Il y a quelque chose de toujours plus effrayant dans ces meurtres commis par des fanatiques musulmans : ils oscillent entre fait divers, le fait d’un fou, et fait de société, impossible à traiter à cause de la lutte des factions politiques pour le pouvoir.
On sait peu, voire pas de choses sur les motivations
Oui, mais c’est vrai pour tous les meurtres commis par des fanatiques car, même ceux qui échappent à la mort sont bien en peine de motiver leur acte au-delà d’un discours convenu. Ils ne « parlent » pas, ils répètent. Peut-être est-ce cela la motivation ? Répéter, comme un disque rayé, arrêter le temps, le figer, et vivre mort pour l’éternité.
Pourquoi ont-ils besoin de l’autre pour vivre morts ?
Il semble qu’ils ne puissent pas vivre avec nous mais pas sans non plus. Ils pourraient se suicider, partir ou rester vivre dans un pays à religion d’Etat, mais non, ils viennent, ou deviennent, attirés par un problème insoluble pour eux semble-t-il, et que nous incarnons. Je pense que ce qui les fascine, et les angoisse, c’est la créativité sociale et sociétale de nos pays. Les conventions sociales en mouvement, les identités fluides, la transformation des rapports de pouvoir et entre les sexes, les marqueurs de virilité, sont difficiles à lire pour des personnes qui ont besoin de rites stables voire immuables ; s’ils sont à leur profit bien sûr. Tout dans nos sociétés ressemble pour eux à une fuite en avant, donc à un meurtre des ancêtres, qui n’est que l’ébranlement de leurs appuis.
Le rapport à la parole ?
Nous sommes des sociétés du « moi je pense », même « les gens qui ne sont rien » peuvent dire « moi je pense », c’est ça l’Egalité et la Liberté. Ça fait du monde, et cette phrase est un blasphème mais aussi une épreuve psychique car la réalité, le nombre, fait que si tous parlent, peu sont écoutés. C’est réellement épuisant cette incertitude permanente, cette désobéissance (relative !), ce mouvement perpétuel ; il y a des gens que ça déstabilise complètement. Ils aimeraient sûrement savoir faire, ça les fascinent probablement, mais ils n’y arrivent pas. Ils en crèvent. Et s’ils pouvaient nous tuer tous, ils le feraient. Dire le nombre de morts du fanatisme musulman est anecdotique car ça ne correspond en rien à l’objectif. Stéphanie M est morte égorgée et seule, parce que son assassin n’avait pas de kalach. Mais comme il n’en a pas cherché semble-t-il, alors on peut penser qu’il a admis sa petitesse, et conçu un meurtre à son image quelqu’un de déprimé incapable de concevoir un meurtre à plus grande échelle. Ceux qui veulent réduire ce meurtre à celui d’un fou (il n’y a aucun enseignement à en tirer et ceux qui font cela instrumentalisent), ferait bien d’y réfléchir une seconde fois.
La France, sa laïcité représente… ?
Représentait ce qu’il ne saurait jamais être probablement, après avoir essayé semble-t-il. Les fanatiques pensent, et c’est leur problème, ils aiment la pensée, mais elle est coupable dans leur religion, c’est dieu qui pensent, ils ne doivent trouver leur dignité que dans l’obéissance. Ils sont créatifs ? C’est un blasphème car seul dieu crée. S’ils ont besoin d’une cohérence interne, s’ils croient aux mots, alors ils ne leur restent plus qu’à consacrer leur intelligence à l’obéissance et la soumission, car il est impossible de ne pas exercer son intelligence. Vous-même, si vous êtes courageux, vous observerez que nombre de personnes consacrent leur intelligence à des choses stupides et qui ne sont en rien religieuses. C’est même ce qui fait la force de notre système économique et politique. C’est aussi ça que les fanatiques veulent tuer : cette espèce d’insouciance supérieure, cette désinvolture, cette négligence, cette ingratitude ; ce qu’ils jugent comme tel bien sûr. D’autant plus que c’est le privilège que leur dieu leur a octroyé, et que la laïcité leur retire et moque d’une certaine manière.
Lutte avec ou sans fin ?
Il y a bien sûr des violences qui ne prendront jamais fin, et des luttes intimes itou. Ce que l’on ne peut pas faire cesser, c’est de faire souffrir psychiquement l’autre par notre seule existence. Si une religion déclare que notre existence est un problème, que le lien est impossible entre gens différents, chacun étant assimilé à sa culture, alors il ne faut pas se bercer d’illusions, elle trouvera toujours des adeptes pour joindre le geste à la parole. Et nous ne pourrons jamais renoncer à la liberté de penser, eux-mêmes n’y arrivent pas. Qu’est-ce qui peut prendre fin, se régler, sans trancher dans le vif du corps social ? Que faut-il faire pour que le lien entre nous soit possible et jamais coupé ? La laïcité, construite lentement et dans l’adversité, répond : la vie de l’autre (donc la nôtre) doit être érigée en valeur suprême, avant toute croyance. Soit, la parole des hommes fait loi avant La parole divine(s). Le fanatique, ici musulman, c’est celui qui, parlant au nom de dieu, me coupe le siège de la parole, ou se fait sourd. Si nous renonçons à la parole, nous renonçons à la liberté, donc à la vie. Le fanatique est ce bandit de grands chemins qui, lors d’un guet-apens, saute du divan du psy et expose son conflit interne une arme à la main, et nous dit : « la parole ou la vie ? ». On pourrait lui répondre, s’il n’était sourd : « malheureux, tu ne sauras rien faire ni de l’une ni de l’autre ! ».
“Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?” Voltaire
En pensant à Stéphanie M. Notre compatriote et notre semblable.