Il est fréquent de voir des enfants résister pour aller chez leur père lors d’un week-end, quand ces derniers n’ont pas la garde.

Je ne connais pas les chiffres actuels, mais il y a seulement 20 ans, une majorité d’enfants ne voyaient plus leur père après un an de séparation du couple. C’est terrible bien sûr, d’autant plus quand ça repose sur un quiproquo autour de la question du désir du père plus que de celui de l’enfant. J’espère que les chiffres sont en amélioration avec la garde alternée, même si celle-ci peut poser d’autres difficultés.

Que faire ?

Je ne traiterai pas des situations de maltraitance ou pathologiques bien sûr, et je prendrai le cas le plus fréquent d’après les statistiques de l’époque, avant la garde alternée, à savoir un week end sur deux chez le père. Il y a  toujours un week end où l’enfant a un anniversaire, un truc intéressant à faire avec les copains copines, il peut donc faire une demande à son père qui, voulant lui faire plaisir, lui accorde son week-end. A ce moment-là l’enfant reçoit une réponse à une question qu’il n’avait pas posée, et le quiproquo est là : son père désire-t-il vraiment le voir ? L’enfant qui peut être content  d’avoir son activité, se retrouve marri voire blessé d’apprendre que son père peut se passer de lui, que peut-être il ne lui manque pas tant que ça. Et si ça résistance était due au doute concernant le désir de son père, le fait qu’il cède à sa résistance vaut réponse. La fois suivante il résistera encore plus fort.

La résistance de l’enfant était à interpréter ?

Oui, et l’attitude du père aussi. La réalité est que ce dernier n’affirme pas son désir à travers un acte clair qui, même s’il contraint, indiquerait à l’enfant qu’il doit s’organiser par rapport au désir de son père également, par rapport à un lien qui dans certaines circonstances est prioritaire. D’une certaine manière l’enfant peut sentir le lien se détendre et se sentir blessé voire humilié. Que l’enfant joue avec le lien c’est une nécessité pour grandir, mais ça ne peut se faire que s’il y a un point fixe à l’autre bout.

Conséquences ?

La conséquence est que l’enfant, prenant des habitudes dans un lieu, ne peut pas en prendre dans un autre, et cet autre lieu devient de moins en moins intéressant. Par ailleurs, si le père accorde d’autres refus ou cède face à la réticence de l’enfant, qu’il interprète mal donc, alors ils risquent de s’éloigner et l’enfant peut finir par s’opposer fermement à aller chez son père. La dynamique s’enclenche vers un éloignement jusqu’au lâchage plus ou moins complet. Chacun se repliant pour sauvegarder sa dignité blessée.

Le désir de l’enfant de ne pas aller chez le père était ambivalent ?

Non mais il questionnait la possible ambivalence de celui du père : de qui se sépare-t-il dans la séparation du couple. Ce qui comptait en fait, c’est le désir assumé de l’adulte car c’est celui-ci qui organise la relation, qui en a la responsabilité. Par exemple, en cas de conflit ponctuel, un enfant peut être en colère après son parent ; c’est important qu’il puisse l’exprimer, même bruyamment, mais cette expression ne doit pas être au risque de rompre le lien, sinon c’est donner une responsabilité à l’enfant, responsabilité qu’il ne peut pas assumer. Ce n’est pas à lui d’assumer la continuité du lien, sa solidité, c’est au parent de ne pas lâcher (symboliquement) la main de son enfant.

Il faudrait donc contraindre l’enfant à aller chez le père quoiqu’il dise ?

Presque. Je vous invite à penser que le père doit exprimer son désir de voir son enfant, toujours de façon à ce que l’enfant ait la liberté de s’opposer à son parent sans risque ; à penser que le père doit avoir la responsabilité du lien ou des adaptations quand ça arrive. Il peut donc y avoir des exceptions mais il est préférable que ça reste des exceptions à la règle. C’est sur cette règle que l’enfant va s’organiser ; et c’est important pour lui d’avoir des garanties sur ce qu’il va se passer. Ça devient difficile pour l’enfant quand tout est aléatoire, quand il ne peut rien anticiper, or pouvoir anticiper est fondamental pour sa tranquillité psychique.

Ne pas laisser la porte ouverte au doute ?

Exactement. Et là, le père doit se regarder dans le miroir. S’il ouvre la porte au doute chez l’enfant, c’est peut-être qu’il doute de lui, qu’il est ambivalent… ou doute de l’enfant, lui suppose une ambivalence. C’est assez fréquent chez les pères de penser que les enfants sont bien avec leur mère, qu’elle est le personnage central pour eux. Ils peuvent donc être tenter de lâcher facilement pour le bien de l’enfant. Ce faisant, ils disent aussi leur doute sur l’importance qu’ils ont pour leur enfant. Hélas, des hommes qui pensent qu’un enfant peut se passer d’eux,  c’est assez fréquent.

Culture ou histoire familiale ?

Un peu des deux sans doute. Il ne faut pas se voiler la face, le statut de parent intermittent est difficile à concevoir et à assumer. Pour dépasser ce risque il faut penser que l’intermittence des rencontres ne signifie pas l’intermittence du lien, que la fonction symbolique demeure, et demeure d’autant plus qu’elle est fondée sur le désir et la responsabilité. 

Il y a des situations mal engagées que l’on peut rattraper ?

Je l’ai vu, et c’est extraordinaire de voir que l’on peut revenir de très très loin quand un père assume enfin son désir, son attachement, son statut, et ne tombe pas dans le piège de la fierté blessée.