Le débat s’est enflammé autour du terme d’islamo-gauchisme et de sa pénétration par capillarité dans les milieux intellectuels et universitaire. C’est un terme que je n’utilise pas, n’en ayant pas lu la définition de Pierre-André Taguieff, car on s’en saisit pour s’opposer politiquement au lieu d’explorer collectivement un problème, ce qui devrait se faire dans une démocratie qui se voudrait laïque concrètement.

Quelle autre entrée serait possible ?

La question politicienne est : qui est indulgent avec l’islamisme, ou relativiste, donc complice ? Cette conclusion de la complicité, l’idiot utile, est utilisée quel que soit le sujet d’ailleurs. Pour moi, pour distinguer les éventuelles indulgences voire connivences, la question se poserait autrement : est-ce un fait divers pour vous, ou un fait de société ? On pourra rajouter la question subsidiaire : qui en décide pour la collectivité dans une société laïque ?

Une situation précise

Oui celle du sacrifice de Samuel Paty. Les anglo-saxons ont traité ce sacrifice comme un fait divers, le fait de société étant les souffrances infligées aux musulmans en France, par l’Etat notamment. En France, nous avons vu la même attitude chez certains, et notamment à gauche il faut l’admettre. On a vu des médias comme Médiapart et des partis comme LFI déclarer que cela servait à mettre « un voile » sur les vraies souffrances sociales des français, donc les faits de société. Même argument utilisé avec la proposition d’enquête sur l’islamo-gauchisme dans les milieux universitaires : le vrai fait de société est la précarité des étudiants. L’un s’opposant et annulant supposément l’autre donc. Indigne d’un débat intellectuel qui respecterait la complexité des choses, mais significatif de la pollution par les enjeux de pouvoir de toute analyse critique.

Tu as un document à nous montrer (ci-dessous)

Oui, j’ai trouvé cette page dans le N°117 de la revue Causette. Excusez-moi pour la qualité de la photo, je ne sais pas faire mieux. Elle révèle tout de ce bras de fer autour de la qualification d’un fait. On voit qu’en haut de page, il y a la photo d’une manif en soutien à un prof assassiné. Lapidaire. On ne peut pas faire moins, et on ne peut pas dire mieux que c’est un fait divers et qu’il faut le traiter comme tel. L’image et son petit commentaire disent tout d’une prise de position idéologique qui n’a même pas besoin de se justifier, d’argumenter ; ça va de soi. Il y a une connivence intellectuelle suggérée avec les « lecteurices » (marqueur identitaire que j’ai entendu sur une radio, chez des anti-identitaires bien sûr).

En bas de page…

Dessous, la base, le véritable fait, de société celui-là. Un interview où on donne la parole à la directrice du Bondy Blog qui dénonce les discriminations que subissent/subiraient les minorités, dont ne faisait pas partie Samuel Paty ; il n’y a donc aucun mot sur lui. Il n’est pas dit qu’il était le suppôt de l’ordre établi, un dinosaure, un mâle blanc etc… Pas nécessaire de le dire, ça va de soi. Le seul fait d’opposer un fait à un autre de la sorte indique le parti pris idéologique : l’islamisme et ses meurtres sont une succession des faits divers qu’il ne faudrait pas surinterprèter, et ceux qui le font  sont des aveugles, dans le meilleur des cas, ou des islamophobes, dans le pire des cas, donc le problème, le vrai.

Il faudrait donc poser la question aux interlocuteurs ?

D’une part, il faudrait effectivement qu’ils disent explicitement ce qu’ils considèrent comme fait divers ou comme fait de société ; et qu’ils justifie en quoi c’est l’un et pas l’autre, puisque c’est comme ça qu’ils pensent. Mais le faire ce serait les exposer à leurs contradictions, mais nous aussi, c’est pour cette raison que personne ne s’y risque. Par principe, un fait divers est toujours significatif d’une fait de société pour qui veut le prendre pour un symptôme, c’est une question d’interprétation. Dit comme ça, il n’y a pas de fait de divers véritablement. C’est curieux d’ailleurs de voir les sociologues déconstructeurs qualifier le racisme inconscient blanc à partir de tout ce qui leur tombe sous la main ; et refuser de traiter comme un fait de société l’islamisme, ses meurtres set es projets théocratiques !

Entre parenthèse : accuser l’inconscient de quelqu’un ce n’est pas du fascisme, c’est de totalitarisme, et ça ouvre aux camps de rééducation.

D’autre part ?

La posture intellectuelle ne devrait pas être dans l’opposition : fait divers vs fait de société, mais dans la succession, l’un après l’autre. C’est-à-dire en quoi est-ce un fait divers ? En quoi est-ce, par ailleurs, possiblement, dans une certaine mesure, un fait de société ?  La question, en tout cas en psychologie, est celle du lien et non pas de l’exclusion. En quoi ce fait est significatif d’une dynamique individuelle certes, mais aussi d’une dynamique familiale, groupe, sociale, sociétale. Il n’y a pas de comportements humains or contexte, qui n’aurait pas une histoire. Nous sommes des sujets psycho-socio-historiques ; si c’est vrai dans un domaine, c’est vrai dans tous. S’il faut isoler les termes par nécessité méthodologique, quand on ramène les choses sur la place publique, on doit les lier. Je vous proposerai plus tard une grille d’analyse pour ne pas rester fixé à une seule causalité.

Or, aujourd’hui, des intellectuels sont capables d’exclure de la réflexion la religion dont se réclame les fanatiques. Par postulat, cela n’a rien à voir ; ni celle-ci ni celle-là d’ailleurs. Vous vérifiez les prolégomènes de la fac catho de Lyon quand il s’agit de traiter la question de la radicalisation dans ces colloques. Certains de mes anciens professeurs, qui ne sont pas des « islamo-gauchistes » pour autant, et dont je suis certain de la probité intellectuelle, acceptent de penser sous cette contrainte !

Qui décide de ça ?

La lutte idéologique fait rage car la politique politicienne fonctionne comme un garrot. Aux médias qui appartiennent pour 80% dit-on à un groupe de milliardaires, qui font leur boulot pour maintenir un système électorale de nature monarchique, et les privilèges d’une classe sociale qui vont avec, s’oppose logiquement un contre-discours là où il peut naître : dans les universités, sur les réseaux dits sociaux, dans la rue. Cette opposition est significative de mon point de vue d’un fait social : nous ne sommes pas une démocratie laïque, et nous ne sommes pas prêt de l’être. Être laïque serait de mon point de vue, mettre le problème au milieu, et le traiter collectivement pour faire émerger ce qui serait du fait de la société, de la responsabilité de l’organisation sociale et celle du pouvoir, donc à corriger puisque théoriquement nous sommes les seuls dépositaires légitimes du pouvoir (!). Mais c’est un risque que l’on ne veut pas prendre car toute réflexion interroge le pouvoir sa logique et sa légitimité. LA politique politicienne n’est pas prête à lâcher le morceau.