L’enfant-roi, un mythe moderne

Il y a des enfants exigeants, voire tout-puissants, réactifs à la frustration. En clair des enfants-rois à qui tout serait dû, jusqu’à devenir de véritables tyrans domestiques.

C’est l’impression générale, mais si l’on regarde les choses sous un autre angle peut-être qu’au contraire on va observer des enfants malmenés par le rythme infernal de la famille moderne. Par exemple, à partir de quel âge laisse-t-on aujourd’hui un enfant aller seul à l’école ? Faire du vélo avec les copains sans surveillance ? Passer l’après-midi dehors loin de notre vue ? Quand vous avez la réponse, rappelez-vous à quel âge vous pouviez le faire, et demandez à vos parents à quel âge ils l’ont fait. Vous verrez que la situation des fameux enfants-rois ne s’est pas améliorée autant que la rumeur le dit. Vous verrez qu’au contraire pour beaucoup leur monde s’est rétréci. Vous vérifierez avec vos parents combien de temps ils passaient seuls à la maison, sans leurs deux parents, et vous regarderez combien d’enfants restent seuls à cause des horaires de travail des parents, ou pour d’autres raisons. Quand on étudie l’évolution des conditions de travail, notamment le développement des horaires décalés, on s’aperçoit que nombre d’enfants sont seuls au moment où ils auraient le plus besoin de leurs parents. Pour ceux qui ont des parents trop présents parce qu’au chômage, dire qu’ils sont des enfants privilégiés relèveraient de la mauvaise foi voire du cynisme.

Ce serait lié au développement du travail des femmes ? Plus  largement la vie moderne ?

Le développement du travail féminin – à l’extérieur, car il a toujours existé à l’intérieur – l’égalité des sexes dans le travail, l’autonomie des femmes, ne s’est pas accompagnée des moyens de soutien et de protection du lien parent/enfant et du lien mère/enfant en particulier. Le travail la télévision l’ordinateur captent bien des pères aussi, qui pour beaucoup ne coupent plus avec le monde extérieur. Et combien de jeunes mères donnent le biberon avec le portable dans la main ! En fait c’est surtout la voiture qui a dessiné les villes et les emplois du temps, allongé les temps de transport, absolument pas les besoins des enfants ou des personnes. Ceci a un coût social et psychique (la modernité nous dit-on c’est la circulation totale. Un sociologue, Z.Baumann, avec justesse, conceptualise la société liquide et l’amour liquide). 

Les enfants sont-ils réellement les premières victimes de la modification des conditions de vie ?

On considère que les enfants sont, en nombre, les premières victimes sur terre ; les deuxièmes en nombre sont les femmes ! Ça étonne quelqu’un ? La plupart ont une vie fatigante et sur un rythme qui n’est pas le bon, qui n’est pas le leur. Tous ne dorment pas correctement ni suffisamment (une enquête récente montre que nous avons perdu 3 heures de sommeil en 1 siècle) et beaucoup regardent des programmes excitants à la télé trop tardivement ou sont hypnotisés/excités par leurs jeux vidéo. Les parents se disent souvent tranquilles pendant ce temps. On ne traite aucun roi de la sorte, vous vérifierez, les rois imposent leur rythme aux autres ce qui n’est pas leur cas.

Qui est le chef d’orchestre donc de la vie de la famille  ?

La responsabilité des parents, vis-à-vis des enfants, est de vérifier si la vie qu’ils mènent est adaptée à ce qu’ils sont , avant de penser que leurs exigences et réactions sont des défauts liés à la toute puissance de l’enfant, et à leur manque de fermeté en retour. Nous ne devons pas oublier qu’ils ont des limites et qu’ils ne les connaissent pas – tant d’adultes non plus, ce qui est dommage – et nous avons à les protéger en les connaissant à leur place. Plus ils sont petits et plus ils ont besoin d’être comme des rois, maître du temps, et ce n’est pas tyrannie c’est simplement leurs limites. Ils ne sont pas tenus à l’impossible, pas plus que les adultes d’ailleurs.

Alors le leitmotiv : il faut les cadrer, ils manquent de cadre ?

C’est possible que des parents aient du mal à cadrer leurs enfants, notamment si eux-mêmes sont préoccupés par trop de choses et sont peu disponibles pour comprendre les difficultés de l’enfant. Mais contraindre un enfant ce n’est pas du cadrage, encore moins si c’est imprévisible pour lui et disproportionné. Les enfants sont sensibles à l’injustice. Ce qui peut cadrer et apaiser un enfant, c’est la cohérence des parents car l’enfant peut en comprendre la logique et anticiper. Enfin, ce qui est compliqué pour l’enfant, c’est de se sentir responsable de l’état de malaise du parent. Il est important d’expliquer aux enfants que l’on n’est pas mal à cause d’eux, mais à cause d’un problème autre. Trop d’enfants se retrouvent en bout de chaines des énervements et n’ont pas d’autres solutions, pour manifester leurs difficultés, que d’être royalement pénibles. 

Un enfant tyrannique pour des raisons psychologiques ?

Oui bien sûr, c’est fréquent, et ça vaudra une chronique spécifique. Parfois il faut explorer le lien parent/enfant pour comprendre que l’enfant réagit, car il n’a pas la parole, à une difficulté chez les parents. C’est à penser au cas par cas tant les causes peuvent être multiples. Il faut se rendre à l’évidence : les enfants ont un scanner et pointent les difficultés et souffrances des parents. Ils peuvent facilement s’en faire le symptôme, et c’est terriblement culpabilisant pour les parents qui perçoivent ce phénomène, mais ne peuvent s’y soustraire ou le régler. Si l’on rajoute le poids du regard des autres, l’enfant peut être perçu comme celui qui dévoile l’incompétence parentale, ce qui ne rapproche pas les parents des enfants. Un noeud peut se créer et il ne sert pas à grand-chose de le laisser se serrer.