Retour sur les caricatures : la violence islamiste au nom du respect du sacré.
En fait, nous devons distinguer deux violences. La première, la violence inhérente à la volonté islamiste d’établir un califat mondial , et qui donc n’a d’autres causes qu’internes : le pouvoir de régir le monde leur a été attribué directement par leur dieu via un prophète médium (Pierre Conésa, Dr Saoud et Mr Djihad, p100 « La LIM (Ligue Islamique Mondiale) est plus explicite : « Nous, Etats membres, affirmons également notre conviction qu’il ne saurait y avoir de paix dans le monde sans l’application des principes de l’islam ».). Cette violence n’est la conséquence d’aucune colonisation ni souffrance mondialiste, et ne s’adresse pas spécifiquement à nous : elle frappe là où c’est possible y compris les musulmans qui ne partagent pas son dogme. Elle est condamnée par la majorité des musulmans qui ont adapté leur pratique religieuse au plaisir de vivre en paix.
D’ailleurs, les musulmans sont les premières victimes de l’islamisme.
Non, elles sont les plus nombreuses car plus faciles à atteindre. On ne peut pas dire à quelqu’un victime d’un attentat qu’il n’est pas la première victime. C’est odieux et pourtant j’entends le dire. La première victime c’est celui qui ne se soumet pas à leur dogme, la dernière victime donc. C’est potentiellement l’immense majorité de la population mondiale.
La deuxième violence ?
C’est celle qui s’abat sur celui qui critiquerait, s’opposerait, blesserait, offusquerait, ne respecterait pas la religion, le sacré. Celle-là amène à des réactions différentes chez les musulmans, même non-intégristes, car la cause perçue est : quelqu’un a donné le premier coup. La violence serait donc secondaire, et elle ne serait que réactionnelle, voire éducative ou pédagogique en quelque sorte. Globalement nous serions la cause car, si on laissait chacun pratiquer comme il veut, il n’y aurait pas de violence. C’est l’exemple du Canada qui se voudrait premier pays post-nation, une mosaïque de communautés.
Débat donc sur les causes de la violence.
Oui, et c’est ce dont je voulais vous parler aujourd’hui. René Girard, un anthropologue, nous a montré que la violence se justifiait toujours d’être secondaire : je ne ferais jamais que rendre un coup que l’on m’a porté. En fonction de la susceptibilité, ça peut être des traces sur un papier, une parole, une critique. C’est toujours l’autre qui a commencé, ne serait-ce que par un regard (Voir par exemple la Fontaine, Le loup et l’agneau, ou les gamins qui disent « baisse les yeux »). Il appartiendrait donc à celui qui a reçu le coup, donner supposément le premier donc, d’aimer encore plus et mieux, puisqu’il est la cause, le coupable initiale. Il est le problème « systémique ».
Causes, conditions, déclencheurs ?
Les mots sont piégés. Ils ne signifient pas toujours la même chose. Ici, pour penser la violence islamiste, je voudrais faire la différence entre cause, condition, déclencheur. Et pour ce faire, je vais vous rappeler le triangle du feu que vous connaissez peut-être. Pour qu’un feu prenne, il faut un combustible, un comburant (l’oxygène de l’air par exemple), une source de chaleur. Un combustible peut-être plus ou moins inflammable, et il peut s’auto-enflammer si on le chauffe. Le feu peut aussi s’éteindre si on le refroidit. Il faut de plus des conditions, c’est-à-dire de l’air en quantité suffisante. S’il est à température suffisante, le combustible s’enflammera si on amène une source de chaleur, une flamme, une étincelle.
Vous me voyez venir ? Les êtres humains sont le combustible bien sûr, et les jeunes sont plus facilement inflammables que les vieux. Toutes les guerres se font avec des jeunes. On peut les chauffer jusqu’à ce qu’ils s’auto-enflamment. Dans ce cas la responsabilité incombe à ceux qui chauffent. Bien sûr, il peut y avoir un déclencheur comme des caricatures, mais elles ne sont pas responsables car si le combustible est froid (comme un laïque qui ne confond pas une chose avec sa représentation), ça ne s’enflamme pas. On n’a jamais vu un attentat au nom de la liberté de conscience et d’expression ! Les conditions, l’air, ce qui rend possible, est peut-être à chercher du côté des moyens de communication, des réseaux sociaux, des possibilités de rencontre.
Qu’est-ce qui rendrait le combustible si facilement inflammable ?
Plusieurs hypothèses. 1 On peut chercher du côté du sort réservé à la jeunesse. Ça ne tient pas si on compare les pays et on connait l’histoire : la violence religieuse se moque des époques. 2 On peut chercher du côté de la jeunesse considérée comme une fragilité, voire une pathologie : ils sont à la recherche de sens, de combats, de pouvoir à bon compte, d’une vie grandiose y compris à travers l’ascétisme et la mort. Surtout s’ils ne sont pas diplômés. C’est une hypothèse solide qui mériterait un long développement, mais qui ne couvre pas tous les cas. 3 On peut chercher du côté de l’obscurantisme – ici religieux, mais l’obscurantisme n’est pas que religieux – c’est-à-dire la magie plutôt que le réel, la croyance plutôt que la science, l’idéologie plutôt que le fait. Le réel c’est la tuile absolue, et l’autre en est le représentant, le diable en personne. En clair, le combustible monte en température à cause de l’obscurantisme et la superstition. Etre instruit c’est l’être de la réalité des choses, donc de l’autre, et en retour de soi. Sale histoire. Ainsi, dire que les caricatures sont la cause est, au mieux, un raccourci, une facilité, une imprécision, au pire, une malhonnêteté, une tromperie.
Y-a-t-il d’autres hypothèses ?
Oui, la phobie est une hypothèse peu travaillée. Notre société, avec sa foutue liberté individuelle, propose une vie de solitude où la dépression rôde. Si on ne trouve pas un clan, une bande, une tribu etc.. on court un grand risque. Et ça ne suffit pas toujours. La religion, quand elle est hégémonique ou dans une démarche sectaire, propose une présence permanente, à la limite de la persécution, et une présence exigeante, très exigeante. Le contraire de ce que nous faisons ? Peut-être bien. Les recruteurs (ou la culture religieuse) ne lâchent pas leurs cibles, leurs ados, leurs adaptes, et grâce aux moyens de communication ils peuvent être omniprésents. Chez une personne angoissée, phobique, c’est d’un grand secours, et la perspective de la mort peut-être le soulagement d’une douleur d’exister… seul. On dit que les jeunes qui se radicalisent s’isolent, se replient, c’est absolument le contraire : ils ne sont plus jamais seuls, ni dans le réel ni dans leur psyché, ils sont envahis, colonisés.
J’ai découvert ceci en travaillant en prison et auprès des adolescents délinquants, ou placés par la justice. Les caïds ont gardé des peurs d’enfants, ils sont les plus fragiles psychologiquement, pour cette raison ils ont des gardes du corps qui assurent en fait une présence rassurante permanente.
Si nous voulons une société laïque qui dure, la liberté malgré ses aspects douloureux, nous allons devoir réinventer notre façon d’être présent aux autres ; une façon de prendre soin les uns des autres ; construire enfin une société de l’attention réciproque, ce qui pourrait être la définition d’une République laïque. Soit l’exact contraire de la direction que l’on prend !