par une majorité conformiste et complice, et ceux, supposément conscients et subversifs, qui en dénonceraient l’injustice, est vieux comme le monde. Il a pris une autre forme avec la naissance d’une opinion publique, elle n’a pas toujours existé, liée aux moyens de communications, à la massification des moyens de communication, à la liberté de parole ; il n’y a pas de cancel culture dans des pays où la parole n’est pas suffisamment libérée par le pouvoir politique. On peut déjà penser que la cancel culture est un effet secondaire indésirable (iatrogène) d’une liberté de parole désirable, et de l’utilisation des nouvelles technologies. Et donc les cancelleurs des gens qui se laissent dominés par l’outil.

L’outil a des défauts ?

Le pouvoir appartenant à celui qui impose son diagnostic, car il induit les solutions, il s’agit dès lors pour les minorités ou groupuscules de l’imposer par n’importe quel moyen ; la fin justifiant les moyens. C’est la règle du jeu de la démocratie représentative qui ne cesse de nous montrer ses limites ! Elle ne permet pas d’établir collectivement et sereinement un diagnostic. Elle oblige à hausser le ton pour se faire entendre et transforme les acteurs en belligérants.

Mais parler à plusieurs millions de personnes est impossible sauf à sacrifier la complexité de sa pensée, de la situation. La logique de ce désir pousse à se grouper par mot-clé, au conformisme, à la rumeur, à la paranoïa, à la manipulation. Oui, les manipulateurs ont un terrain de jeu extraordinaire et ils ne s’en privent pas ; mais l’outil lui-même pousse à la manipulation, plutôt à une nouvelle forme de manipulation car les réseaux sociaux ne l’ont pas inventée. Bien sûr, l’outil n’est responsable de rien, comme le couteau de cuisine qui n’est pas responsable du meurtre, il a simplement un pouvoir que l’on doit apprendre à ne pas utiliser dans n’importe quelle circonstance.

Un exemple d’une mauvaise utilisation d’un outil ?

Je vais en parler à partir d’une anecdote personnelle pour illustrer le comportement des activistes, des anti-racistes dans mon exemple, que je qualifierai de saint-Pierristes. Un homme politique se fait attaquer par un tweet à caractère raciste ; un ami, militant anti-raciste, qui l’encourage à porter l’affaire en justice,  me demande si je condamne le tweeteur. Comme je ne suis ni procureur ni juge et que je fais la différence entre le racisme (un acte ou appel à un acte) et l’expression à caractère raciste (une opinion), je ne condamne pas ; je déplore. Impossible d’en débattre plus avant : de son point de vue, ce genre de tweeteurs doivent être condamnés, sortis du théâtre de la parole, mis hors d’état de nuire. Je lui deviens suspect, malgré mes états de service, voire complice.

Cet ami, dans la pureté de l’amour anti-raciste qu’il s’attribue explicitement, ne pense pas sa logique comme étant celle d’Augustin, un saint des chrétiens :  « Il y a une persécution injuste, celle que font subir les impies à l’Église du Christ ; et il y a une persécution juste, celle que font les Églises aux impies… L’Eglise persécute par amour et les impies par cruauté. » Si les mots ont un sens, ce n’est pas de la radicalisation, c’est du fanatisme. Il me semble que c’est la logique folle qui menace d’emporter les mouvements anti-racistes quand ils se font cancelleurs.

Saint-Pierrisme ? St Pierre attitude ?

On pourrait dire que cet ami est atteint par le syndrome de St Augustin, mais  je vais préférer celui de St Pierre pour penser les conséquences politiques de la logique de cet antiracisme-là. Dans l’imagerie populaire, les blagues, St Pierre est celui qui, aux portes du paradis, accueille les morts, les juge et les oriente ; qui vers l’enfer, qui vers le paradis, en fonction des actions de chacun sur terre.  Ainsi, ne vont au paradis que ceux qui feraient la preuve de leur mérite ; les autres sont envoyés sans pitié en enfer (La miséricorde divine a des limites, et eux aussi), « cancelled » dira-t-on aujourd’hui ! Pas étonnant dès lors que les choses se passent bien au paradis après une telle sélection. Mais force est de constater que c’est au prix de se débarrasser de ceux qui ont failli malgré les avertissements réitérées ; au prix d’un entre-soi. Très clairement au prix d’un sacrifice : la parole. Il doit régner un silence d’enfer au paradis ! C’est le prix à payer. Et de fait, on ne parle plus de rien avec cet ami saint-Pierriste ; la suspicion est une arme d’appauvrissement massive.

Leur paradis, si c’est sur terre ? C’est l’enfer !

Oui, comme il n’y a pas d’ailleurs, il ne reste que l’exclusion du champ de la parole et de la relation ; c’est la définition du tabou tel que les anthropologues l’ont découvert dans les îles du pacifique où il n’y avait pas de prison pour les hors-la-loi. Seulement la prison psychologique, l’annulation par la non-relation.

Conséquences politiques ?

Si toutes les bonnes âmes auto-proclamées (les activistes) usurpent le rôle de St Pierre, s’ils sont atteints par ce syndrome, alors ils ne cesseront de trier et condamner à l’enfer du silence les mauvaises âmes. En toute innocence et sans l’ombre d’un sentiment de culpabilité. Est-il possible que les autres ainsi désignés admettent la légitimité de ces petits St Pierre et leurs sentences ? Evidemment non. Ce saint-Pierrisme, parce qu’il n’a pas de légitimité, pas plus divine qu’au regard des droits universels de l’homme et du citoyen, est porteur d’une violence qui n’a rien de subversif, rien d’émancipateur. Ce saint-Pierrisme génère une grande violence, symbolique a minima, car il se veut « purifiant » comme le feu, « désinfectant » en quelque sorte. On comprend dès lors que l’universalisme laïque, par définition respectueux de l’intégrité de l’autre, mais pas de ses croyances, pose un problème aux purificateurs.

Bien sûr, les médias mainstream ne sont pas pour rien dans la frustration que peuvent ressentir des populations en manque de représentation et de temps de parole : par exemple, les syndicats qui ne bénéficient que de très peu de temps d’antenne quelle que soit la longueur des défilés. La population est réduite à son statut de consommatrice et non pas de productrice de sens ; il est inévitable que parfois elle s’emballe quand des moyens sont mis à sa disposition.

Le saint-Pierrisme comme radicalisation

En tout cas, je ne le veux pas comme une insulte, une interprétation tarte à la crème à jeter à la figure des activistes. Je ne veux pas participer au pugilat fut-il démocratique. Nommer le saint-Pierrisme  est plutôt une mise en garde, une invitation à penser notre posture en politique, les uns comme les autres, car nous pouvons tous glisser de la radicalisation au fanatisme. Ce ne sera jamais une bonne idée que de condamner quelqu’un à se taire, à l’annulation, à le retrancher de l’humanité. Une leçon que l’on doit garder à l’esprit : se déclarer éveillé (woke ici) face à la masse déclarée aveugle, à guider, est le B.A BA de la politique (vous vérifierez), par exemple les libéraux et les économistes orthodoxes sont sur le même registre de l’annulation de l’autre (à peine quelques milliards, mais pas les mêmes) mais avec d’autres mots (la gouvernance) ; bataille entre élites donc. Et s’ils étaient des manifestations différentes de la même maladie ? C’est mon opinion.

Et si la laïcité, celle qui disqualifie le concept de pureté dans le vocabulaire politique, donc économique, était la seule solution pacifique ?

Cliquer sur cet espace blanc pour accéder au livret Laïcité de la CGT. Mon commentaire suit.

La CGT vient de publier un livret sur la laïcité où elle expose sa conception de la laïcité et les actions possibles en entreprise concernant le fait religieux.  Comme c’est un acteur majeur du débat, et qu’elle opère un glissement communautariste et anti-universaliste que je juge contraire à son engagement historique pour “l’émancipation des masses”,  j’ai pris la peine d’adresser des commentaires à la secrétaire confédérale en charge de la laïcité. Je vous les livre.

 

A l’attention de Mme Nathalie VERDEIL

Secrétaire confédérale et pilote du groupe de travail Laïcité

Bonjour Madame,

(..)

Un ami vient de me faire suivre votre document Laïcité, garante des libertés, de février 2021. (..)

La CGT fait sienne la conception de J. Baubérot : la laïcité comme oeucuménisme. Mais la laïcité n’est pas un oeucuménisme et ne l’a jamais été,  c’est un anti-cléricalisme car c’est un anti-fascisme, un anti-féodalisme, un anti-obscurantisme, très loin donc de ce vous défendez désormais. Je prétends, Madame, qu’avec ce glissement, la  CGT ne respecte pas son histoire et sa mission fondamentale.

Parenthèse. Vous avez noté j’en suis sûr, que la laïcité concordataire de Baubérot est celle du  RN ; la différence concernant l’islam ne change rien sur le fond.

Je vais reprendre votre édito, puis l’introduction, car tout y est.

L’argument du « prétexte d’une lutte contre l’islamisme radical » (?) pour atteindre les musulmans dans leur ensemble, dit l’amalgame que vous faites en le dénonçant chez les autres d’une part, il dit aussi cette posture intellectuelle de base d’autre part : ne jamais hurler avec les loups. Aussi toute analyse provenant d’un « loup » présumé est discrédité et la cible devient une victime à défendre ; quitte à tout relativiser. Ce discours en contre, fait du RN la référence à toute votre construction.

«  .. et l’émancipation ». En quoi une croyance religieuse quelconque qui nierait le réel, la science (l’obscurantisme), la liberté du sujet (le cléricalisme) et l’égalité  entre les personnes (le féodalisme), est-elle à défendre au titre de l’émancipation ? Pourriez-vous donner votre définition actuelle de « l’émancipation » ? C’est peut-être la clé qu’il me manque pour comprendre votre logique et vos revendications identitaires.

« ..Attachée aux libertés, ». Oui mais celle dont vous parlez, et que défend Baubérot et consorts, c’est la liberté d’entreprendre, celle de l’homme mais pas du citoyen, la liberté des anglo-saxons que vous prenez pour du progressisme : jouir sans entrave. Or la Liberté laïque, ce sont des contraintes, des limites : cette liberté qui ne retire rien à l’autre, celle qui fait que je neutralise en moi certaines choses pour ne pas gêner l’autre ; cette Liberté contraint tout désir d’emprise sur l’autre. Si on déplie cette Liberté sur le plan économique et écologique –  les contraintes qu’elle ferait peser sur la folie du système – on comprend pourquoi le communautarisme anglo-saxon l’attaque frontalement, mais pas pourquoi la CGT y renonce quand il s’agit de religion.

« …de la liberté religieuse  dans la cité et notamment dans l’entreprise ». Vous faites une déclinaison indue à partir d’un postulat faux bien qu’il paraisse vrai voire évident. Il n’y a pas de liberté religieuse dans une République laïque au sens où l’on fait ce que l’on veut au nom de sa religion. La conscience est libre, y compris religieuse, ainsi que son expression, mais la pratique ne l’est pas et ne peut pas l’être. Et c’est heureux car vous seriez la première à vous dresser, j’en suis sûr, si quelqu’un revendiquait le droit de battre sa femme, de tuer son fils homosexuel ou sa fille apostat, au nom de sa liberté religieuse.

Vous utilisez la liberté comme un bélier. Mais je vous vois mal défendre la liberté de porter un tee-shirt « mort aux militants CGT »  sous prétexte de religion ou de liberté d’exprimer ses opinions. Je vous vois mal revendiquer une salle de prière pour les pastafaristes au nom de cette même liberté, ou le port du couteau traditionnel pour les Sikhs ; il va falloir vous y préparer cependant, car des « laïcards » vous mettront face à vos contradictions avec des revendications de ce genre.

« .. la fraternité,.. ». Vous l’écrivez avec un f minuscule, or il s’agit d’un F majuscule pour ce qui concerne la Fraternité laïque. La Fraternité n’est pas la déclinaison sécularisée de la fraternité chrétienne : tous frères en un seul dieu ; elle est la clé de voûte de tout le système laïque : tous nés libres et égaux en droit ; elle est la responsabilité vis-à-vis du plus faible qui doit devenir libre par l’instruction car il est né symboliquement libre et doit le rester. Le plus faible en l’occurence est une plus faible : c’est la fille de l’intégriste, même si le père réclame sa liberté d’emprise sur son enfant. La Fraternité nous oblige, et c’est une contrainte du groupe sur la folie des individus. C’est pour cela qu’il y a des droits de l’homme (ses désirs) et du citoyen (ses devoirs vis-à-vis de la collectivité). Où est la CGT sur la défense de cette enfant ?

« .. l’Etat est laïc,.. » pas les personnes. Laïc s’attribue principalement aux croyants qui ne font pas partie du clergé ; laïque s’applique au féminin comme au masculin en se dégageant de la question religieuse. Par exemple, je suis un laïque et non pas un laïc, contrairement à Baubérot et Dharréville. L’Etat est laïque et non pas laïc car la croyance ne fait plus référence ; le fait religieux n’est plus le centre de gravité de l’organisation sociale. La croyance religieuse est une croyance comme une autre, au même titre qu’un croyance individuelle et récente ; elle n’a pas à bénéficier d’un traitement privilégié au nom du nombre ou de l’antériorité.  C’est vrai que c’est un déclassement, et que c’est douloureux, mais c’est le prix à payer pour être laïque.

Même le pape peut être laïque, c’est-à-dire respectueux des règles de la communauté des hommes ; c’est tout ce que l’on demande à quelqu’un pour être un citoyen, donc un laïque. La Liberté nous contraint à cet endroit à être ce genre de laïques. Cela veut dire que je ne peux pas opposer mon sacré particulier au sacré de la communauté des hommes : la sûreté et la sécurité de la personne, sa liberté. Il y a du sacré dans une République laïque.

Personne ne serait obligé d’être laïc (laïque) dites-vous ? Alors comment ferait-on si tous étaient croyants ? Qui pour pour être élu et neutre ? Qui pour nous représenter tous à la fois ? Quid de l’Egalité dans ce cas-là, puisque nous sommes tous susceptibles d’être élus, donc représentant neutre des autres ? Il faudrait qu’il y ait toujours assez d’athées pour représenter l’Etat si je comprends bien. Cet argument : l’Etat laïc mais pas moi, c’est le retour de l’obscurantisme et du cléricalisme ;  accorder de la valeur à cet argument, c’est militer pour le retour des religions en politique, c’est de la naïveté vis-à-vis du discours discriminant que tient les religions. C’est refuser de comprendre ce que signifie les séparations. Qu’elle est loin l’émancipation ! La vérité du contrat que l’Etat laïque passe avec un enfant qui vient de naitre c’est : tu es libre et notre égal par nature, même si tu es dépendant, et nous allons t’instruire pour que tu deviennes et reste, socialement, à la fois libre et égal. 

« Le droit au travail ne préconise pas de neutralité religieuse. » Voilà que la CGT fait du droit du travail un oracle maintenant ! Le juridisme n’est pas une pratique syndicale de masse, qui fait appel aux adhérents, aux salariés ; c’était celle des réformistes que vous reprenez pour la circonstance. La neutralité ne veut pas dire qu’il faudrait cesser d’être croyant – c’est un tour de passe-passe pour disqualifier le concept de neutralité – cela signifie que sa croyance ne doit pas être la référence aux conduites, à sa participation à l’intelligence collective, aux conventions. Il faudrait parler plutôt de neutralisation temporaire, de discrétion, de suspension : dans le temps et l’espace profane qui nous est commun, je dois me dégager de mon sacré personnel pour qu’il ne s’oppose pas au sacré particulier de l’autre. Il y a une préséance dans l’ordre du sacré. La loi commune, c’est ce qui neutralise nos lois personnelles, religieuses ou non, et c’est vrai partout en société y compris en entreprise. Ce sont les devoirs du citoyen qui contraignent les désirs de l’homme.

La séparation n’est pas exclusivement celle de l’Etat et des religions, il y a aussi des séparations identitaires à opérer pour vivre ensemble laïquement. La laïcité c’est une coupure symbolique entre moi, ma famille, mon groupe, mes illusions, mes désirs, ma volonté d’emprise, mon idéologie.. on peut appeler tout ça mes assignations,  celles que je dois penser pour les transformer en affiliations, c’est-à-dire en liens non fétichisés ; et ceci grâce à l’esprit critique censé souffler dans l’Education Nationale. Et ça fait mal une coupure, ça fait souffrir car ça sépare, mais c’est la condition pour être émancipé, libre ; pour être un Sujet. La CGT, en revendiquant que personne ne subisse de coupure symbolique – la croyance comme couleur de peau, une essentialisation donc – ne mesure pas l’impasse où cela nous conduit.

Plus brièvement sur l’introduction. 

« .. la convention européenne… ». Certes, mais l’Europe n’est pas laïque ; s’appuyer sur l’Europe, dans votre livret, pour parler de la laïcité en France est significatif de l’entrisme des prosélytes ; tout fait ventre. Pour mémoire, il y a des Landers en Allemagne où l’impôt pour une religion est obligatoire, comme sa déclaration, et perçu par l’administration. Il y a aussi en Europe une commission consultative qui réunit les religions monothéistes ; elles ont obtenu d’exclure les autres mouvements spirituels, notamment les libres penseurs. Sûrement au nom de la liberté de conscience.

« .. la liberté de pratiquer sa religion est reconnue.. ».  Vous savez la différence avec la France laïque qui va jusqu’à s’accorder le droit d’interdire des discours politiques dans les lieux de culte (l’anti-cléricalisme à quoi la classe ouvrière doit tant). Et la plupart des pratiques sont interdites car en infraction avec les droits humains les plus élémentaires. Mais vous faites preuve volontairement de naïveté vis-à-vis de l’obscurantisme religieux. Une infirmière, une institutrice, qui irait en formation avec un plat de pâtes sur la tête au nom de sa croyance pastafariste (religion reconnue officiellement en Nouvelle Zélande), ce qui ne trouble pas l’ordre public donc, userait-elle d’une liberté fondamentale ? Oui à vous en croire, au nom de la liberté, non au regard de l’Egalité.

« .. ainsi neutraliser.. ».  C’est le gros morceau. J’ai écrit un article sur mon site https://larbreapalabres.com Etat, neutralité et neutralisation, si vous voulez plus d’arguments. Et bien si, la laïcité, qui est un anti-cléricalisme, un anti-fascisme… puisqu’il a la charge de veiller à la Liberté et à l’Egalité de tous, y compris les plus faibles au nom de la Fraternité, enjoint chacun à la retenue pour que l’espace public ne soit pas approprié par quelques uns comme le serait un territoire. Il n’y a qu’un territoire, le territoire national où l’Etat exerce son pouvoir au nom de tous, ce qui permet que l’espace public reste accueillant, donc accessible à tous indépendamment des différences. Dans un tel espace, laïcisé donc, il est interdit de poser sa marque sans autorisation, d’en faire un territoire. Et un territoire ça se marque ou s’approprie par des rites, des habitus, des conventions etc..

L’espace public est un espace creux, creusé devrait-on dire pour la rime avec le creuset républicain, et non pas un espace vide que chacun peut occuper à sa façon, identitaire et communautaire. Voir mon article sur le même site Espaces, territoires, séparations et inclusions 1.

« Imposer .. du racisme. » On est d’accord pour dire que c’est le B.A.BA de la laïcité ; donc on attend votre condamnation du racialisme voire des racialistes.

«.. l’islamophobie, racisme, d’antisémitisme et de xénophobie ». Vous faites une association, en toute mauvaise foi j’en ai bien peur, qui révèle un choix idéologique. Le racisme et l’antisémitisme sont des actes délictueux ou des appels à des actes discriminatoires ; l’islamophobie et la xénophobie sont des sentiments, des opinions, donc des droits de conscience fondamentaux, que l’on n’a pas à justifier par la raison par définition ;  droits que vous défendiez plus haut. Mais il ne faut pas hurler avec les loups m’a-t-on appris quand j’étais militant. Au fait, vous me direz quelle société, notamment religieuse, est plus xénophile que la société française.

«.. nous revendiquons le droit de les critiquer toutes, .. ». Je ne trouve votre critique nulle part ! Il me semble que militant pour l’émancipation, elle devrait figurer en bonne place dans tout congrès, surtout en ces temps de montée des intégrismes religieux. N’est-ce pas Marx qui disait que la critique de la religion est la mère des critiques ? Il y a bien un livret pour lutter contre les idées du RN, mais je n’ai pas vu un livret pour lutter contre les idées rétrogrades des intégristes religieux de tout poil. Or en terme de scores et de prévisions, il n’y a pas photo. Bien sûr, c’est autrement plus dangereux, et je peux comprendre que les militants de la CGT reculent devant l’obstacle, mais ils peuvent le nommer au lieu de justifier leur évitement par l’évocation de la loi, d’une liberté, par l’oeucuménisme.

« .. en ne plaçant aucune opinion au-dessus… ». Vous savez pertinemment qu’il ne s’agit pas de cela avec l’exigence laïque, mais peut-être est-ce la page de l’universalisme que vous tournez sans le dire explicitement dans un congrès. Il s’agit pour un citoyen émancipé de faire la différence entre croire et savoir. Etre émancipé c’est admettre la réalité. Connaitre la réalité est un droit fondamental et c’est le rôle clé de l’Education Nationale que l’on déconstruit lentement ; admettre la réalité scientifique n’empêche pas d’être croyant ; mais croire que la terre est plate n’est pas à mettre à égalité avec admettre qu’elle est ronde. Il y a des opinions, des croyances, qui sont en vente libres, et des faits qu’il s’agit d’admettre pour vivre en société et en paix.

Merci de votre attention si vous êtes arrivée jusque là.

Bien évidemment, je me tiens à votre disposition si vous désiriez explorer plus précisément des arguments.

Bien à vous

Jacques Variengien

 

Nota, je prétends que la CGT ne respecte pas ses statuts historiques avec cette évolution du rapport au « fait religieux ».

Statuts de la CGT 2016   51 ème congrès

– «  préambule

Ouvert à toutes les diversités, riche des différences d’opinion, le syndicalisme dont l’ambition est d’être solidaire, uni et rassembleur, constitue pour les salariés un moyen essentiel pour relever les enjeux contemporains. »

– « Les principes d’égalité, de solidarité, d’écoute, de tolérance et d’épanouissement des diversités pour lesquels elle œuvre, animent la vie démocratique en son sein. »

L’épanouissement des diversités n’est pas une revendication laïque et universaliste, mais identitaire, communautariste, anti-universaliste, donc anti-laïque. Il serait très différent de dire : au-delà de différences individuelles, ou au-delà de la diversité de la culture de chacun, ce qui renverrait au statut social et tiendrait la lutte des classes comme la réalité structurante de nos sociétés. 

Par ailleurs, si nul ne peut être inquiété pour… il n’a pas à revendiquer de privilèges pour autant. Mais si vous n’avez pas publié de critique de la religion, si vous n’avez pas publié de critiques de l’universalisme, on ne peut rien vous discuter valablement.

Enfin, il n’y a aucune richesse dans la multitude d’opinions ou de religions – ce qui est vrai en cuisine ne l’est pas en politique – la seule richesse politique réside dans la qualité des arguments.

  • « Elle contribue à la construction d’une société solidaire, démocratique, de justice, d’égalité et de liberté qui réponde aux besoins et à l’épanouissement individuel et collectif des hommes et des femmes « . « Elle milite en faveur des droits de l’homme et de la paix. »

Tiens, les droits du citoyen ont disparu ! Dommage car c’est ce qui fonde le social non libertarien, la laïcité.

Ce n’est pas le thème dont on parle le plus souvent. Pourtant les grands-parents ont un rôle important à jouer auprès des enfants.

Oui, être grands-parents c’est un travail spécifique qui passe par une évolution de son regard sur ses propres enfants devenus parents. Pour être tout à fait clair : les enfants ont besoin que leurs parents restent responsables d’eux, quelles que soient les circonstances, car cela renforce la confiance dans leur capacité à les protéger. Même si certains enfants peuvent en jouer, ils sont attentifs à cette règle de base et réagissent quand ce n’est pas le cas : soit en s’opposant aux grands-parents, soit en confirmant la perte du statut d’autorité du parent, ce qui peut tromper. C’est une grande souffrance pour un enfant de voir son parent disqualifié d’une quelconque manière.

Ils ne peuvent concevoir tout de suite que leurs parents aient été de petits enfants 

Oui, et qu’ils soient les enfants des grands-parents bien qu’adultes. Dans un premier temps, les grands-parents sont en périphérie du lien parent/enfant et non pas au-dessus. En deuxième cercle en quelque sorte. Ce n’est que plus tard que le grand-parent jouera tout son rôle psychologique en étant notamment le premier rempart face au temps qui passe ; c’est-à-dire face à la mort, quand les enfants en ont acquis la conception.

Pourtant l’avantage de l’expérience, le savoir ? 

L’autorité et les décisions par rapport à l’enfant sont de la responsabilité du parent, sauf cas pathologique bien sûr, que nous ne pouvons aborder qu’au cas par cas. Mais quel travail de devoir tenir sa langue en présence des jeunes parents s’ils ont décidé quelque chose qui parait inadaptée ! Bien sûr, quand les parents sont absents, les grands-parents ont autorité et les enfants l’admettent facilement ; il est important que les grands-parents aient leur style, qu’ils soient naturels, et non pas sous contrôle. Rapidement ils savent faire la différence entre les façons de vivre des parents et des grands-parents. Si l’autorité des parents est respectée en leur présence, les enfants n’utilisent pas les avantages éventuels qu’ils ont chez les grands-parents pour s’opposer à leurs parents.

Veiller à ne pas disqualifier les parents donc 

Oui. Cela veut dire que les grands-parents ont la tâche d’accepter l’autorité de leurs enfants-parents, quand il s’agit de la conduite à tenir auprès des enfants. Comment les enfants pourraient-ils respecter leurs parents si ceux-ci ne sont pas respectés ? Ainsi, parfois et sans le vouloir vraiment, les grands-parents peuvent rendre leurs enfants-parents impuissants en se mêlant trop rapidement de l’affaire en cours. Qu’il est dur d’attendre d’être seuls avec eux pour éventuellement discuter leur choix. La meilleure bonne volonté du monde n’est pas la garantie de faire des choses justes.

Pas de Monsieur-je-sais-tout, tous des débutants alors ?

Non pas forcément, mais savoir à la place des parents ne sert pas beaucoup à l’enfant. Soutenir les parents pour qu’ils trouvent leurs solutions est plus judicieux, plus respectueux du style de chacun qu’on ne peut pas forcer. Devenir parents est un apprentissage et on peut paraître maladroits parfois, mais grands-parents aussi est un apprentissage, plus difficile peut-être car il faut désapprendre à être le parent que l’on était. La modestie pourrait être une règle. Plus drôle encore, être un enfant est aussi un apprentissage car c’est authentiquement la première fois qu’il l’est, et nous avons une responsabilité dans la transmission de l’ordre des générations et de leurs limites.

Il peut y avoir des différences culturelles ?

Oui sûrement, parfois un membre de la famille peuvent se voir attribué par la tradition une autorité sur les parents de l’enfant. Je ne peux pas en dire grand chose si ce n’est que l’enfant ne vit plus que partiellement dans ce monde-là. Mais dans une culture où les cellules familiales sont séparées comme en Occident – il n’y a plus 3 générations dans le même corps de ferme par exemple – les enfants ont à apprendre leur place dans ce système, à savoir se tenir à leur place ; et donc les grands-parents.

Il se déroule sous nos yeux une bataille de tous les instants et sur tous les fronts, pour créer et s’accaparer un territoire, là où la République, laïque, pense en terme d’espace public, en creux. Il faut reprendre cette distinction qui s’articule à celle de la neutralité de l’Etat et la neutralisation des volontés d’emprise, traitées précédemment. Ces distinctions sont essentielles pour penser l’actualité, mais aussi la laïcité ; c’est-à-dire en quoi elle est LA solution qui permet des inclusions pacifiques.

On peut préciser les termes

L’espace est une étendue, une dimension, mais aussi une durée. C’est un terme plutôt neutre qui définit quelque chose qui existerait sans les êtres humains, et qui peut s’en passer. Le territoire  est une création de l’être humain, c’est un espace qu’il balise, qu’il marque, où il exerce son pouvoir et sa puissance, individuellement ou collectivement.

La France est-elle un territoire ?

Avant, elle était un royaume, donc le territoire du Roi. Les individus étaient les sujets du Roi, mais aussi les sujets de dieu car les deux territoires coexistaient (2% de la population, la noblesse et le clergé, possédaient 80% des richesses). Il y avait aussi des territoires communaux, des communs, gérés par des comités dont les femmes n’étaient pas exclues. Donc un territoire royal dans lequel s’emboitaient d’autres territoires subordonnés. On ne peut pas dire qu’il y avait un espace public !

Avec la révolution ?

Les révolutionnaires ont tout fait pour que l’Etat ne soit que la loi, donc le garant des libertés, et non pas le propriétaire. Il a fallu des décennies pour que tout ou presque soit privatisé, avec la réussite que l’on sait. Toutes les fonctions régaliennes n’ont pas été récupérées cependant : le notariat, des greffes du commerce, l’huissier, sont restés des charges privées alors qu’elles sont des fonctions régaliennes. Mais dans ce mouvement de récupération de la justice, il s’est créé, d’abord un territoire national, une Nation française, et un espace public ou nul ne peut être inquiété pour ses opinions, croyances, etc.. Littéralement, ça veut dire qu’il y a une transformation et du lieu et des individus : là où est l’espace public, je deviens un membre du public, un parmi les autres, un comme les autres ; jamais minoritaire, jamais majoritaire. C’est une pure fiction bien sûr, mais cette transformation permet à chacun d’être à soi-même son propre territoire, inviolable, dans la mesure où il accepte la réciproque, c’est-à-dire de respecter l’autre. La façon attendue pour marquer cette acceptation est la discrétion, la retenue, la désacralisation de son sacré au profit d’un sacré primordial : la vie de l’autre, sa sécurité. Il y a du sacré en laïcité, et il serait bon de le déplier correctement au lieu de s’en tenir à la seule propriété privée.

Complexe

Pas courant peut-être. La civilité consiste à marquer par des comportements, des phrases convenues, que l’on ne veut pas exercer d’emprise sur l’autre, entrer dans un bras de force ou quelqu’un devra se soumettre. On voit bien d’ailleurs quand on est au bord du lac, le désagrément que cause les jeunes qui écoutent leur musique à fond, portes ouvertes. On le prend bien pour un mépris, une volonté de marquer le territoire, une humiliation etc… Quand des jeunes font cela, ils transforment l’espace public en territoire.

Il y a beaucoup d’envahissement de l’espace public alors

Oui, la publicité est un exemple peu cité, mais il y a aussi le langage et l’écriture qui sont des champs de batailles féroces aujourd’hui, bien au-delà du cercle habituel de l’adolescence. Il y a aussi l’économie qui s’approprie la totalité de l’espace. Il faut penser que l’espace public nécessite notre contribution, on rajoute quelque chose au bien commun en étant respectueux, en retirant la violence de sa présence autant que possible ; le territoire au contraire c’est ce qui est retiré aux autres. On voit que dès qu’il y a du territoire il y a de la violence et des conflits potentiels. C’est pour cette raison que le territoire national devrait transcender tous les territoires privés. C’est pour cette raison également que les territoires nationaux doivent respecter des règles pour ne pas entrer en conflit.

Plus précisément

Dans l’espace public, les intérêts de tous sont ménagés, y compris les absents, ce qui n’est pas le cas du territoire qui doit être marqué en permanence. Un territoire doit être défendu car notre absence est au risque de la destitution, le territoire c’est le degré zéro de la relation à l’autre, une certaine forme de paranoïa ; la discrimination (au sens propre) en est la règle : il faut être identifié, on en fait partie ou pas. Il n’y a rien d’inclusif dans un territoire. L’espace au contraire permet l’absence car je suis toujours présent symboliquement, moi personnellement en tant que je suis un être humain comme les autres. C’est un lieu que je partage toujours symboliquement car personne ne se l’approprie en mon absence.

Pas simple

Il y a des résistances que l’on ne changera pas. Par exemple les adolescents : tous les adolescents du monde ont besoin de créer une enclave à l’abri des adultes, par le langage, les vêtements, la musique, les héros etc… Notre société les intruse systématiquement, ils ont beau repousser les limites, il y a toujours des adultes pour s’immiscer. Le frottement entre les territoires adolescents et l’espace public on ne le règlera pas à coups de flingues, ni de flingues éducatifs. Mais leurs comportements est symptomatique d’une conception de l’espace qu’il est intéressant de penser. Etant dans une conception territoriale, il voit spontanément   du vide là où nous pensons avoir mis du creux. Ils pensent qu’il est déserté là où nous l’avons rempli symboliquement de l’absent, théoriquement neutralisé des volontés d’emprise. Quiproquo persistant surtout si l’on n’en parle jamais.

Mais ils ne sont pas les seuls

Oui, et c’est cela le plus grave. L’espace public neutralisé – le creux, notre construction commune, la matrice – est envahi de toute part désormais, c’est un champ de bataille. Nombreux sont les groupes qui le pensent vide. Les ados, mais aussi des croyants, les activistes de tout bord, les cultures différentes, exotiques ou anglo-saxonnes, les marchands etc.. C’est bien qu’il a du se passer quelque chose ces dernières années, l’espace public a dû être vidé de notre présence, dé-constitué, déconstruit (?), ce qui le maintenait creux a dû, soit disparaitre, soit au contraire être colonisé par un pouvoir illégitime : l’Etat français comme colon de la France. Dit autrement, notre système représentatif est malade car il se prend pour la démocratie, alors qu’il ne l’est pas. Comment avoir un Etat légitime avec un pouvoir de coercition légitime, garant du creux de l’espace public qu’il doit neutralisé, avec des élus qui le sont de moins en moins ? C’est tout simplement impossible.

C’est à la fois obscur et angoissant

Oui, c’est pour cela qu’il faut enquêter. Je n’ai pas d’hypothèses fermes et définitives, seulement des indices. On a vu les ados. On peut voir les immigrations de pays où la notion culturelle et politique d’espace public n’existe pas (on dit sans tiquer Terre d’islam pur certains pays mais pas Terre chrétienne pour désigner la France) ; il est logique que ça coince quand des gens pensent l’espace vide, libre d’appropriation donc, alors qu’il est creux, à ne pas marquer de son empreinte. 

Il y a l’avidité économique, la cupidité économique, qui amènent certains à s’approprier les ressources, les espaces, les corps même, ce qui donne le message qu’il faut se dépêcher de dépecer la bête puisqu’ils n’ont aucune légitimité démocratique à le faire. De mon point de vue, l’hallali a été donné par notre système économique ; il transforme tout en champ de bataille et n’a pas de limite ; il s’insinue dans toutes les manifestations de la vie, même les plus intimes. L’Etat de la planète, les inégalités sociales témoignent de cette  appropriation mortifère. On voit que les économies anglo-saxonnes, communautaristes, aiment bien cette conception de la liberté qui est celle d’entreprendre, de prendre, au mépris de la présence réelle ou symbolique de l’autre.

Les activistes et autres déconstructeurs, ont accusé réception de la règle du jeu. Au lieu de colmater les brèches avec les laïques pour refaire du creux, de la matrice, ils décolonisent le territoire national pour le coloniser à la découpe. Hélas, parmi les défenseurs (supposés) de la laïcité, il y a un vrai courant anti-social qui ne veut pas venir sur ce genre de lecture ; c’est-à-dire une élite qui ne veut pas faire une lecture sociale de la Liberté et de l’Egalité.

Peut-être faut-il s’arrêter là pour aujourd’hui. Le creux ça doit faire penser.

Oui, on devrait avoir des occasions de reprendre ces distinctions.

L’actualité m’oblige à devancer l’écriture d’une chronique sur le possessif. 

Tous les dictionnaires renvoient à la notion de possession, d’appropriation, même quand il s’agit d’un lien qui ne peut pas être de cet ordre. Mon enfant ou mon épouse par exemple, pourtant je ne peux pas posséder une personne ; l’universalisme est passée par là. N’en déplaise. Il faut donc reprendre la copie car ce raccourci langagier nous induit en erreur quand on débat.

Mon enfant, mon épouse… Une impossibilité 

Puisque je ne peux pas posséder une personne, c’est que ce pronom possessif est employé par erreur ; il faudrait dire, l’enfant dont je suis le père, la femme dont je suis l’époux (mon épousée serait juste, mais ça surprend quand je l’utilise). En revanche je peux dire ma maison ou mon chien, mon stylo, ma guitare, ma voiture. Il y a un grand nombre de choses que je possède, surtout des choses voire des animaux, mais encore plus de choses que je ne possède pas alors que je dis mon, ma. Ma planète ? Mon biotope. Mon avenir ?

Tiens, un souvenir. Dans un groupe de promeneurs botanistes, on fait un tour pour se présenter. Les hommes disent qui ils sont, les femmes disent qu’elles sont la femme d’untel. Quand mon tour arrive, après mon épousée, je dis qu’Odile est la femme dont je suis l’époux. Histoire de faire un commentaire que personne ne m’avait demandé bien sûr.

Des choses qui me possèdent et que je pense posséder ?

Oui, ma myopie par exemple. Je suis mon patrimoine génétique exprimé dans un contexte et pourtant c’est à moi, c’est moi : je suis myope et non pas porteur de myopie ou de calvitie. Ce truc qui est à moi me possède autant que je le possède. Je dis mon, parce que c’est moi qui aie la parole ; mais je n’ai pas le dernier mot pour autant. Je dis ma vie, et pourtant je sais que je suis son hôte, ce n’est pas moi qui décide de la date de péremption. Ma couleur de peau, ma taille, mon sexe, autant de choses qui font que je suis ça, et qui me possèdent autant qu’elles m’appartiennent. Ce genre de choses sont mon corps et donc mon destin (Freud). Des choses dont on voudrait se dégager aujourd’hui (le regard des autres dans mon identité), tout en en étant fier.

Comment faudrait-il énoncer les choses plus justement ?

Les lunettes dont je m’affuble ; la calvitie qui me caractérise, la couleur de peau que je tiens de l’histoire etc… C’est-à-dire indiquer la relation que j’entretiens et qui n’est pas ma possession mais seulement une relation particulière. Ce n’est pas très pratique et au final sans intérêt, à condition de ne pas généraliser imprudemment cette facilité de langage que permet le possessif.

Par exemple

Quand je dis : mon idée, je ne sais pas vraiment si c’est la mienne ou si je suis son homme, son porte-parole. Il y a des slogans, des idées toutes faites, des éléments de langage, des idéologies, que l’on reprend, que l’on croit penser mais qui nous pensent en fin de compte. Un psychanalyste anglais, W.Bion, appelle ça des pensées sans penseur. Je suis sûr que vous vous êtes surpris à dire des choses que nous ne pensiez pas vraiment, pousser par un copain à qui il faut répondre aux idées toutes faites par des idées toutes faites. Ce sentiment d’échanger des banalités est le signe que l’on n’échange pas de la pensée, qu’on ne possède pas les idées que l’on pose, mais qu’on s’en fait l’écho, le haut-parleur. Les éléments de langage en politique.

Comment savoir quand on pense ?

Je ne peux le savoir qu’après véritablement, et encore c’est à une condition – et c’est de cela dont je voulais vous parler – de ne pas m’identifier à l’argument que je vais poser, plus exactement à condition de repérer dans le fil du débat ce qui de moi s’est identifié à cet argument. Il faut rester dans cette posture du chasseur qui ramène au groupe une idée à partager, un argument, qui ne lui appartient pas, qui n’est pas lui, c’est seulement le fruit de sa compétence de chasseur/chercheur qu’il met met au service du groupe. D’autres ne l’auraient pas trouver, mais il doit se garder de s’identifier au fruit de sa recherche. Il devrait dire : cet argument que je présente, plutôt que j’ai un argument ou pire, mon argument. Etre un chasseur plutôt qu’un laboureur d’idées ou d’arguments.

Quel est le problème ? Tout le monde fait ça

Le problème c’est la réciprocité : croyant posséder un argument je suis possédé par lui. Je peux le défendre par la suite même s’il est mauvais, comme s’il s’agissait de moi. Le lâcher c’est avoir tort – la chose la plus dure au monde – alors qu’il s’agit seulement de l’écarter si par bonheur on s’aperçoit à temps qu’il n’est pas bon. On sait faire ça avec les feuilles de sa salade, mais on est prêt à mourir pour une mauvaise idée, un mauvais argument. La mort plutôt que se dédire. Soit le contraire de la posture philosophique que l’on est supposé apprendre à l’école, pour être libre, donc citoyen.

Tu vois ça à l’oeuvre ?

Oui, partout. C’est une attitude humaine que de s’identifier à ses pensées, ses idées, ses arguments, ses chaines. A tel point aujourd’hui, que certains réclament comme un droit fondamental, avec l’aide d’humanistes estampillés, d’être identifiés exclusivement à leur pensée, leur croyance, leur idéologie ; alors que c’est une pathologie de l’identité. Leur contester ce prétendu droit serait contester leur être même, donc de la haine, donc à condamner et à faire taire ;  mais c’est de l’obscurantisme.  Il peut s’expliquer sur le plan psychique, sur le plan politique aussi, mais pas sur le plan philosophique. 

Comment en sortir ?

Liberté Egalité Fraternité, c’est un effort intellectuel important qui est demandé là.  Il faut se méfier de soi, penser ses aliénations avant de penser celles des autres. Mais le pouvoir, la lutte pour en jouir, pour bénéficier de privilèges, pervertit la démarche philosophique vers la liberté. Encore et toujours cette fichue liberté que tout le monde veut, et dont personne ne veut. On voit bien que tous s’étripent sur cette notion. Et en même temps, il nous est impossible de la mettre sur la table pour l’explorer. Notre conception de la liberté est à géométrie variable, en fonction de nos besoins ; personne n’est pas prêt à l’explorer collectivement. C’est-à-dire prêt à en assumer les conséquences dans les domaines sociaux notamment, plus que sociétaux. La laïcité s’est construite pas à pas contre le féodalisme, le cléricalisme et l’obscurantisme ; on fait comme si le mot était la chose. Ça ne marche pas.

Le confinement nous a empêché de poursuivre notre travail. Et le faire en visio n’a pas intéressé. Pour ne pas vous laisser sans matière à philosopher, je vous laisse ce qui était prévu : un conte iroquois. D’habitude il n’y a pas de thème, les participants parlent librement autour de l’anthropocène, mais j’ai trouvé ce conte tellement profond, qu’il m’a semblé important de faire une entorse à la méthode.

J’espère que vous aurez le loisir en famille, entre amis (dans la limite…) d’explorer ensemble tous les sentiers qu’offre ce conte. Attention : il n’y a pas de bonne réponse dans un conte, il y a plusieurs entrées donc plusieurs sorties. L’important est le cheminement, on le sait.
Au fait, je n’ai pas laissé la possibilité de me joindre. Si vous voulez me faire part de votre cueillette, vous pouvez me la présenter à l’adresse suivante : montseveroux.larbreapalabres@gmail.com. Je les présenterai, si vous le désirez, avec votre identité. Merci de m’épargner les like, unlike.

Qui parlera au nom du loup ?

Un mythe Iroquois nous servira de base de recherche.

Les tribus réunies en conseil pour décider du prochain lieu de chasse choisirent – à leur insu – des terres habitées par des loups. En conséquence, les Iroquois subirent des attaques qui décimèrent leurs rangs, et il fallut choisir : partir ou décimer les loups ? Conscients que la deuxième option les aurait abaissés, réduits à une sorte de personnes qu’ils ne voulaient pas être, ils migrèrent. Et pour éviter de reproduire l’erreur initiale, ils convinrent que lors des réunions du conseil, quelqu’un serait désigné pour représenter les loups. Depuis lors, tout conseil commence par cette question : qui parlera au nom du loup ?

 

Qu’est-ce que ce mythe dit des Iroquois ?

Que représente le loup dans leur esprit ? Comment un homme pourrait-il représenter, incarner par sa parole, tout ce que cette figure du loup condense ?

Quels enseignements tirer ? Devrions-nous également nous prémunir de dangers – mais lesquels ? – en réservant une place au loup dans nos assemblées ? Qui serait légitime pour l’occuper et parler ainsi au nom du loup ?

Nota : Ce n’est pas le projet de parler du vrai loup qui a rôdé à Montseveroux – en terme de pour ou contre – cependant, il ne s’agira pas d’éviter ce réel-là qui peut nous permettre, via les émotions qu’il suscite, d’ouvrir d’autres portes.

Le débat s’est enflammé autour du terme d’islamo-gauchisme et de sa pénétration par capillarité dans les milieux intellectuels et universitaire. C’est un terme que je n’utilise pas, n’en ayant pas lu la définition de Pierre-André Taguieff, car on s’en saisit pour s’opposer politiquement au lieu d’explorer collectivement un problème, ce qui devrait se faire dans une démocratie qui se voudrait laïque concrètement.

Quelle autre entrée serait possible ?

La question politicienne est : qui est indulgent avec l’islamisme, ou relativiste, donc complice ? Cette conclusion de la complicité, l’idiot utile, est utilisée quel que soit le sujet d’ailleurs. Pour moi, pour distinguer les éventuelles indulgences voire connivences, la question se poserait autrement : est-ce un fait divers pour vous, ou un fait de société ? On pourra rajouter la question subsidiaire : qui en décide pour la collectivité dans une société laïque ?

Une situation précise

Oui celle du sacrifice de Samuel Paty. Les anglo-saxons ont traité ce sacrifice comme un fait divers, le fait de société étant les souffrances infligées aux musulmans en France, par l’Etat notamment. En France, nous avons vu la même attitude chez certains, et notamment à gauche il faut l’admettre. On a vu des médias comme Médiapart et des partis comme LFI déclarer que cela servait à mettre « un voile » sur les vraies souffrances sociales des français, donc les faits de société. Même argument utilisé avec la proposition d’enquête sur l’islamo-gauchisme dans les milieux universitaires : le vrai fait de société est la précarité des étudiants. L’un s’opposant et annulant supposément l’autre donc. Indigne d’un débat intellectuel qui respecterait la complexité des choses, mais significatif de la pollution par les enjeux de pouvoir de toute analyse critique.

Tu as un document à nous montrer (ci-dessous)

Oui, j’ai trouvé cette page dans le N°117 de la revue Causette. Excusez-moi pour la qualité de la photo, je ne sais pas faire mieux. Elle révèle tout de ce bras de fer autour de la qualification d’un fait. On voit qu’en haut de page, il y a la photo d’une manif en soutien à un prof assassiné. Lapidaire. On ne peut pas faire moins, et on ne peut pas dire mieux que c’est un fait divers et qu’il faut le traiter comme tel. L’image et son petit commentaire disent tout d’une prise de position idéologique qui n’a même pas besoin de se justifier, d’argumenter ; ça va de soi. Il y a une connivence intellectuelle suggérée avec les « lecteurices » (marqueur identitaire que j’ai entendu sur une radio, chez des anti-identitaires bien sûr).

En bas de page…

Dessous, la base, le véritable fait, de société celui-là. Un interview où on donne la parole à la directrice du Bondy Blog qui dénonce les discriminations que subissent/subiraient les minorités, dont ne faisait pas partie Samuel Paty ; il n’y a donc aucun mot sur lui. Il n’est pas dit qu’il était le suppôt de l’ordre établi, un dinosaure, un mâle blanc etc… Pas nécessaire de le dire, ça va de soi. Le seul fait d’opposer un fait à un autre de la sorte indique le parti pris idéologique : l’islamisme et ses meurtres sont une succession des faits divers qu’il ne faudrait pas surinterprèter, et ceux qui le font  sont des aveugles, dans le meilleur des cas, ou des islamophobes, dans le pire des cas, donc le problème, le vrai.

Il faudrait donc poser la question aux interlocuteurs ?

D’une part, il faudrait effectivement qu’ils disent explicitement ce qu’ils considèrent comme fait divers ou comme fait de société ; et qu’ils justifie en quoi c’est l’un et pas l’autre, puisque c’est comme ça qu’ils pensent. Mais le faire ce serait les exposer à leurs contradictions, mais nous aussi, c’est pour cette raison que personne ne s’y risque. Par principe, un fait divers est toujours significatif d’une fait de société pour qui veut le prendre pour un symptôme, c’est une question d’interprétation. Dit comme ça, il n’y a pas de fait de divers véritablement. C’est curieux d’ailleurs de voir les sociologues déconstructeurs qualifier le racisme inconscient blanc à partir de tout ce qui leur tombe sous la main ; et refuser de traiter comme un fait de société l’islamisme, ses meurtres set es projets théocratiques !

Entre parenthèse : accuser l’inconscient de quelqu’un ce n’est pas du fascisme, c’est de totalitarisme, et ça ouvre aux camps de rééducation.

D’autre part ?

La posture intellectuelle ne devrait pas être dans l’opposition : fait divers vs fait de société, mais dans la succession, l’un après l’autre. C’est-à-dire en quoi est-ce un fait divers ? En quoi est-ce, par ailleurs, possiblement, dans une certaine mesure, un fait de société ?  La question, en tout cas en psychologie, est celle du lien et non pas de l’exclusion. En quoi ce fait est significatif d’une dynamique individuelle certes, mais aussi d’une dynamique familiale, groupe, sociale, sociétale. Il n’y a pas de comportements humains or contexte, qui n’aurait pas une histoire. Nous sommes des sujets psycho-socio-historiques ; si c’est vrai dans un domaine, c’est vrai dans tous. S’il faut isoler les termes par nécessité méthodologique, quand on ramène les choses sur la place publique, on doit les lier. Je vous proposerai plus tard une grille d’analyse pour ne pas rester fixé à une seule causalité.

Or, aujourd’hui, des intellectuels sont capables d’exclure de la réflexion la religion dont se réclame les fanatiques. Par postulat, cela n’a rien à voir ; ni celle-ci ni celle-là d’ailleurs. Vous vérifiez les prolégomènes de la fac catho de Lyon quand il s’agit de traiter la question de la radicalisation dans ces colloques. Certains de mes anciens professeurs, qui ne sont pas des « islamo-gauchistes » pour autant, et dont je suis certain de la probité intellectuelle, acceptent de penser sous cette contrainte !

Qui décide de ça ?

La lutte idéologique fait rage car la politique politicienne fonctionne comme un garrot. Aux médias qui appartiennent pour 80% dit-on à un groupe de milliardaires, qui font leur boulot pour maintenir un système électorale de nature monarchique, et les privilèges d’une classe sociale qui vont avec, s’oppose logiquement un contre-discours là où il peut naître : dans les universités, sur les réseaux dits sociaux, dans la rue. Cette opposition est significative de mon point de vue d’un fait social : nous ne sommes pas une démocratie laïque, et nous ne sommes pas prêt de l’être. Être laïque serait de mon point de vue, mettre le problème au milieu, et le traiter collectivement pour faire émerger ce qui serait du fait de la société, de la responsabilité de l’organisation sociale et celle du pouvoir, donc à corriger puisque théoriquement nous sommes les seuls dépositaires légitimes du pouvoir (!). Mais c’est un risque que l’on ne veut pas prendre car toute réflexion interroge le pouvoir sa logique et sa légitimité. LA politique politicienne n’est pas prête à lâcher le morceau.

Les parents sont vigilants pour apprendre le partage aux enfants. Et ça bataille ferme.

L’enfer est pavé de bonnes intentions. C’est légitime bien sûr, et peut-être même souhaitable surtout quand ils ont des frères et soeurs, mais les questions à se poser sur le partage sont : a-t-il les moyens de le comprendre à son âge ? Quelle est l’urgence ? C’est-à-dire penser d’abord à ses capacités qui sont limitées. Ce qui est important pour la vie, pour grandir sereinement, c’est d’abord posséder. Avoir une possession exclusive, totale, ça fait plus que du bien. C’est un besoin fondamental qui doit être satisfait. Et cette étape peut durer… un certain temps.

Lui prendre un objet des mains ce n’est pas un apprentissage du partage alors ?

Non, ce peut-être vécu comme un arrachement d’une partie de soi. C’est une violence complètement incompréhensible pour lui. Lui qui croyait avoir, qui jouissait d’avoir, il se voit spolié, dépouillé, voire mutilé. Difficile d’imaginer son désespoir si on n’a pas de souvenirs de sa propre petite enfance. Ce n’est pas mal l’éduquer que de lui laisser sa propriété, c’est respecter sa conception du monde qui, rassurez-vous, va changer progressivement. On peut dire qu’au contraire en forçant les enfants à lâcher trop tôt pour qu’ils ne soient pas jaloux… on les rend jaloux ; ce qu’on leur reprochera ensuite en toute injustice. Double peine donc.  Parfois ils continueront à manifester violemment, parfois ils se feront silencieux s’ils comprennent que la manifestation de ce sentiment est interdite, ce qui trompera les parents sur l’efficacité de leur éducation. 

Mais les enfants auront-ils la capacité de partager plus tard si on ne leur apprend pas ?

Les enfants très petits sont capables d’aider les autres. Par exemple, un petit de 14 mois peut tendre son biberon à quelqu’un qui pleure pour le consoler, mais c’est son mouvement personnel qui signe une empathie. Ce mouvement est spontané et ne va pas forcément durer plus de quelques secondes, car il ne sait pas encore si les choses vont revenir; si elles partent longtemps ou si elles disparaissent de son champ de vision. Les enfants ont une conscience morale, s’ils sont malléables à l’apprentissage, ils ne sont pas une page blanche pour autant. Ils ont en eux un patrimoine génétique vieux comme le monde qui leur a transmis la solidarité, l’empathie, la préoccupation pour le plus faible. 

Il faudrait leur laisser l’initiative ?

Pour prêter encore faut-il posséder préalablement, et savoir que l’objet ne va pas disparaitre mais va revenir. Ça fait deux grosses conditions. Les jeux du « à toi à moi », par exemple les balles qu’on échange ou les petites voitures qu’on se lance, sont de ce point de vue très instructifs pour l’enfant : ça part certes, mais ça revient. Ouf ! L’enfant sera capable de prêter spontanément quand ce sera son heure, et éprouvera un grand plaisir en faisant plaisir à l’autre dès qu’il pourra imaginer le plaisir, et non plus la prédation et le sadisme.

Mauvaise idée donc que d’acheter un jouet pour deux ? Un jouet dont l’usage est exclusif s’entend

Pas très bonne idée de mon point de vue. Il partage déjà leur mère, leur père, et c’est une sacrée épreuve. L’idée serait plutôt de leur permettre d’avoir en nom propre, comme on possède son corps ; comme on possède son intimité inviolable. Un truc à soi qui nécessiterait que l’autre apprenne, s’il le désire, une stratégie d’approche, une façon de faire une demande, à donner des garanties ; apprenne aussi à en jouir d’une manière discrète, en le respectant, c’est-à-dire sans que cela soit une violation des droits du propriétaire etc… Vous voyez que ça ouvre bien des pistes sur d’autres domaines également.

On ne court pas le risque d’en faire des égoïstes ?

L’égoïsme comme défaut viendra peut-être plus tard. Je ne sais pas si ce qualificatif est adapté aux petits en tant que défaut. Les enfants pensent le monde à partir de leurs connaissances qui sont d’abord tirées des expériences du corps, et des expériences relationnelles proches. Ils sont centrés sur eux parce que c’est ce qu’ils connaissent du monde. Leur raison n’est pas alimentée par les mêmes informations, la logique est différente, et leurs besoins et leurs sources de plaisir vont évoluer. Pas d’urgence donc à les déclarer égoïstes et leur en faire le reproche. 

En revanche… 

En revanche on peut s’interroger sur les figures identificatoires que l’on propose aux enfants et aux jeunes adultes : ne seraient-ce pas de petits enfants dans des corps d’adultes que l’on nous montre et nous vante dans les journaux et à la télé ? La cupidité et l’avidité ne seraient-elles pas présentées comme des vertus viriles ? Des marques de réussite, voire les moteurs  « naturels » du monde moderne ? Nous avons un discours ambigüe par rapport à l’égoïsme, et les enfants le perçoivent : être et ne pas être égoïste… en fonction des circonstances. Ils vont composer entre les discours et les actes.