Qu’a-t-il donc fait ce Pyrrhus pour nous intéresser ici ?
Pyrrhus est un petit roi de la mythologie grecque qui a passé sa vie à guerroyer pour agrandir son royaume, au prix de nombreuses vies, pour finir au même point. L’expression « une victoire à la Pyrrhus » veut dire que l’on a sacrifié beaucoup de choses pour peu au final. Et ceci nous intéresse dans la relation que l’enfant, le plus faible, entretient avec ses parents ou le grand frère, c’est-à-dire les plus forts. Parfois on ne comprend pas l’attitude du petit qui agace le grand même si à la fin il prend un coup. On ne comprend pas l’attitude de l’enfant qui désobéit à ses parents jusqu’à ce qu’ils se fâchent et le punissent. Mieux vaut connaitre Pyrrhus dans ces cas-là.
Alors ?
Quand on est faible et que l’on ne peut pas affronter l’autre de front, ou qu’on ne veut pas assumer le premier coup, il reste une solution, c’est de l’attaquer à bas bruit jusqu’à ce que l’autre perde le contrôle ; à ce moment c’est le coup symbolique qui atteint sa cible. Bien sûr il y a un prix dans le réel à payer, mais la victoire symbolique est acquise. Et on le voit dans le sourire jouissif du petit.
Mais que s’est-il passé en amont pour que le petit agisse ainsi ?
Difficile de le savoir précisément. Parfois ce peut être la simple rivalité qui s’exprime et qui s’exprimera de toute façon. Quand ça concerne les parents c’est peut-être des représailles suite à une situation dont plus personne n’a mémoire ; mais aussi ce peut être dû au sentiment de dépendance de l’enfant au parent, qui peut humilier au final, et dont il faut se venger.
Se venger de recevoir plein de choses ?
Oui, en grandissant l’enfant perçoit sa dépendance et peut en prendre ombrage quand il n’en a pas le besoin immédiat. Aussi une façon de se dégager de celle-ci, de marquer sa différence, de cultiver un moi plus indépendant, est d’« attaquer » le parent. Etre maman est particulièrement éprouvant car elle est le premier objet de ce travail.
Ce n’est pas donc pas forcément un mauvais signe ?
Oui, c’est sûrement le signe que l’enfant grandit et qu’il ne se sent plus le petit bébé à sa maman. A ce moment là. Et c’est d’ailleurs ce qui agace prodigieusement le parent que de voir cet enfant se prendre pour ce qu’il n’est pas. Donc ce sont des situations inévitables et pas si grave que ça au final. Sauf si l’enfant découvre la faille chez le grand frère et chez les parents et consacre finalement son intelligence à les déclencher pour jouir de la maitrise qu’il a sur eux, même s’il en paie le prix par des coups.
Justement les coups. Ça peut aller loin cette victoire symbolique ?
Hélas oui. Un enfant peut se prendre à son propre piège si le parent se laisse prendre au piège des représailles. Par exemple, certains parents en arrivent rapidement à la sanction comme pour tuer dans l’oeuf toute opposition, parfois jusqu’aux coups. Mais si l’enfant, qui est un enfant, maintient sa stratégie à la Pyrrhus, alors on peut le voir préférer mourir sur place plutôt que de céder. Le parent est pris au piège, soit il laisse tomber et sa défaite est totale, soit il augmente la violence et bascule dans la maltraitance.
On voit au parc des enfants faire n’importe quoi et leurs parents inactifs. Comment penser cette situation alors ?
Ce ne sont pas toujours des parents permissifs. Quand on les interroge beaucoup disent qu’ils ont tout essayé, jusqu’aux coups, et qu’ils ont laissé tomber car ça ne marchait pas. De fait, ils se sont rendus impuissants. Ils sont tombés sur un petit Pyrrhus qui a accepté de payer le prix de la violence pour une victoire symbolique. L’enfant en paie le prix une deuxième fois, en étant dans une illusion qui n’est absolument pas apaisante, car il a besoin de parents protecteurs et non pas de parents impuissants face à lui !
Comment ne pas se laisser prendre au piège de Pyrrhus ?
D’abord repérer le petit plaisir que prend l’enfant et contenir ses marques d’agressivité sans les interpréter de suite comme un manque de respect. Une fierté mal placée (par définition) des parents conduit à des drames dans l’éducation des enfants. Il me semble préférable de refroidir les choses plutôt que de les chauffer à blanc dans l’espoir d’éteindre l’incendie. Dans tous les cas, il est préférable de se laisser une marge de manoeuvre dans l’ordre des interdits. Surtout s’éviter le piège éducatif que nous nous tendons spontanément : la limite de déclenchement des hostilités « si tu dépasses ça tu vas prendre ». J’appelle ça l’effet cliquet. On se met dos au mur, on n’a plus d’autres solutions que la violence… ou la défaite. Tout le monde y perd au final.
Ne jamais se mettre dos au mur donc ?
C’est mieux, mais c’est un exercice difficile car les enfants sont des experts en enfance, donc ils ont une longueur d’avance sur nous. L’enjeu pour le parent est, quoiqu’il arrive, de rester le parent protecteur et lui l’enfant à protéger, parfois de lui-même. C’est-à-dire résister à se mettre sur le même registre ; on ne gagne jamais sur le registre de l’enfant. Si l’on se retrouve comme deux enfants en train de se chamailler, alors il y a deux perdants. Sur le coup on pourrait penser que l’enfant a gagné, dans la réalité psychique il n’a plus son parent protecteur. Bien sûr je ne parle pas des ados qui se dégagent du lien de l’enfance. C’est autrement plus complexe à ce moment-là.