Beaucoup de personnes disent qu’elles ont un caractère fort
Je fais souvent préciser. Est-ce que ça veut dire : réactif, emporté, impatient, impulsif, intolérant à la frustration, exigeant, sans pitié, sans concession, coléreux, intransigeant, têtu, inébranlable, parlant fort et mettant de la force dans tout ce qu’il fait, qui impose sa loi… Curieusement rien de tout cela ne s’applique à Ghandi, Luther King ou le Mandela pacifique dans sa deuxième période. Diriez-vous que ces gars-là avaient un caractère faible pour autant ?
Il y aurait confusion sur ce que serait un caractère fort ?
C’est rien de le dire. On fait la confusion entre mettre de la force dans ce que l’on fait et la force de caractère qui est, au contraire, la force que l’on est capable d’opposer à ses impulsions, c’est-à-dire la capacité de se contrôler, se contenir. La force de caractère ce n’est pas la capacité de dominer l’autre, mais de se dominer soi pour établir une relation qui se dégage justement de la domination de l’autre, de sa soumission, de son humiliation. Si je reprends les modèles cités, la force serait celle de dire Non, sans violence mais fermement, en opposant une force d’inertie susceptible de faire bouger l’autre. Plus tard, ce sera aussi la force de dire un oui qui renonce à la vengeance, un oui rédempteur face à la faiblesse violente de l’autre. Excusez du peu.
Ce n’est pas le discours ambiant
On vend, aux jeunes particulièrement, des comportements violents, grossiers, infantiles car ça excite leur oeil de spectateur-consommateur. On feint d’ignorer qu’ils vont imiter ces comportements et ces expressions et on le leur reprochera. Que ce soit à travers le cinéma, les séries, les clips, le rap, mais aussi la nourriture trop sucrée ou trop salée, on leur propose de l’excitation à consommer, et on reprochera aux parents à l’école et aux éducateurs de ne pas savoir les calmer. Double injustice. Beaucoup passent leur temps à s’insulter et à monter la voix, de plus en plus jeunes, et les adultes sont impuissants tellement c’est devenu un tic de langage. Quand ces enfants devenus parents continuent à parler comme des enfants, il est difficile de rattraper le coup.
Les adultes eux-mêmes peuvent sur-valoriser l’excitation
C’est assez commun. Il y a d’ailleurs un lien entre le manque d’espace disponible et l’excitation. Si on entasse les gens, qu’on les met dans une grande promiscuité, la présence de l’autre est une charge psychique importante qui produit de l’énervement. On peut appeler ça l’effet loft : vous mettez n’importe qui dans un loft pendant quelques jours, même des formateurs à la non-violence, et ça finira en pugilat. Il est banal de justifier ses comportements même s’ils sont déviants, et nombre d’adultes justifient leur excitation en terme de force ou de virilité, au lieu de la penser comme une faiblesse de caractère. La conception commune de la virilité a fait et fera plus de morts que le réchauffement climatique.
Mais l’énergie et la force sont en nous, difficile de ne pas en jouir
Ce serait même dommage de ne pas en jouir. Il est bon d’expérimenter, d’éprouver sa force, de l’étalonner par rapport à l’autre, mais la société a conçu des épreuves codifiées pour ça, codifiées pour éviter l’humiliation au perdant. Or l’humiliation, voire la négation de l’autre, semble devenir un comportement banal chez les jeunes, et il faudrait analyser pourquoi. C’est différent du simple rapport de force entre pairs qui fait qu’il y a un gagnant dont la tâche et de ménager la susceptibilité du perdant, le battre certes mais pas l’humilier car il y aura d’autres rencontres. Même chose pour les adultes au travail où le rapport de subordination n’a pas à être un rapport de soumission. Mais ce sont des codes à apprendre que les cultures ont mis du temps à élaborer, et qui sont pas ou peu transmises à une partie de la population. C’est une amputation.
Etre fort ?
C’est Marx je crois qui a dit qu’un peuple qui tient un autre peuple en soumission n’est pas un peuple libre. On peut dire la même chose pour les individus : un Homme qui soumet un autre Homme (donc une femme), par la force ou par la peur, n’est pas un Homme libre. Je crois que ce serait plutôt un homme esclave de ses passions ; donc plus proche de l’enfant que de l’adulte mature.